Le Bon Tabac
Auteur : CONINCK Joseph Bernard
Lieu de conservation : médiathèque du Patrimoine et de la photographie (MPP)(Charenton-le-Pont)
site web
Photographie de la peinture de François Vizzavona eau Salon des artistes français de 1910.
Domaine : Peintures
© Ministère de la Culture - Médiathèque du patrimoine et de la photographie, Dist. RMN-Grand Palais / François Vizzavona / reproduction RMN
VZC7542 - 97-024808
Femme en prise
Date de publication : Juillet 2012
Auteur : Didier NOURRISSON
Une société enfumée
Une peinture transformée en photographie répond peut-être à une opération de vulgarisation de l’œuvre d’art : la toile sort ainsi de son cadre et part à la rencontre d’un large public. Ici un tableau de Pierre de Coninck (1880) est photographié en noir et blanc par François Vizzanova et exposé au Salon des artistes français en 1910.
Il témoigne surtout de la banalisation d’un comportement : les femmes ont désormais libre accès à la consommation tabagique. Du moins dans la forme traditionnelle qu’avait amorcée Catherine de Médicis en son temps : la prise. Depuis le XVIe siècle et son apparition sur les côtes atlantiques, le tabac est en effet « pétuné », c’est-à-dire pris en s’en farcissant le nez. L’usage indique même la condition sociale de son utilisateur, et, durant le Grand Siècle, les gens de condition ont défini la manière et le style de la prise. Après la Révolution, l’usage du tabac s’est démocratisé. Mais c’est le tabac chaud qui joue la vedette. Le tabac de pipe, les cigares et, depuis les années 1850, les cigarettes brûlent le corps social. Entre 1870 et 1910, la consommation des cigarettes est multipliée par trente.
La prise est encore présente. Et ce sont les femmes, même de modeste condition, qui la pratiquent. En effet, la fume n’est guère admise dans la gent féminine : elle signale les excentriques dans la bonne société et les prostituées dans le peuple. En revanche, la prise fait « bon genre » et ne représente pas une atteinte à la féminité. De six millions de kilos sous le premier Empire, la poudre à priser a atteint près de huit millions sous le second Empire, soit le quart du tabac consommé. Il en vient d’Espagne, parfumé, et aussi de Virginie, amalgamé à des récoltes du Lot, du Nord et du Pas-de-Calais. Les manufactures d’État de Pantin, Morlaix, Dijon, Châteauroux produisent la meilleure poudre du monde. Dans le dernier tiers du XIXe siècle, la consommation de tabac connaît un premier apogée.
La femme qui prise
Le peintre nordiste Pierre de Coninck, né et mort à Méteren (1828-1910), a fait une carrière modeste, malgré son Grand Prix de Rome de 1859. Après des études à l’école de peinture d’Ypres, puis de Lille, il est reçu à l’école des Beaux-Arts de Paris. On lui reconnaît un certain talent à portraiturer femmes et jeunes filles (Ballerine au repos, La Petite Charmeuse, La Fillette aux fraises, La Jeune Violoniste…).
Ici, le tableau montre une veille femme en train de porter quelques grammes de poudre tirés de sa tabatière jusqu’à son nez afin de « pétuner » comme on ne dit plus depuis le Grand Siècle. La tabatière de forme ovale, qu’elle tient encore dans sa main gauche, est constituée de deux pièces, peut-être en corne, articulées par une charnière. Il s’agit d’une tabatière visiblement très simple comme on en faisait depuis le XVIIe siècle. Le thème du tableau rappelle ces belles dames de Boilly qui, dans les années 1820, se farcissaient le nez et disaient avec emphase « ah, qu’il est bon ! ». Mais là, en cette fin de siècle, point de beauté ni d’élégante extravagance. Les habits simples, la coiffe traditionnelle, jusqu’au regard un peu vide et aux traits lourds du personnage, suggèrent un parti pris minimaliste de l’artiste. S’agit-il de souligner la banalité du geste ou la médiocrité de la personne ?
Fin de siècle pour la prise
La prise vit pourtant ses derniers bons moments. Avec la IIIe République, le tabac à priser entame son déclin : en 1874, les Français en ont consommé 7 500 000 kg ; leur consommation s’affaisse à moins de 5 millions en 1913. À la veille de la Première Guerre mondiale, cette sorte de tabac ne correspond plus qu’à 10 % des quantités vendues en France sous le monopole de la Régie des tabacs.
Face à la démultiplication de « l’homme à la cigarette », la femme qui prise fait pauvre figure. Soupçonnée d’archaïsme, de conservatisme, elle heurte la civilisation du progrès que les républicains tentent de mettre en place. Mais à l’inverse, dans la mesure où les voies de la fume lui sont fermées pour cause d’inconvenance, dans la mesure où les seules fumeuses admises sont les prostituées et les femmes légères, la pratique de la prise, partagée entre hommes et femmes depuis l’âge classique, pourrait bien être une action, certes discrète, mais réelle, en faveur d’une certaine égalité des sexes, dans une société sans feu ni loi.
· Bénigno CACÉRÈS, Si le tabac m’était conté…, Paris, La Découverte, 1988.
· Anatole JAKOVSKY, Tabac-magie, Paris, Imprimerie Le Temps, 1962.
· Didier NOURRISSON, Histoire sociale du tabac, Paris, Éditions Christian, 2000.
· Didier NOURRISSON, Cigarette. Histoire d’une allumeuse, Paris, Payot, 2010.
Didier NOURRISSON, « Femme en prise », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 26/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/femme-prise
Lien à été copié
Albums liés
Découvrez nos études
Objet de fume
Selon une idée répandue, la révolution industrielle, commencée en Angleterre, gagne la France dans le premier tiers du…
Tabacomanie
La France de Louis-Philippe s’ennuie, selon Lamartine. Est-ce pour cela qu’elle se met à fumer ? En tout cas, la…
Femmes à la cigarette dans les années 1920
L’image d’une femme coiffée à la garçonne faisant tressauter son long collier de perles sur une piste de danse et une musique de…
Tabac au débit
La vente de tabac dans des débits ne date pas du XIXe siècle : le…
Regard sur les Anglais au début du XXe siècle
Au début du XXe siècle, Paris est marqué par l’…
Le travail en atelier et en manufacture
En France, jusqu’aux années 1820, le travail des enfants, qui aident les adultes dans leurs tâches agricoles ou artisanales, ne fait pas débat.…
Les codes publicitaires de l'alcool et du tabac dans les années 1930
Les Stéréotypes du buveur
Montbéliard fut, entre 1800 et 1850, l’une des capitales de l’imagerie populaire, au même titre qu’Épinal ou Wissembourg. Les frères de Deckherr,…
Plaisirs aux barrières
Dans le premier tiers du XIXe siècle, Paris grandit vite : 547 000 habitants en 1801, le million est atteint en…
Les brasseries au cœur de Paris
La consommation de bière se développe sensiblement en France au XIXe siècle, débordant ses…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel