L'Empoisonneuse Hélène Jégado
Lieu de conservation : musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem, Marseille)
site web
Date de création : 1852
Date représentée : 6-14 décembre 1851
H. : 41,3 cm
L. : 33,5 cm
Imprimeur : Pellerin, Épinal.
Lithographie coloriée au pochoir.
Domaine : Presse
© GrandPalaisRmn (MuCEM) / Franck Raux
1953.86.4825 - 07-517449
Hélène Jégado, la Brinvilliers bretonne
Date de publication : Octobre 2011
Auteur : Myriam TSIKOUNAS
Un procès en marge du coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte
Statistiquement parlant, les empoisonneuses sont particulièrement nombreuses sous la monarchie de Juillet et durant le Second Empire. En 1840 et 1844, les procès retentissants de Marie Lafarge et d’Euphémie Lacoste, toutes deux accusées d’avoir tué leur encombrant mari au moyen d’arsenic, réactivent l’image de la sorcière et laissent croire, à tort, que l’empoisonnement, arme des faibles et des sournois, a été, de tout temps, un crime féminin. Cette conviction est encore renforcée en 1851 avec l’arrestation et le jugement d’Hélène Jégado, une servante bretonne accusée de vingt-cinq homicides par empoisonnement à l’arsenic et de six tentatives de d’assassinat.
Le procès de cette domestique analphabète, qui s’exprime dans un mélange de français et de breton, s’ouvre à la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine le 6 décembre 1851. En dépit du vibrant plaidoyer contre la peine capitale de son jeune avocat, maître Magloire Dorange, l’audience se clôt, le 14, sur la condamnation à mort de l’inculpée, qui continue de clamer son innocence.
À une époque où Rennes n’est pas encore accessible par le chemin de fer, le coup d’État réalisé par Louis Napoléon Bonaparte le 2 décembre empêche les journalistes parisiens de se rendre au prétoire. Il prive également la défense de plusieurs témoins, notamment le chimiste Raspail, qui vient d’être incarcéré, et le médecin-député Jean Baptiste Baudin, tué sur une barricade. Hélène Jégado est guillotinée sur le champ de Mars de Rennes le 26 février 1852. La légende veut que, juste avant de mourir, elle ait confessé ses nombreux forfaits à l’aumônier de la prison, l’abbé Tiercelin, qui l’accompagna jusqu’à l’échafaud.
« La Brinvilliers » bretonne
Cette estampe, augmentée d’une complainte et datée de 1852, est l’un des derniers imprimés périodiques réalisés par l’Imagerie Pellerin d’Épinal. En effet, quelques mois plus tard, un décret réglementant sévèrement le colportage amorce le déclin de ces feuilles volantes.
Bien qu’elle se trouve au tribunal, « la Jégado » a gardé ses habits de servante. Son tablier bleu rappelle qu’elle fut, durant dix-huit ans, cuisinière dans des presbytères et des maisons bourgeoises. C’est penchée sur ses fourneaux qu’elle versait l’arsenic, sous forme de « mort-aux-rats », dans les potages et soupes de légumes appréciés de ses employeurs.
Dès son procès, Hélène Jégado a été comparée à la marquise de Brinvilliers qui, elle aussi, n’hésita pas à empoisonner des victimes de tous âges et de toutes conditions, y compris des membres de sa propre famille. Il n’est donc pas étonnant que le dessinateur spinalien retraite le croquis à la pierre noire de Charles Le Brun, connu sous le titre La Marquise de Brinvilliers : les deux femmes portent la même coiffe fortement nouée sous le menton, comme pour signifier leur décapitation prochaine ; toutes deux ont la main droite sous la poitrine, posée sur la main gauche, pour exprimer une quête de miséricorde. Seul change l’instant du drame : Hélène Jégado, debout devant un banc sur lequel est posée une robe noire d’avocat, encadrée par deux gendarmes, attend le verdict, alors que la marquise, à qui l’on a tendu un crucifix, est sur le point d’être exécutée.
Une « anomalie de la nature »
Curieusement, dans ce dessin, colorié au pochoir, les ombres des deux gendarmes se projettent précisément sur le mur tandis que celle de l’accusée ne correspond pas à sa silhouette. L’artiste voudrait-il nous dire, comme l’avocat de la défense et les experts aliénistes convoqués à la barre, qu’Hélène Jégado est « une monstruosité », « une anomalie de la nature » (docteur Pitois, témoin à charge, Gazette des tribunaux du 9 décembre 1851) qui tue sans remords tout rival et toute personne lui ayant fait une remontrance ou ayant contrarié ses projets ?
En France, depuis la création des cours d’assises, en 1810, et l’instauration d’un jury populaire, l’immense majorité des femmes criminelles a bénéficié, contrairement aux hommes, des circonstances atténuantes. Hélène Jégado a été condamnée à la peine capitale, car elle n’a pas hésité à tuer les enfants qui lui étaient confiés, deux prêtres et deux parentes, sa tante et sa sœur. Elle a également empoisonné d’autres jeunes servantes, aussi déshéritées qu’elle. Elle est donc apparue à ses juges comme « un être monstrueux et pervers ».
Plus insidieusement, les contemporains semblent avoir reproché à la meurtrière de refuser la place qui était assignée aux femmes au milieu du XIXe siècle. À en croire les comptes-rendus d’audience, les articles de presse consacrés à l’affaire ou cette estampe à visée édifiante et moralisatrice, l’accusée n’a rien de féminin. Décrite comme laide et sans formes, alcoolique et sale, sans mari ni enfant à près de cinquante ans, Hélène Jégado s’apparente à une sorcière qui donne la mort au lieu de dispenser la vie.
Humble domestique née dans une Bretagne encore arriérée, elle est aussi la victime émissaire idéale que nul, lorsqu’elle sera sacrifiée, ne cherchera à venger.
Pierre BOUCHARDON, Hélène Jégado. L’empoisonneuse bretonne, Paris, Albin Michel, 1937.
Anne-Emmanuelle DEMARTINI, « La figure de l’empoisonneuse. De Marie Lafarge à Violette Nozière », in Figures de femmes criminelles, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010.
Myriam TSIKOUNAS (dir.), Éternelles coupables. Les femmes criminelles de l’Antiquité à nos jours, Paris, Autrement, 2008.
Myriam TSIKOUNAS, « Hélène Jégado, la Brinvilliers bretonne », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/helene-jegado-brinvilliers-bretonne
Lien à été copié
Albums liés
Découvrez nos études
L’Histoire de France à travers les images d’Épinal
Ces trois planches, parmi les centaines de milliers dessinées à Épinal tout au long du XIXe…
La « propagande par le fait » s'attaque au sommet de l'Etat
Le régime républicain s’est pleinement installé en France entre les années 1875 et 1880. Pourtant, une…
L'assassinat du duc de Berry
Le 13 février 1820, le duc de Berry, second fils de Monsieur, frère du roi et futur Charles X, était assassiné par l…
La Saint-Barthélemy (24 août 1572)
Cette gravure en taille-douce évoque le massacre des protestants parisiens d’août 1572. Il y a, à l’époque…
L’Affaire Calas
L’affaire Jean Calas commence le 13 octobre 1761, lorsque ce négociant protestant…
Le massacre de la Saint-Barthélemy
François Dubois, peintre protestant né à Amiens en 1529, a échappé aux massacres qui se sont produits à Paris le 24 août 1572 et les jours…
Sadi Carnot assassiné par un anarchiste
Le 24 juin 1894, le président de la République Sadi Carnot est assassiné…
Marguerite Steinheil
Au début de l’année 1899, Félix Faure, sixième président de la IIIe République, se trouve pris dans la…
L’Assassinat d’Henri IV peint au XIXe siècle
Charles-Gustave Housez s’inscrit dans la tradition de l’exaltation d’Henri IV (1553-1610) depuis le début du XIX…
Marat, martyr de la Révolution
Jean-Paul Marat est l’une des figures emblématiques de la Révolution dont il incarne l’ « extrême gauche ». Sa célèbre phrase : « Rien de superflu…
sadion
1851, dernières images de Pellerin, c'est une bêtise
Histoire-image
Bonjour,
Vous avez tout à fait raison.
Nous avons corrigé cette erreur.
Merci pour votre œil avisé.
Bien cordialement
Anne-Lise
mandarine
je m'étonne que vous ne citiez pas le livre LA JEGADO de Peter Meazay, paru depuis un certain temps.
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel