Paysage avec une rivière au loin et baie.
La Vague.
Jeunes filles au bord de la mer.
Paysage avec une rivière au loin et baie.
Auteur : TURNER Joseph
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
H. : 93,5 cm
L. : 123,5 cm
peinture à l'huile sur toile
Domaine : Peintures
© RMN - Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau
RF 1967-2 - 14-528829
La vision de la mer au XIXe siècle
Date de publication : Novembre 2007
Auteur : Ivan JABLONKA
Avant 1750, les espaces océaniques n’attirent guère que les marins. Au XVIIe siècle, Claude Gellée, dit Le Lorrain, est l’un des rares peintres à en donner dans ses Vues de port par exemple, une image sereine. Les mots de la mythologie classique et de la Bible peuplent les mers de dangers multiples, auxquels la persistance des actes de piraterie donne un caractère bien réel.
Cette image s’estompe peu à peu dans les consciences occidentales, à la faveur d’un processus de familiarisation auquel contribuent le succès des grands voyages circumterrestres et le développement des marines marchandes ouest-européennes, mais aussi la diffusion au début du XVIIIe de la théologie naturelle, qui fait valoir que les océans et les littoraux ont été voulus par Dieu, la popularisation des écrits de Bernardin de Saint-Pierre, chantre des rivages lointains et l’essor de la sensibilité romantique qui puise une part de son imagination dans la contemplation de la nature. De 1750 à 1840 se produit ce que l’historien Alain Corbin appelle l’ « irrésistible éveil du désir collectif des rivages ». Un nombre croissant de médecins prescrivent le séjour à la mer pour son air salé et ses bains froids ; les mers attirent les romantiques, les mélancoliques et tous « ceux qui, par crainte du miasme, s’en viennent côtoyer l’écume ».
Cet attrait nouveau se reflète dans la peinture du XIXe siècle. Certes, au XVIIe siècle et au XVIIIe, les tempêtes des maîtres hollandais, les mouillages mythiques du Lorrain, les ports florissants de Vernet, les rêveries silencieuses de Friedrich témoignaient déjà d’une fascination pour les espaces maritimes, mais le XIXe siècle approfondit et diversifie son « désir du rivage ». De quelle manière ?
Au début du siècle, l’observateur aime laisser son œil errer, se perdre dans ces étendues infinies qu’aucune limite visuelle ne vient borner. Le panorama de l’Anglais Turner évoque un désir d’évasion. Sa palette simple, dont les bruns, les beiges clairs, les gris adoucis et le blanc lumineux éblouissent, anime de miroitements et de vibrations un paysage amphibie où la terre, la mer et le ciel, surfaces indistinctes, s’interpénètrent au sein d’une composition volontairement peu structurée. Méandres, sable mouillé, embruns, brouillards et vapeurs effacent les limites entre les trois éléments. Ce rivage romantique invite à la rêverie, voire à la mélancolie, mais, mêlant « les sédiments millénaires et les dépôts éphémères », il provoque aussi un sentiment du temps vertigineux.
La Vague de Courbet n’a pas la légèreté des paysages de Turner. Au cours de son séjour à Étretat, à l’été 1869, le peintre a pu observer par la fenêtre de sa maison plusieurs tempêtes. La Vague, réalisée en même temps que La Falaise d’Étretat après l’orage et présentée, avec son pendant, au Salon de 1870, représente une déferlante frangée d’écume qui va s’abattre sur la plage. Les lourds nuages gris noir roulent de manière menaçante ; la Manche, d’un vert profond, est démontée ; la richesse de la matière étalée au couteau, accuse la massivité des nuages et de la vague, et rend particulièrement tangible la force des éléments. L’énergie et la sauvagerie qui se dégagent de cette toile peinte comme un drame justifient les propos de Cézanne, pour lequel la marée de Courbet vient « du fond des âges ».
C’est au contraire une image de sérénité qu’offre la toile du symboliste Puvis de Chavanne. Deux femmes allongées rêvent sur le rivage, tandis qu’une seule contemple la mer en coiffant ses magnifiques cheveux ; leur corps sculptural est pudiquement couvert d’un drapé à l’antique. Le mystère de cette scène intemporelle, l’attitude de la femme qui nous fait face, le dégradé de l’ocre blond au rose pâle, l’orangé du crépuscule créent une atmosphère intemporelle qui évoque l’Arcadie des auteurs classiques.
Ces trois toiles, dans leurs différences et leur proximité, apportent des éclairages sur la complexité du « désir du rivage » au XIXe siècle. Le rêve de Puvis et, dans une certaine mesure, le paysage de Turner, mettent en scène une mer sereine qui invite à une méditation teintée de mélancolie. À l’opposé, La Vague de Courbet ressortit au monde d’horreur et d’épouvante qui est déjà celui des Brisants à la pointe de Granville d’Huet et celui du Radeau de la Méduse de Géricault, c’est-à-dire de la génération romantique. On y tremble d’un « effroi provoqué par la mer en fureur, l’agitation broyeuse des vagues, la morsure des récifs acérés » (A. CORBIN, Le Territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage (1750-1840), Aubier, 1988, p. 71).
Dans tous les cas, l’attirance pour l’océan est à mettre en relation avec les peurs et les répugnances des classes dominantes au XIXe siècle. Nostalgie des espaces non souillés, besoin de se ressourcer et de se purifier, recherche de l’authenticité d’une nature encore sauvage : de même que le désir du rivage s’alimente au dégoût pour la ville, de même la mer permet de calmer les anxiétés d’une bourgeoisie urbaine qui se sent menacée par la saleté, l’épuisement et la dégénérescence. Selon l’opinion des médecins de l’époque, la mer permet même de lutter « contre la mélancolie et le spleen ».
« Territoires du vide » jusque dans les années 1840, havres de pureté ou pôles de violence chéris pour les émotions qu’ils suscitent, les rivages se remplissent au cours du siècle de curistes et de baigneurs fortunés, avant de devenir à partir des années 1950-1960 le lieu privilégié des vacances estivales pour toutes les couches de la société.
Alain CORBIN, Le Territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage (1750-1840), Paris, Aubier, 1988.
Alain TAPIE (dir.), Désir de rivage ; de Granville à Dieppe, le littoral normand vu par les peintres entre 1820 et 1945, catalogue de l’exposition du musée des Beaux-Arts de Caen (1er juin – 31 août 1994), Caen, musée des Beaux-Arts, Paris, RMN, 1994.
Ivan JABLONKA, « La vision de la mer au XIXe siècle », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 22/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/vision-mer-xixe-siecle
Lien à été copié
Découvrez nos études
Femmes à la cigarette dans les années 1920
L’image d’une femme coiffée à la garçonne faisant tressauter son long collier de perles sur une piste de danse et une musique de…
Parcs et jardins parisiens
Les grands travaux menés à Paris par le baron Haussmann, préfet de la Seine de 1853 à 1870, ont modelé un…
Portrait d’une famille bourgeoise
Au milieu du XIXe siècle, la grande bourgeoisie, à la fois actrice et bénéficiaire de la révolution industrielle, cherche à laisser à…
Grandjouan, militant radical
La IIIe République ancre les pratiques démocratiques en France mais est loin de satisfaire les…
Portraits à la Bourse
Daumier et les critiques d’art
Au début du XIXe siècle, le Salon annuel de peinture et de sculpture a acquis une importance…
Madame Récamier
Fille d’un notaire promu conseiller de Louis XVI, Jeanne Bernard (qui se fait appeler Juliette) épouse en 1793, à quinze ans, le banquier Jacques-…
Enterrement de la IIe République
Singulier destin que celui de cet enterrement de campagne ! Symbole de l’ordure moderne pour les contemporains, chef-d’œuvre révéré aujourd’hui,…
Daumier et les amateurs d'art
Le XIXe siècle français connaît un élargissement du cercle des amateurs d’art au moins égal à celui…
Promenades aériennes
Nicolas Beaujon (1708-1786), banquier à la cour de Louis XVI fait construire une folie entre le faubourg Saint-Honoré et les…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel