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Juives au balcon, Alger

Juives au balcon, Alger

Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web

Date de création : 1849

Date représentée :

H. : 37,5 cm

L. : 25,5 cm

Huile sur bois.

Domaine : Peintures

© GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

Lien vers l'image

RF 3882 - 20-502048

Juives d'Alger au balcon de Chassériau

Date de publication : Janvier 2007

Auteur : Alain GALOIN

Élève de Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), mais plus tard fortement influencé par Paul Delaroche (1797-1856) et Eugène Delacroix (1798-1863), Théodore Chassériau découvre l’Afrique du Nord à l’occasion d’un voyage qu’il y effectue en 1846. Il séjourne pendant trois mois à Constantine et à Alger, à l’invitation du calife Ali Ben Ahmed dont il avait fait le portrait en 1845. Au retour de ce voyage, il devient un puissant coloriste, comme en témoigne cette œuvre lumineuse.

La naissance de Théodore Chassériau à Saint-Domingue, aux Antilles, d’une mère probablement métisse et d’un père français, le prédispose à comprendre l’âme orientale, mais l’Orient de sa peinture et de ses dessins ne se limite pas à la fantaisie exotique et à l’évasion. Il ne peut être insensible à la politique coloniale de la France. À côté de rares scènes de harem, il peint la guerre moderne, mais comme à distance, déclinant à l’envi des images de spahis ou de cavaliers arabes, comme son Caïd visitant un douar (1849) ou son Combat de cavaliers arabes (1856). Il observe les populations conquises de Constantine et d’Alger, espérant y retrouver « la race arabe et la race juive comme elles étaient à leur premier jour ». Il cherche l’Orient comme il cherche à retrouver l’Antiquité.

C’est un Orient à deux faces que celui de Théodore Chassériau : à un Orient brutal – celui de la conquête coloniale – s’oppose un Orient que l’on peut déjà qualifier d’ethnographique, au parfum souvent capiteux, et où la femme tient une place de choix. L’islam interdisant la représentation de la figure humaine, faire des croquis d’une musulmane pourrait se révéler dangereux. Chassériau prend plutôt des Juifs pour modèles, plus faciles à côtoyer que les Arabes, surtout pour les sujets féminins et intimes. Bien qu’aucun détail ne le suggère explicitement, on peut supposer que les modèles des Juives au balcon, Alger appartenaient effectivement à cette communauté : en effet, contrairement aux musulmanes, les Juives ne sortaient pas voilées et avaient la possibilité de recevoir des hommes étrangers chez elles, donc éventuellement des artistes. En revanche, ses nus mauresques – comme Un bain au sérail (1849), où il traite le thème éternel et sensuel de la femme au bain – sont faits d’après des modèles parisiens et révèlent un Orient fantasmagorique et idéalisé.

Cette scène s’inspire de divers croquis pris sur le vif par l’artiste à Alger et qu’il a annotés de sa main. Visible à travers les jours de la balustrade de bois sculpté, la ville blanche, baignée de lumière, rappelle Alger, mais aucun détail topographique ne permet de l’identifier.

Deux femmes vues de dos sont accoudées sous une arcade géminée revêtue d’une céramique au décor à peine esquissé, ouverte dans l’épaisseur d’une loggia. Elles conversent à l’ombre, indifférentes à la ville qui s’étend à leurs pieds. Leur pur profil est manifestement un héritage du langage néoclassique acquis par Chassériau dans l’atelier de son maître Ingres. Leur costume est typique de Constantine. Elles sont vêtues de gandouras comme on en porte dans l’Est algérien, robes à panneaux cintrées et évasées vers le bas, en soie verte à croisillons et rosaces pour la femme de droite, rouge à bandes et fleurs obliques brochées d’or pour la femme de gauche. En dessous elles portent un vêtement dont les manches sont en gaze blanche brodée d’or, d’argent et de soie. Les foulards frangés, modestes ceintures autour de leur taille, font partie de la tenue d’intérieur, tout comme la chéchia à pans longs de la femme de droite. L’écharpe de soie portée au-dessus du cône et flottant sur les épaules de la femme de gauche est réservée aux femmes mariées. La sobriété des bijoux, bagues et bracelets prouve que Chassériau a vu les deux femmes chez elles, un jour ordinaire, les riches parures étant réservées aux fêtes. La présence du récipient en argent posé sur le sol au premier plan est insolite. Il est ordinairement utilisé en cuisine, ou pour conserver friandises et divers objets, et posé sur une étagère.

Nous ne sommes pas ici dans l’espace clos d’un sérail où les femmes ne peuvent observer ce qui se passe à l’extérieur qu’à travers les moucharabiehs, grillages ouvragés qui les dissimulent aux regards dans les belvédères en saillie des maisons. Les deux femmes se donnent à voir au balcon, et si l’on ne distingue pas le paysage en contrebas, une belle échappée de ciel bleu occupe toute la partie supérieure du tableau.

Avec la conquête de l’Algérie en 1830, les échanges, missions et voyages officiels se multiplient et donnent un élan prodigieux à l’orientalisme. Le gouvernement français encourage les artistes à s’y rendre afin de faire connaître ce pays à travers les œuvres qu’ils exposeront au Salon annuel. Dès 1830, les premiers peintres croquent sur le vif les combats et les hauts faits de l’armée française en Algérie, des missions « artistiques » qui se perpétueront jusqu’à la Première Guerre mondiale.

Loin de ces scènes historiques, des artistes comme Eugène Delacroix (1798-1863), Eugène Fromentin (1820-1876), Théodore Chassériau (1819-1856) ou Gustave Guillaumet (1840-1887) apportent une vision où s’expriment leur fascination et leur engouement pour ce pays.

Certaines cités d’Orient se font très accueillantes pour les artistes. Le Caire met même des ateliers à leur disposition, et les voyages s’organisent facilement à partir d’Alger, d’Alexandrie ou de Constantinople. Le peintre réalise alors des esquisses ou des aquarelles pendant son expédition et conçoit l’œuvre définitive dans son atelier, à son retour en France. Soucieux d’exactitude et de réalisme, certains utilisent même la toute nouvelle technique de la photographie à la place des traditionnels croquis. C’est ainsi qu’Horace Vernet (1789-1863) réalise des daguerréotypes dès 1839. Pour améliorer la qualité de leur travail en atelier, les peintres collectionnent d’exotiques objets et costumes locaux qui leur permettent de peaufiner les détails de leurs œuvres.

L’Orient exerce une attraction particulière sur certains artistes, comme Gustave Guillaumet  qui n’hésite pas à partager la vie des populations pauvres du désert afin de fixer sur la toile, le plus fidèlement possible, des scènes de leur existence quotidienne. D’autres peintres vont jusqu’à s’installer définitivement en Afrique du Nord. Ainsi, lors d’un voyage à Marrakech en 1917, Jacques Majorelle (1886-1962) est séduit par le Maroc et décide de s’y fixer. De même, après plusieurs voyages en Algérie, la magie du désert amène Étienne Dinet (1861-1929) à s’installer dans l’oasis de Bou-Saada. Il apprend l’arabe et se convertit même à l’islam en 1913.

Régis POULET, L’Orient : Généalogie d’une illusion, Presses universitaires du Septentrion, Paris, 2002.

Edward W.SAÏD, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris, Le Seuil, 1980 (rééd.1994).

Marc SANDOZ, Théodore Chassériau, 1819-1856. Catalogue raisonné des peintures et estampes, Paris, A.M.G., 1974.

Lynne THORNTON, La Femme dans la peinture orientaliste, Paris, A.C.R. Éditions, 1996.

Lynne THORNTON, Les Orientalistes / Peintres voyageurs, Paris, A.C.R.Éditions, 1983 (rééd.2001).

Catalogue des peintures du Louvre, tome I, « École française », Paris, R.M.N., 1972.

Catalogue sommaire illustré des peintures du musée du Louvre et du musée d’Orsay, tome III, « École française », Paris, R.M.N., 1986.

Alain GALOIN, « Juives d'Alger au balcon de Chassériau », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/juives-alger-balcon-chasseriau

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