Contexte historique
La Société des amis de la Constitution à Paris
Dès mai 1789 à Versailles, des députés bretons aux états généraux se concertent avant les réunions. Autour de ces hommes intègres qui donnent l’exemple d’une bonne marche démocratique du pouvoir se crée une cohésion. En octobre 1789, le club breton se transporte à Paris, comme l’Assemblée qui, elle, suit le roi, forcé de quitter Versailles par la pression populaire. Le club loue des locaux rue Saint-Honoré, à proximité de l’Assemblée, qui siège à la salle du Manège des Tuileries, et s’installe ainsi dans le couvent des dominicains – dits « jacobins », car leur première maison parisienne était située rue Saint-Jacques.
En devenant « Société des amis de la Constitution », le groupe précise ses objectifs : soutenir la rédaction de la Constitution en préparant les questions à l’ordre du jour de l’Assemblée et assurer des rapports réguliers avec les sociétés affiliées en province. Les réunions qui ne sont pas publiques se déroulent, le soir, entre 18 heures et 22 heures, après les séances de l’Assemblée : le club devient un laboratoire politique. Les membres, dont plus de 1 100 sont connus, comptent 200 députés à la Constituante ; ils appartiennent à l’élite intellectuelle et libérale et à la bourgeoisie. Duport, Barnave, les frères Lameth et bientôt Robespierre donnent le ton des débats, ainsi que des non-députés comme Laclos. Il existe alors bien d’autres clubs, certains plus populaires, comme celui des cordeliers, et des clubs monarchistes, qui ne survivront pas longtemps. Après la fuite du roi en 1791, les tenants de la monarchie constitutionnelle font sécession pour fonder le Club des feuillants, dans un ancien couvent à proximité ; il disparaîtra après le 10 août 1792.
Les jacobins réagissent par une vigoureuse impulsion démocratique. Les séances deviennent publiques en octobre 1791. L’influence passe à Brissot, Pétion, Sieyès, Grégoire et surtout à Robespierre qui, par la puissance de ses discours, exerce bientôt une mainmise totale. À partir de l’été 1793, le réseau des clubs jacobins supplante tous les autres. Hiérarchisé depuis Paris, il exerce une hégémonie sur l’ensemble du territoire, à la fois instrument de surveillance, police politique et instrument de mobilisation de l’opinion. À la chute de Robespierre, le club est fermé, puis dissous le 22 brumaire an III (12 novembre 1794).
Analyse des images
L’extérieur
Le couvent, situé rue Saint-Honoré, ouvre sur une large cour bordée de bâtiments conventuels. D’architecture fort simple, avec son maigre clocheton et sa façade plate, l’église est cependant vaste (55 mètres sur 25). Les devises révolutionnaires, le drapeau tricolore surmonté du bonnet rouge et l’arbre de la Liberté auquel étaient suspendus arrêts, décrets, cocardes et drapeaux, au rythme des événements, marquent sa fonction révolutionnaire.
L’intérieur - Séance dans la bibliothèque
Aménagée dans les combles de la chapelle, cette bibliothèque vaste et lumineuse, typique du XVIIe siècle, est louée aux religieux par la Société des amis de la Constitution de mars 1790 à mai 1791, en l’état : partout se voit encore le décor religieux du couvent. Dans la fenêtre de gauche, une figure en pied donne la taille des dix-huit portraits de dominicains célèbres qui décoraient les embrasures. Sous la belle voûte, une grande fresque orne le dessus de la porte : saint Thomas d’Aquin, assis sur une fontaine, diffuse à tous les ordres religieux une eau qui symbolise sa Somme théologique. Les 30 000 volumes de la bibliothèque se trouvent encore sur les murs, protégés par un treillage de bois. Dans le fond, un autel reste dressé ; de cet endroit les religieux du couvent assistent aux séances, en robes blanches et chapes de dominicains !
Des rangées de gradins ont été disposées tout autour, devant les rayonnages de livres. Une tribune pour la prise de parole, au milieu, fait face au fauteuil du président qui surplombe le bureau des secrétaires. Cette organisation rationalisée de la réunion s’aligne sur celle de l’Assemblée au Manège. La salle n’est éclairée que par un très petit nombre de lampes, ce qui « donne à l’ensemble un sombre aspect » qui a frappé les contemporains.
Le 28 février 1791, la séance des jacobins marque le terme d’une journée de fermentation révolutionnaire. Devant une salle comble et tendue, Mirabeau malade, s’oppose à la tribune au président Alexandre de Lameth, au cours d’une de ses dernières joutes oratoires[1].
Séance dans l’église
Les mêmes dispositions intérieures sont adoptées dans l’église, au rez-de-chaussée, où les jacobins, toujours plus nombreux et manquant de place, s’installent le 29 mai 1791. Cette caricature contre-révolutionnaire insiste comiquement sur l’importance du poêle dans cet environnement glauque et glacial. Robespierre y prend la parole plus de cent fois entre octobre 1791 et août 1792. À cette tribune se développe la phraséologie révolutionnaire de « vivre libre ou mourir ». Ce sera un formidable tremplin pour lancer des idées, « chauffer » l’opinion, expérimenter les tactiques de groupes de pression pour coordonner les votes à l’Assemblée. Celle-ci deviendra au cours des mois la chambre d’enregistrement des décisions prises à main levée au club.
Au fond, une des deux tribunes du public a été construite dans l’ancien chœur. La salle était ornée de plusieurs bustes, comme celui de Mirabeau.
Les séances s’y tiennent jusqu’à la fermeture du club, le 9 thermidor an II, à la chute de Robespierre. L’esprit des jacobins survit pourtant dans le Club du Panthéon fermé en ventôse an IV (mars 1796). La Constitution de l’an VIII met définitivement fin à l’existence des clubs.
Interprétation
En 1789, les clubs, qui rassemblent les citoyens indépendamment de l’ordre auquel ils se rattachaient sous l’Ancien Régime, expriment la nouvelle conception du corps social.
Pendant la Révolution, les réunions politiques se font dans d’anciens lieux de culte, souvent dans un environnement d’images pieuses et de signes religieux. Avec la confiscation des biens du clergé se révèle à tous la fragilité de l’Église, toute-puissante sous l’Ancien Régime, mais qui ne peut plus donner à ces édifices la dimension spirituelle à laquelle leur architecture les destinait. Aux Jacobins, comme dans tous les lieux religieux désaffectés, l’environnement évoque vite des croyances brocardées, un culte discrédité, une morale dépassée. L’accent des débats et la mentalité même de ceux qui s’y affrontent ont sans doute été marqués par cette atmosphère.
Le Club des jacobins joue aussi un rôle de modèle : partout en France, la pratique jacobine organise ses lieux de réunion selon les mêmes dispositions.
Bibliographie
Victor R. BELOT et Jean-Jacques LEVEQUE, Guide de la Révolution française, Paris, Ed. Horay, 1986.Michel GASNIER, Les Dominicains de Saint-Honoré, histoire et préhistoire du Club des Jacobins, Paris, Ed. du Cerf, 1950.Gérard MAINTENANT, Les Jacobins, Collection Que sais-je ?, Paris, P.U.F., 1984.Gérard WALTER, Histoire des Jacobins, Paris, Aimery Somogy, 1946.
Notes
1. Le matin, en combattant violemment à l'Assemblée constituante un décret contre l'émigration réclamé par les clubs, les journaux et l'aile avancée des députés, il a suscité la méfiance. Des rumeurs ont provoqué, ce même jour l'attaque du donjon de Vincennes par le peuple mené par Santerre et, aux Tuileries, l'affaire des " chevaliers du poignard " : plusieurs centaines de gentilshommes venus porter renfort à la famille royale viennent d'être désarmés, évacués et malmenés par la garde nationale.
Pour citer cet article
Luce-Marie ALBIGÈS, « Le club des Jacobins de Paris », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 02 mars 2021. URL : http://histoire-image.org/de/etudes/club-jacobins-paris