Louis XIV recevant Louis II de Bourbon, dit le Grand Condé, à Versailles après la bataille de Senef, novembre 1674
Auteur : DOËRR Charles
Lieu de conservation : musée national du château de Versailles (Versailles)
site web
Date de création : 1857
Date représentée : novembre 1674
H. : 81,5 cm
L. : 99,5 cm
huile sur toile
Domaine : Peintures
© RMN - Grand Palais (château de Versailles) / Gérard Blot
MV 1934 / 08-510288
Louis XIV reçoit le Grand Condé dans le Grand Escalier de Versailles après sa victoire de Seneffe en 1674
Date de publication : Décembre 2019
Auteur : Stéphane BLOND
La gloire par les armes
Charles Doërr est l’élève de Léon Cogniet (1794-1880), peintre de scènes historiques dont l’influence est indéniable au sein de ce tableau présenté au Salon des artistes français en 1857. Depuis plus de vingt ans, l’artiste multiplie les toiles qui ont pour sujet de grands événements, en particulier pendant l’Antiquité. À partir de 1846, il expose au Salon.
Le critique d’art Louis Auvray, secrétaire-administrateur du Comité central des artistes, tient un catalogue des œuvres qui évoque la mode perpétuée de la peinture historique lors du Salon de 1857, mais il ne cite pas le tableau de Doërr, dont la notoriété est tardive.
Traditionnellement, la peinture d’histoire est alors orientée vers des acheteurs officiels, ce que confirme Catherine Granger qui recense le Retour du Grand Condé dans la liste civile de Napoléon III. L’empereur l’achète à l’issue du Salon, avec une série d’autres œuvres destinées à des musées, ce qui permet également de soutenir des artistes. Vingt ans plus tard, la toile est attestée dans l’appartement du questeur du Sénat, installé à Versailles, ce qui étaye la thèse d’un achat pour cette institution.
L’artiste prend comme sujet d’étude la commémoration d’une bataille emblématique du début du règne personnel de Louis XIV. En 1672, le roi de France déclare la guerre à la république calviniste des Provinces-Unies. Après l’échec de la conquête de la Hollande, les troupes françaises se retrouvent face à une coalition ennemie au cœur des Pays-Bas espagnols. Le 11 août 1674, le combat fait rage près du village de Seneffe. L’armée française est dirigée par Louis II de Bourbon-Condé (1621-1686), dit le Grand Condé, redoutable stratège mis à l’honneur sur ce tableau.
Un chef de guerre reçu en héros
La scène représente l’accueil du chef victorieux par la cour du roi de France, en résidence à Versailles, alors que le palais est en travaux.
L’artiste commet un anachronisme dans le traitement de la scène, qu’il place dans l’escalier qui mène au Grand Appartement de la reine, alors que celui-ci n’est achevé qu’en 1680. En 1878, le peintre Jean-Léon Gérôme reproduit la même scène, mais prend pour cadre l’escalier des Ambassadeurs. Ce dernier accueille les réceptions et mène au Grand Appartement du roi, où se tiennent les événements majeurs du royaume. Cet escalier est détruit au milieu du XVIIIe siècle mais, comme l’escalier de la Reine connaît peu de modifications depuis le règne de Louis XIV, l’artiste le préfère probablement comme modèle, notamment en s’y rendant pour réaliser sa composition.
Le Grand Condé, personnage dont la gloire militaire est née avec la victoire de Rocroi en 1643, se présente avec respect devant le souverain. Harassé par la goutte, il s’appuie sur sa canne et rejoint lentement le palier où se tient la famille royale, avec le roi, la reine et le dauphin âgé de 13 ans.
L’artiste se place au cœur de l’événement, dans un coin de la cage d’escalier, afin de proposer une vue élargie malgré une œuvre de taille réduite. Les jeux de lumières et les différents plans concentrent le regard du spectateur vers le centre de la toile, alors que les personnages n’ont d’yeux et d’admiration que pour le chef de guerre, à la manière du roi qui tend son bras gauche pour l’accueillir.
Au sein du décor bigarré des marbres, les courtisans sont parés d’habits luxueux et colorés qui font de la cour de Louis XIV un modèle vestimentaire pour toute la noblesse.
L’écrivain Jules Verne est séduit par cette mise en scène : « Le coloris de cette toile a une singulière rudesse dont il ne faut pas trop se plaindre, car elle provoque un éclat merveilleux et montre toute l’opulence de la palette de M. Charles Doërr. »
Le chef militaire se présente en armure, comme s’il arrivait du champ de bataille, alors que la réception se déroule en novembre, deux mois après le choc des armes.
Un empereur digne du roi de guerre
Malgré une composition empreinte d’empathie, c’est la politique guerrière de Louis XIV que Charles Doërr met en avant, en particulier la stature du roi vainqueur. À la manière du passage du Rhin, Seneffe devient un sujet de propagande dans les semaines qui suivent la bataille, une logique qui perdure au milieu du XIXe siècle lorsque l’artiste cherche un sujet emblématique du Grand Siècle. Le souverain reçoit le premier prince du sang, dont la fidélité a été éprouvée lorsqu’il prend la tête de la Fronde des princes contre les troupes de son royal cousin. Dans son œuvre historicisante, l’artiste évoque le pardon du roi de France, capable d’honorer à sa juste valeur un chef militaire avec une cérémonie hautement symbolique.
Sur le terrain, la situation militaire est beaucoup plus contrastée que le message artistique véhiculé. Si les soldats français, en nette infériorité numérique, repoussent les assauts des coalisés, les pertes humaines sont telles que l’idée de victoire est écartée. Esseulée sur la scène internationale en 1674, la France est parvenue à éviter l’invasion du royaume grâce à l’action stratégique d’un homme. Néanmoins, le prince est placé légèrement en contrebas par rapport au souverain, afin de démontrer que seul le roi, chef des armées, recueille les lauriers de la victoire. Le chef cuirassé est suivi par ses compagnons d’armes qui portent les drapeaux pris à l’ennemi.
Près de deux siècles après la bataille, l’acquisition de l’œuvre par Napoléon III révèle les liens qui unissent le pouvoir et les artistes, sous la conduite d’Émilien de Nieuwerkerke, directeur des Musées de France et intendant des Beaux-Arts de la Maison de l’empereur. Ce soutien traduit les choix esthétiques et historiques de l’empereur, avec une toile qui place la politique du moment dans la lignée de celle des grands souverains de l’Ancien Régime.
Crédité d’une large victoire aux élections législatives de 1857, un an après la fin de la guerre de Crimée et la défaite de la Russie, le sujet choisi par Charles Doërr flatte le goût de l’empereur pour les tableaux d’histoire militaire. Par procuration, ils font aussi de lui un chef de guerre digne de ses prestigieux prédécesseurs.
Depuis 2010, la toile a rejoint l’aile nord des Ministres du château de Versailles.
BÉGUIN Katia, Les princes de Condé : rebelles, courtisans et mécènes dans la France du Grand Siècle, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Époques », 1999.
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DELDICQUE Mathieu (dir.), Le Grand Condé : le rival du Roi-Soleil ?, cat. exp. (Chantilly, 2016-2017), Chantilly, domaine de Chantilly / Gent, Snoeck, 2016.
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HASQUIN Hervé, Louis XIV face à l’Europe du Nord : l’absolutisme vaincu par les libertés, Bruxelles, Racine, coll. « Les racines de l’histoire », 2005.
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Stéphane BLOND, « Louis XIV reçoit le Grand Condé dans le Grand Escalier de Versailles après sa victoire de Seneffe en 1674 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 30/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/louis-xiv-recoit-grand-conde-grand-escalier-versailles-apres-sa-victoire-seneffe-1674
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