
Inauguration de la Mosquée de Paris
Auteur : MANUEL Henri
Lieu de conservation : médiathèque du Patrimoine et de la photographie (MPP)(Charenton-le-Pont)
site web
Date de création : 1926
Date représentée : 16 Juillet 1926
Photographie
© Ministère de la Culture -Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Henri Manuel
MAN 472V - 12-585019
Inauguration la Grande mosquée de Paris (1926)
Date de publication : Avril 2022
Auteur : Guillaume BOUREL
Un hommage aux soldats musulmans de l’empire
Le projet de construction d’une mosquée à Paris traverse tout le XIXe siècle avec l’ambition d’en faire l’instrument du rayonnement de la France dans le monde musulman. L’idée renaît dans un tout autre contexte, celui de la Première Guerre mondiale. Porté par Hubert Lyautey, résident général au Maroc, le projet est approuvé dès 1916 par la Commission interministérielle des Affaires musulmanes puis soumis à l’assemblée en 1920. La mosquée de Paris correspond à un geste de reconnaissance envers les 73000 soldats Nord-Africains morts au front. En 1922, Kaddour Benghabrit, ministre plénipotentiaire du roi du Maroc, protectorat français depuis 1912, en pose la première pierre en présence de Lyautey. Sa construction est confiée aux architectes avec lesquels Lyautey a travaillé au Maroc. Le 15 juillet 1926, le Président de la République française et le roi du Maroc inaugurent la mosquée. Le gouvernement a tenu à ce que l’évènement bénéficie d’une large publicité. La photographie est réalisée par Henri Manuel à la fois portraitiste et photographe officiel du gouvernement qui lui a commandé de nombreux reportages, sur la Première Guerre mondiale, les hôpitaux, les prisons et cette inauguration.
Le Maroc au cœur de la politique musulmane française
Henri Manuel saisit les préparatifs de la pose des personnalités politiques pour les objectifs de la presse, dans une mise en scène très protocolaire. Sont assis au centre le Président de la République Gaston Doumergue et le roi du Maroc Moulay Youssef, les deux chefs d’État semblant ainsi placés sur un pied d’égalité. Ils sont séparés par le chef de la maison militaire de l’Elysée légèrement en arrière. A gauche de l’image, le Président discute avec Édouard Herriot, président de l’Assemblée nationale, troisième personnage de l’État mais qui est également présent en sa qualité d’ardent défenseur du projet depuis le début. Les ministres marocains, Ahmed el Jai, grand vizir des Habous (1) et le grand Vizir el Mokri, sont placés derrière Doumergue et non le roi. Kaddour Benghabrit se tient au premier plan car il vient d’être nommé recteur de la mosquée et en supervise donc la cérémonie d’inauguration.
La scène se déroule à l’entrée de la salle de prière. Le cadrage permet de montrer les éléments architecturaux marocains comme les zelliges (2) et de style andalou dont se sont inspirés les architectes français : la porte en bois travaillées en moucharabieh (3) ou la calligraphie arabe cursive des inscriptions.
Reconnaître l’islam en contexte colonial
Le photographe révèle la dimension très politique d’une inauguration où les autorités marocaines semblent spectatrices. La construction de la mosquée associe la reconnaissance de la IIIe République envers le sacrifice des soldats musulmans et l’ambition de préserver le patrimoine architectural marocain et il s’agit finalement de mettre en avant l’œuvre de la France protectrice, voire sauveur, de la culture arabo-musulmane. L’objectif saisit également par inadvertance le rôle central de Kaddour Benghabrit qui devient à cette occasion le premier recteur de la mosquée. Ce dernier a largement contribué au financement de l’édifice. L’État français, par une loi de juillet 1920, a certes accordé une subvention de 500000 francs à la Société des Habous et Lieux saints, association cultuelle créée en 1917 et dont les membres sont nommés par les autorités coloniales. Au nom de la Société des Habous, Benghabrit a collecté, à travers le monde musulman, les 9 millions de francs nécessaires à la construction. Benghabrit est alors ministre du roi du Maroc, mais à ce titre il est en fait nommé par le Quai d’Orsay dont il reçoit les instructions. Son statut ambivalent révèle qu’il s’agit d’abord une affaire politique pour les autorités françaises : la mosquée est la vitrine d’une France qui se rêve grande puissance dans le monde musulman. Son inauguration coïncide d’ailleurs avec la victoire française sur Abdelkrim dans le Rif marocain. Abdelkrim (4) qui a tenté d’ébranler la domination coloniale espagnole et française sur le Maroc se rend en effet le 26 mai 1926 (5). On comprend pourquoi le nationaliste algérien Messali Hadj (6) a critiqué cette « mosquée-réclame ».
Pascal Le Pautremat, La politique musulmane de la France au XXe siècle, Maisonneuve et Larose, 2003
Pierre Vermeuren, La France en terre d’Islam. Empire colonial et religions, XIXe-XXe siècles, Paris, Belin, 2016
1 - Habous : biens religieux, inaliénables en droit coranique.
2 - Zellige : mosaïque de couleurs composées de morceaux de faïence, dont la technique est originaire du Maroc.
3 - Moucharabieh : panneaux de bois ajourés décorant les édifices orientaux permettant de voir sans être vu
4- Abd el-Krim (1882-1982) : Marocain, il soulève le Rif contre les Espagnols et les Français et proclame la République indépendante du Rif. En mai 1926, il doit se rendre, il est exilé à la Réunion. Ramené en France en 1947, il s'échappe et se réfugie au Caire où il meurt.
5 - Guerre du Rif : guerre de 1921 à 1926, la France y intervient aux côtés de l’Espagne à partir de 1925.
6 - Messali Hadj (1898-1974) : il fonde le premier mouvement nationaliste en 1926 l’Étoile nord-africain et revendinque l'indépendance de l'Agérie
Guillaume BOUREL, « Inauguration la Grande mosquée de Paris (1926) », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 29/09/2023. URL : histoire-image.org/etudes/inauguration-grande-mosquee-paris-1926
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