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Le Coiffeur de l'Escouade : soldat faisant la barbe dans un campement

Le Coiffeur de l'Escouade : soldat faisant la barbe dans un campement

Hygiène de guerre

Hygiène de guerre

Le Coiffeur de l'Escouade : soldat faisant la barbe dans un campement

Le Coiffeur de l'Escouade : soldat faisant la barbe dans un campement

Date de création : 1917

Date représentée : 1917

H. : 9 cm

L. : 12 cm

autochrome réalisé dans le Soissonnais (Aisne)

Domaine : Photographies

© Ministère de la Culture - médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine, dist. RMN - Grand Palais / Fernand Cuville

lien vers l'image

14-529222 / CVL 00079

L’hygiène en temps de guerre

Date de publication : Avril 2020

Auteur : Alexandre SUMPF

Le corps mobilisé dans la Grande Guerre

Entre 1914 et 1918, avec la mobilisation totale des esprits et des corps, la guerre a effacé peu à peu la frontière entre front militaire et front domestique. La présence sous l’uniforme de plus de 8 millions d’hommes a déplacé toute une partie de la société dans les tranchées : des scènes du quotidien se déroulaient désormais en plein air, comme la séance de barbier saisie par Fernand Cuville. Ce photographe servait la patrie à la Section photographique de l’armée (SPA, créée en 1915), et ses prises de vue alimentaient aussi les Archives de la planète d’Albert Kahn. Il a couvert tous les fronts en France en utilisant le procédé autochrome.

La santé de chacun est devenue un enjeu public, avec les normes alimentaires au cœur du panneau pédagogique Hygiène de guerre. Celui-ci a été réalisé en 1918 pour le compte du ministère de l’Instruction publique par Victor Prouvé. Alors président de l’École de Nancy, en Lorraine française, le dessinateur et designer a mis dès 1914 son art et sa notoriété au service de la mobilisation culturelle des soldats et des civils.

Les corps à l’épreuve sur tous les fronts

Breveté par les frères Lumière en 1903 et commercialisé en 1907, le procédé autochrome a été rapidement utilisé par le projet des Archives de la planète. C’est donc tout naturellement qu’avec son collègue Paul Castelnau, Fernand Cuville a choisi de documenter les ravages de la guerre et le quotidien au front – même si cela nécessitait un temps de pose bien plus long que l’instantané des appareils Kodak. Les contrastes ne sont pas parfaits : la teinte générale est pâle et grisâtre. Mais l’effet de réel est saisissant, avec un cadrage bien centré, des effets de lumière (ombre), les outils de terrassement à terre et ceux du barbier, posés sur un banc de bois brut. Le paysage flou à l’arrière-plan évacue la question si cruciale pour les familles de la position : on est nulle part et partout sur ce front de 800 km de long. Un détail semble plaider pour le fait qu’on voit à l’œuvre un barbier itinérant : l’uniforme qu’il porte est bien moins couvert de boue que celui des trois soldats qui attendent ses bons offices.

Le panneau Hygiène de guerre est une lithographie monochrome bleue sur fond blanc. La moitié supérieure est occupée par une scène d’intérieur où figure, au centre de l’image, le titre. Dans le tiers inférieur, un texte précise un certain nombre de recommandations de type alimentaire. Enfin, dans le droit fil de l’Art nouveau, dont Nancy était l’un des berceaux en France, le bas de l’image est décoré d’un liseré de feuillage et le lettrage est stylisé à la mode végétaliste. Le repas représenté est amené par une femme à trois enfants et une autre femme servant de l’eau. Elle se tient debout, pendant qu’eux sont assis autour d’une vaste table carrée, surmontée d’une lampe à suspension, dans un intérieur confortable (nappe, vaisselier imposant, tableau accroché au mur, chien domestique). Rien ne connote donc la guerre, si ce n’est l’absence de figure masculine adulte. Ce hors-champ évident pour le lecteur de 1918 est désamorcé par la bonne humeur générale suscitée par l’offrande de pommes de terre fumantes et d’eau fraîche. Ce bonheur simple est en droite file avec le texte qui préconise de manger moins, moins gras, et de ne pas boire d’alcool.

Victoire pour la santé

Cuville a choisi non de montrer le soldat rasé de frais, mais le moment tant attendu de l’application de la mousse savonneuse sur les joues. Le blanc qui dissimule le visage est celui de l’hygiène et de la bonne santé, pas celui d’un bandage signe d’opération, de douleur ou même de mutilation. Ce blanc et celui de la chemise du barbier contrastent fortement avec la terre omniprésente, y compris sur les chemises des soldats, et la teinte bleu horizon de leurs pantalons qui devait se fondre dans le décor.

À l’époque où Cuville fait sa tournée des unités, toute la France sait dans quelles conditions les hommes en pleine santé « jouent aux Indiens » (Marc Bloch) en plein air. Ce jour ensoleillé a été précédé et suivi de bien d’autres moins cléments ; les tranchées étaient froides et humides, inconfortables, pleines de poux et de puces, parfois loin des cantines mobiles. On y perdait la santé et on y oubliait les règles d’hygiène. Le passage du barbier représentait donc à la fois un accroc festif collectif dans la toile de la routine anxieuse du front, un moment de détente, un rappel aussi de la vie civile et des normes sanitaires.

Au sommet de sa carrière de peintre, d’illustrateur et de designer, Victor Prouvé ne dédaignait pas les commandes officielles. Mieux, il semblait les chercher pour témoigner de son engagement patriotique. De taille modeste (65,2 × 50 cm), le panneau Hygiène de guerre appartenait à une série de trente et une images telles que Produire ou L’Effort paysan, Le Laboratoire ou encore Soyez patients, soyez obstinés, qui devaient être placardées dans les salles de classe. Après trois ans et demi de guerre, Hygiène de guerre tente le tour de force de muer en principes d’alimentation saine ce qui a été imposé par la pénurie. Cette campagne de propagande contre le gaspillage et pour la privation passe par les enfants, réputés sensibles aux gâteries, pour mieux atteindre les parents. À la fois mesure prise contre la tentation du marché noir et outil d’intervention dans l’équilibre des repas, le panneau fait aussi partie de l’arsenal officiel pour préserver le bien national le plus précieux : la génération qui doit permettre au pays de compenser les pertes humaines abyssales. La santé pour tous, et tout pour la santé – tel est le legs de la Grande Guerre à la population française.

BEURIER Joëlle, Photographier la Grande Guerre : France-Allemagne, l’héroïsme et la violence dans les magazines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2018.

PROCHASSON Christophe, RASMUSSEN Anne (dir.), Vrai et faux dans la Grande Guerre, Paris, La Découverte, coll. « L’espace de l’histoire », 2004.

VIET Vincent, La santé en guerre (1914-1918) : une politique pionnière en univers incertain, Paris, Sciences Po, les Presses, coll. « Histoire », 2015.

Alexandre SUMPF, « L’hygiène en temps de guerre », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 10/05/2024. URL : histoire-image.org/etudes/hygiene-temps-guerre

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