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Reproches d'Hamlet à Ophélie

Reproches d'Hamlet à Ophélie

Le Chant et la folie d'Ophélie

Le Chant et la folie d'Ophélie

Le Suicide d'Ophélie

Le Suicide d'Ophélie

Reproches d'Hamlet à Ophélie

Reproches d'Hamlet à Ophélie

Date de création : 1834-1843

Date représentée :

H. : 54 cm

L. : 36,5 cm

Suite lithographique, folio 5.

Lithographie

Domaine : Estampes-Gravures

© GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

Lien vers l'image

MD 1968 12 - 18-538459

Hamlet de Shakespeare traité par Delacroix

Date de publication : Mars 2016

Auteur : Catherine AUTHIER

La découverte de Shakespeare

La parution des œuvres de Shakespeare traduites par Ducis suscite dès l’Empire un certain intérêt pour le théâtre anglais. L’anglomanie connaît alors une vogue qui s’épanouit à Paris, sous la Restauration. L’intelligentsia et la haute société se passionnent pour la littérature de Byron, la peinture de Constable et même le style vestimentaire à l’anglaise, à l’origine du dandy. La création du drame shakesperien Otello de Rossini au Théâtre Italien de Paris (le 5 juin 1821) représente un événement capital dans l’histoire des spectacles au XIXe siècle. L’opéra précède en effet la venue des comédiens anglais de la troupe Penley au Théâtre de la Porte-Saint-Martin en 1822, qui déclenchera un vaste mouvement de découverte de Shakespeare, étroitement associé à la naissance du drame romantique et de son pendant musical, le grand opéra. Delacroix a pu, pour sa part, approfondir dans le texte sa connaissance du grand dramaturge dès 1820, grâce à Charles Soulier qui lui enseigne l’anglais. Mais c’est en mai 1825 qu’il découvre, lors d’un voyage à Londres, l’énergie des personnages shakespeariens dans Richard III, Henri VI, Othello et La Tempête. Deux ans plus tard, comme Hugo, Vigny, Dumas, Nerval et Berlioz, il assiste aux représentations d’Hamlet à l’Odéon. Entre 1824 et 1859, le peintre consacrera à Shakespeare une vingtaine de peintures dont la moitié traitent d’Hamlet.

Delacroix et Hamlet

Delacroix a appris les techniques de l’eau-forte et de la lithographie dans les années 1820. Après le succès que ses caricatures et ses planches documentaires rencontrent au Salon, il aborde le portrait gravé, puis l’illustration avec ses premiers chefs-d’œuvre : Faust et Hamlet. Il y révéle un réel intérêt pour le noir et blanc qui, tout au long de son œuvre, complétera son travail sur la couleur, dans un équilibre entre la peinture, l’estampe et le dessin.

La suite lithographique que Delacroix consacre à Hamlet entre 1834 et 1843 constitue le témoignage le plus complet de l’admiration que le peintre a portée toute sa vie à l’œuvre de Shakespeare. Il ne s’agit nullement d’une illustration harmonieuse des cinq actes de la pièce de théâtre, mais de véritables créations où fusionnent les impressions de théâtre de l’artiste les plus chargées, à ses yeux, d’intensité émotionnelle.

Les trois estampes montrent un parti pris d’austérité avec très peu de personnages, un décor réduit à l’essentiel et un cadrage très resserré sur les figures qui met en valeur l’expression des attitudes et des visages.

La scène du cabinet où Hamlet vient à la rencontre d’Ophélie rappelle dans la composition et le décor « Marguerite au rouet ». Ophélie y apparaît hésitante, prostrée, assise en pleine lumière, les jambes dans l’ombre, les mains crispées sur les genoux. Elle a l’air accablé pendant qu’Hamlet la regarde par-dessus son épaule et la repousse, le bras tendu vers elle. L’emploi du clair-obscur et des diagonales tranchantes souligne la tension générale dans le tableau malgré une certaine naïveté dans le dessin qui, selon Yves Bonnefoy, trahit un trouble profond chez l’artiste.

L’estampe évoquant la scène du chant et de la folie d’Ophélie semble directement issue des souvenirs de théâtre du peintre. On y retrouve les artifices spéciaux qui frappèrent le public de l’époque et dont rendit compte la presse : « Ses soupirs, sanglots, frémissements, ses cris fous, ses chants, ses silences, ses yeux bleus expressifs et sa peau blanche, la voix qui tombe et l’emploi inventif d’un long voile noir la rendent immédiatement palpable comme folle. »

La mort d’Ophélie est un sujet qui inspirera le peintre toute sa vie (il en fera trois versions en peinture). Dès sa jeunesse, Delacroix s’intéresse au thème traditionnel des jeunes femmes au bain, copie les naïades peintes par Rubens pour L’Embarquement de Marie de Médicis (musée du Louvre), faisant preuve d’une véritable science des reflets lumineux sur les chairs mouillées, mais aussi d’une certaine maladresse dans le rendu des objets flottants. Le cadrage horizontal de la scène, la position du corps allongé avec une main qui s’accroche encore aux branches, son aspect d’esquisse, accentuent le caractère tragique et irrémédiable de la mort. Il décrit lui-même la mort par noyade d’Ophélie comme « une branche fleurie à demi-tombée dans les flots ».

Absence de succès

Illustrant le rôle essentiel joué par le théâtre dans la naissance du romantisme, les gravures de Delacroix ne remportèrent pourtant aucun succès auprès du public, et L’Artiste alla même jusqu’à évoquer des « pages désolantes » que l’artiste aurait mieux fait de garder dans ses cartons. Certains critiques d’art précurseurs comme Paul de Saint-Victor dans La Presse du 31 mai 1864 furent cependant enthousiasmés : « Relisez Hamlet en le confrontant avec les lithographies d’Eugène Delacroix, le drame prendra vie et souffle et s’illuminera de lueurs nouvelles. Il a revêtu de leur forme propre les personnages flottants entre la vie et le rêve ; on ne saurait désormais les imaginer sous d’autres traits que ceux qu’il leur a prêtés. […] Eugène Delacroix, avec son sens profond des choses poétiques, a compris qu’Hamlet était avant tout un drame mystérieux, et que vouloir l’interpréter trop littéralement, ce serait en quelque sorte violer un sépulcre. »

Bram DIJKSTRA, Les Idoles de la perversité, Paris, Le Seuil, 1992.

Anne MARTIN-FUGIER, Comédiennes. Les Actrices en France au XIXe siècle, Paris, rééd. Complexe, 2008.

Anne MARTIN-FUGIER, Les Romantiques, Paris, Hachette, coll. « La Vie quotidienne », 1998.

Mario PRAZ, La Chair, la mort et le diable dans la littérature du XIXe siècle, Paris, Denoël, 1977.

Jean-Claude YON, Histoire culturelle de la France au XIXe siècle, Paris, Colin, 2010.

Catherine AUTHIER, « Hamlet de Shakespeare traité par Delacroix », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 24/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/hamlet-shakespeare-traite-delacroix

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