Portrait-charge du Général Boulanger.
Quesnay de Beaurepaire.
Paul Déroulède.
Maurice Barrès.
Portrait-charge du Général Boulanger.
Auteur : ROQUES Gabriel
Lieu de conservation : musée national du château de Compiègne (Compiègne)
site web
Domaine : Dessins
© Photo RMN - Grand Palais - D. Arnaudet
98-010016 / MM.1322
Le Boulangisme
Date de publication : Février 2007
Auteur : Alexandre SUMPF
Le général Boulanger et la crise de la république naissante
La chute de Napoléon III à Sedan, le 2 septembre 1870, entraîne la France dans une nouvelle crise politique qui provoque un changement de régime. Cette fois-ci, c’est une république, la troisième, qui est proclamée par Gambetta le 4 septembre à Paris. La France subit l’occupation prussienne, puis une guerre civile avec l’épisode de la Commune de Paris, et se trouve gouvernée pendant une décennie par une majorité monarchiste antirépublicaine. Les républicains conquièrent patiemment le pouvoir, en s’appuyant notamment sur l’extension progressive du suffrage universel (masculin).
L’explosion du phénomène boulangiste, aussi violente que brève (1887-1889), met à l’épreuve la république dans son principe de représentation populaire. Plébiscité par les électeurs de la France entière, l’ex-général Boulanger, ancien ministre de la Guerre, incarne l’homme providentiel pour des mouvances antiparlementaires extrêmes, de gauche comme de droite. Cette crise révèle les profondes tensions internes d’une France qui s’interroge sur son rôle dans le monde et d’une société qui peine à se structurer politiquement. Le succès de Boulanger indique surtout que la dimension personnelle du pouvoir – alimentée par les exemples des monarques et des empereurs – demeure une valeur dominante aux débuts de l’ère démocratique.
Portraits des protagonistes
Les dessins de Gabriel Roques se présentent toujours de la même façon : l’objet de la « charge » apparaît au centre de la composition, la taille de la tête est disproportionnée. Un titre et une légende encadrent ce portrait aisément identifiable, qui est en même temps une caricature. Roques a pris le parti de jouer sur l’acception commune du nom
« Boulanger », profession à laquelle le chat est souvent associée. La présence du petit animal, qui imite le pas du cheval de manière drolatique, renvoie à ce référent tout en accentuant le ridicule d’un chef qui ne serait qu’un pseudo- » lion ». Si le cheval de Boulanger obéit aux conventions du genre – fier trot guerrier et encolure cabrée et domptée –, son cavalier est ridiculisé. Quoique manifestement à la « revue » comme l’indique l’orientation de la tête, Boulanger apparaît en costume civil et en bottes de cavalier à éperons, sans sabre. Son calot fait penser à un tricorne déformé.
Les trois photographies que nous proposons en contrepoint ne seront pas employées en vue d’une véritable comparaison. Notons toutefois l’importance du cadrage et du costume. La collection Félix Potin – un des inventeurs de l’épicerie de grande consommation – consiste en de petites photographies cartonnées, où le titre de la collection et le nom du personnage sont placés sur un plan d’égalité. Quesnay de Beaurepaire (1838-1923) est le procureur général qui a requis contre Boulanger, Dillon et Rochefort, tous trois absents, en avril 1889 devant la Haute Cour de justice du Sénat. Il est en pied, en robe de magistrat, appuyé, comme il est d’usage dans le portrait officiel, sur ce qu’on imagine être des codes de loi. Paul Déroulède (1846-1914), fondateur de la Ligue des patriotes, pose pour Eugène Pirou (1841-1909) de face, en buste. Maurice Barrès (1862-1923), chantre de la droite nationaliste, apparaît comme le dandy qu’il était. Tous trois ont été des protagonistes marquants de la crise boulangiste.
Modes de diffusion de l’image au sein de la population
La « charge » dessinée par Gabriel Roques n’a pas pu être datée avec certitude. Elle s’inscrit toutefois dans le contexte iconographique chargé de Boulanger comme dans la tradition (détournée) de la représentation des chefs militaires. La statue équestre de l’imperator romain, puis du roi de France, les images d’Épinal qui détaillaient à l’envi les multiples uniformes de l’armée impériale, sont familières à l’œil du public. Mais ici, Boulanger est en costume civil, seul sur le fond blanc : c’est un militaire sans armée. Sa coiffe, un modeste calot sans attribut, symbolise sans doute la confusion politique qui règne dans le camp boulangiste. L’image même sous-entend que Boulanger n’est qu’image : Roques participe à la défense républicaine mise en place dès 1888.
La collection Félix Potin, publiée en album en 1900, comptait cinq cents célébrités ; la photographie cartonnée était offerte gratuitement pour tout achat dans le magasin parisien. S’il allait de soi que Barrès et Déroulède y figurent, la présence de Quesnay de Beaurepaire est tout à fait surprenante. Elle est liée à la fois à son rôle de défenseur de la république au moment de la crise boulangiste et à sa position ouvertement antidreyfusarde. Les deux affaires, menaces sur le régime proches dans le temps, apparaissent ainsi liées. Surtout, ce mode de diffusion populaire inédit, qui vient compléter la palette habituelle des dessins diffusés sur feuille volante ou par la presse, annonce les médias de masse du XXe siècle. Barrès ne disait-il pas lui-même que le général Boulanger était né du « désir des masses » ?
Adrien DANSETTE, Le Boulangisme, Paris, Fayard, 1946.
Annie DUPRAT, Histoire de France par la caricature, Paris, Larousse, 1999.
Raoul GIRARDET, Mythes et mythologies politiques, Paris, Le Seuil, 1986.
Jacques NÉRÉ, Le Boulangisme et la presse, Paris, Armand Colin, 1964 (rééd.2005).
Jean-François SIRINELLI (dir.), Les Droites françaises, de la Révolution à nos jours, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1992.
Michel WINOCK, La Fièvre hexagonale, Paris, Le Seuil, 1987.
Alexandre SUMPF, « Le Boulangisme », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 22/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/boulangisme
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