Frontispice d'un recueil de musique
Scène première de "L'Or du Rhin"
Richard Wagner
Richard Wagner
Frontispice d'un recueil de musique
Auteur : FANTIN-LATOUR Henri
Lieu de conservation : Palais des beaux-arts (Lille)
site web
H. : 30,5 cm
L. : 22,5 cm
Mine de plomb.
Inscriptions : Berlioz ; Brahms ; Schumann ; Wagner
Domaine : Dessins
© RMN - Grand Palais / Jacques Quecq d'Henripret
Inv.W.1938 - 00-019017
Le Génie wagnérien
Date de publication : Septembre 2008
Auteur : Marie-Pauline MARTIN
Wagner : une aura existant contre le temps et les frontières
De toute évidence, Richard Wagner n’apprécie guère la peinture « qui le laisse totalement froid », selon l’expression utilisée par Thomas Mann. Est-ce parce que la peinture contient l’imagination visionnaire du compositeur dans des bornes trop étroites, fixes et matérielles ? Le caractère visuel des œuvres de Wagner ne fait néanmoins aucun doute pour de nombreux artistes, et singulièrement en France. Dépassant largement le cadre du théâtre de Bayreuth, et par-delà même sa mort en 1883, l’aura du maître suscite un immense enthousiasme à Paris, propulse ses opéras sur la scène, motive même en 1885 la création d’une Revue wagnérienne, tout comme elle enflamme le désir de peindre.
L’année 1861 est tout d’abord décisive. Le musicien, alors exilé à Paris, fait jouer Tannhäuser sur la scène de l’Opéra ; les trois seules représentations suffisent pour soulever une vive polémique sur le « génie wagnérien », initiée et passionnément animée par Baudelaire. Le conflit engagé en 1870 entre la France et la Prusse nourrit davantage le débat ; une partie du public, nationaliste, se bute au caractère germanique de la musique du maître, tandis que les autres spectateurs, wagnériens convaincus, clament leur enthousiasme. Le peintre Henri Fantin-Latour est l’un d’eux : passionné de musique, il est l’un des rares témoins de la création du Ring à Bayreuth en 1876. Quelques années plus tard, Auguste Renoir fait également le pèlerinage à Bayreuth, où il assiste à une représentation de la Walkyrie ; spectateur plus critique et mesuré, il reste néanmoins l’un des rares peintres français ayant personnellement rencontré le maître pour en faire le portrait. De Groux découvre l’œuvre de Wagner non pas à Bayreuth, mais dans les nombreuses soirées que lui consacrent le théâtre de la Monnaie à Bruxelles, puis les Concerts Colonne à Paris ; or c’est bien là, dans l’obscurité de ces salles, que le peintre trouve le renouvellement de ses forces créatrices, et qu’il pressent même finalement les limites de son art… « Révélation tardive et irréparable de ma vraie vocation qui était d’être, non peintre, mais musicien compositeur. Et c’est à Wagner que je dois cette découverte merveilleuse et consternante… » (Henry de Groux, Journal, 19 juillet 1897).
Quand le pinceau se mesure au génie wagnérien
Le wagnérisme affiche tout d’abord un visage, celui du compositeur. Dans les dernières décennies du XIXe siècle, le culte du génie s’associe naturellement à la figure du compositeur, expliquant par exemple l’empressement avec lequel Renoir, en 1882, sollicite Wagner pour le rencontrer et faire son portrait. Montrant très tôt la réappropriation de l’icône germanique par l’école impressionniste, le résultat déçoit pourtant le musicien, peu sensible aux innovations picturales de son temps ; la tête sensiblement tournée, le regard lointain et songeur, les saillies du visage adoucies par la touche vaporeuse et le camaïeu de rose et de bleu donnent en effet au compositeur un air aimable et humain. Au tournant du XXe siècle, l’édification du mythe de Wagner transforme bientôt le portrait en icône. De Groux schématise ainsi la silhouette de Wagner pour ne retenir que les formes qui traduisent la volonté d’action et l’esprit visionnaire : un profil autoritaire et impérieux, sommairement brossé, irradiant par-delà le temps et l’espace sur un fond monochrome noir.
Objet d’un culte, Wagner s’impose aussi, par son œuvre, comme une donnée essentielle de la création.
C’est que ses opéras donnent à voir. Hier comme aujourd’hui, les géographies légendaires du compositeur revivent dans l’imagination du spectateur : le Venusberg (Tannhäuser), les terres de Cornouailles (Tristan et Isolde) ou encore les profondeurs du Rhin (L’Or du Rhin), explorées ici par Fantin-Latour. Lui-même spectateur du Ring en 1876, le peintre approche bien l’œuvre de Wagner comme un répertoire d’idées et de thèmes; mais au-delà de l’illustration, il transpose ses souvenirs de mise en scène en véritables scènes vivantes. La musique du maître nourrit notamment chez Fantin-Latour un ambitieux projet : celui de « traduire un art par un autre ». « Pour moi, affirme-t-il, c’est dans la musique que nous pourrions nous reconnaître. J’y songe sans cesse en peignant, j’en fais un peu, j’ai essayé d’en exprimer un peu de ce que je ressens dans mes lithos et mes petits tableaux sur Berlioz, sur Wagner. » (Entretien de Fantin-Latour avec Camille Mauclair, in Camille Mauclair, Servitude et grandeur littéraire, Paris, Ollendorff, 1922, p. 157). Ainsi le mouvement des Ondines, « tantôt vers le fond, tantôt vers le haut » rappelle-t-il le profil mélodique de leur chant dans la première scène de L’Or du Rhin. En un mot, il s’agit bien pour Fantin-Latour, comme pour la plupart des peintres inspirés par les opéras du maître, de se mesurer au génie wagnérien.
Le wagnérisme : une notion perméable
La confrontation de ces trois œuvres révèle le mélange indistinct de courants et de pensées préoccupés par la question wagnérienne au tournant du XXe siècle. L’œuvre du maître cristallise une gamme variée de sentiments au gré des individualités, toujours plus malléable, adaptée aux discours les plus contrastés. Cette polysémie du regard permet aussi d’apprécier la délicate notion de « wagnérisme », en en soulignant les définitions multiples et parfois contradictoires. Car le wagnérisme, c’est tout à la fois un mouvement de soutien au musicien, une réflexion sur l’union des arts, l’engouement pour une dramaturgie élevée au rang de mythe, une enseigne de l’avant-garde artistique, une idéologie politique, un absolu et même une religion.
Annegret FAUSER (dir.), Von Wagner zum Wagnerisme. Musik, Litteratur, Kunst, Politik, >, Leipzig Universität Verlag, 1999 (recueils d’articles en allemand, français et anglais).
Léon GUICHARD, La musique et les lettres au temps du wagnérisme, Paris, PUF, 1963.
Martine KAHANE et Nicole WILD, Wagner et la France, Paris, Herscher, 1983.
Cécile LEBLANC, Wagnérisme et création en France : 1883-1889, Paris, H. Champion, 2005.
Timothée PICARD, Wagner : une question européenne : Contribution à une étude du wagnérisme, 1860-2004, Rennes, PU Rennes, 2006.
Marie-Pauline MARTIN, « Le Génie wagnérien », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 22/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/genie-wagnerien
Lien à été copié
Découvrez nos études
L'exposition d'art dégénéré en 1937
Pris lors de l’exposition Entartete Kunst organisée en 1937 à Munich par les nazis, ce cliché du…
Les Accords de Munich
Parallèlement à la mise en place d’un régime autoritaire en Allemagne lors de son arrivée au…
Rosa Luxemburg, la pasionaria allemande
À peine douze années séparent le cliché montrant la socialiste allemande d’origine polonaise Rosa Luxemburg (1871-1919)…
Le Charisme de Hitler
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, rien ne semblait prédestiner Adolf Hitler (1889-1945) à devenir le…
L'entrée de Napoléon à Berlin
Alors que la quatrième coalition, rassemblant l’Angleterre, la Russie et la Prusse, s’est organisée durant l’année…
Une représentation de Louis XIV
Décidé peu après la paix de Nimègue (10 août 1678), le programme iconographique du plafond de la galerie des Glaces à Versailles constitue une…
Napoléon et la politique des alliances
La politique internationale de Napoléon visant à asseoir sa dynastie le conduisit à se créer des alliés parmi les nouveaux souverains et à s’…
Retour à la nature
Le rêve d’un « retour à la nature », présent dès le XVIIIe siècle…
Le renouveau médiéval
Dans une Allemagne dépourvue d’unité politique mais unie dans sa volonté de se soustraire à la…
Exposer l’autre : la muséographie des objets non occidentaux au tournant du XXe siècle
Avec l’exploration et la colonisation des pays non occidentaux se développent les expositions d’objets…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel