Aller au contenu principal
Crématorium du Père-Lachaise, élévation principale.

Crématorium du Père-Lachaise, élévation principale.

Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web

Date de création : 1886

Date représentée :

Dessin aquarellé.

Domaine : Architecture

© Photo RMN - Grand Palais - H. Lewandowski

http://www.photo.rmn.fr

"93-006083-01 /     ARO1992-34"

Le Premier crématorium de Paris

Date de publication : Avril 2007

Auteur : Bernard COLOMB

Une décision longtemps ajournée

La construction de ce bâtiment, rêve de Bosphore sur la rive droite de la Seine, est le point final d’un processus erratique. Dès les premiers projets dirigés par Alexandre Théodore Brongniart (1739-1813), alors qu’il s’agissait d’aménager le lieu de façon à accueillir le nouveau cimetière de l’est parisien, il avait été envisagé d’édifier une pyramide au cœur de l’enclos des morts qui allait s’étendre sur une ancienne propriété de la Compagnie de Jésus. Elle devait s’élever sur l’esplanade centrale, face à l’ancienne maison de repos des jésuites où l’abbé de La Chaise, confesseur de Louis XIV, avait fini ses jours. Cet édifice, d’une taille considérable, aurait tenu lieu de crématorium. Il avait pour modèle la pyramide de Caïus Sextius à Rome, référence antique obligée en cette époque marquée par le néoclassicisme.

À cette époque, l’innovation s’était heurtée à la pesanteur des mentalités. L’indignation que la crémation suscita dans le public entraîna le report et l’abandon du projet, et la construction fut arrêtée aux fondations. Plus tard, Étienne Godde y fit construire la chapelle réservée au culte catholique.
Les cycles lents qui caractérisent l’histoire des mentalités ayant fait leur œuvre, le besoin d’un endroit où brûler les corps s’exprima finalement avant même que l’autorisation légale ne fût donnée. Il faut préciser que le changement avait été accompagné par l’action de la Société pour la propagation de la crémation, fondée en 1880. La demande grandissante décida le conseil municipal de Paris à faire édifier un tel monument, et, à cette fin, il fit appel en 1883 à Jean-Camille Formigé. Ce dernier sera ensuite nommé architecte des promenades et plantations de la ville de Paris (en 1885). Il laissera son empreinte sur la nécropole de l’est parisien puisqu’il est également le concepteur du cadre architectural où Albert Bartholomé va inscrire en 1899 son monument aux morts. Le projet primitif subit de nombreux remaniements au cours de la construction du crématorium, qui s’étala sur deux décennies. Il ne sera achevé qu’en 1908.

Un sanctuaire byzantin

Jean-Camille Formigé édifie le crématorium au centre du plateau qu’occupe la nécropole à l’est. D’abord destiné à l’incinération des déchets provenant des hôpitaux, il est ensuite dédié à la crémation des corps. Plusieurs salles de cérémonie y sont aménagées qui permettent d’accompagner les dépouilles mortelles. Les proches des défunts procèdent parfois à la dispersion des cendres dans le jardin du souvenir un peu plus à l’est, d’autres les font conserver dans de petits enfeus aménagés dans le mur du columbarium qui entoure le crématorium et dont le propre fils de Formigé est l’auteur.
Éclectique puis marquée par l’historicisme sous l’influence notable de Viollet-le-Duc, l’architecture française multiplie les emprunts au passé. Parmi les références en vogue, celle de Byzance, la deuxième Rome, fait alors florès. Les grands édifices religieux notamment sont marqués par l’influence néobyzantine – tels la lyonnaise basilique de Fourvière, la marseillaise Notre-Dame-de-la-Garde ou le parisien Saint-Pierre-de-Montmartre.

Dans son projet, Jean-Camille Formigé renoue ainsi avec le plan centré, la coupole et les demi-coupoles, et fait de cet édifice laïc un sanctuaire aux airs de mausolée antique. Son aquarelle de 1886 en présente la façade postérieure, orientée au sud-est. Réalisé en pierres noires et blanches disposées en bandeaux horizontaux successifs, le bâtiment repose sur un soubassement percé de portes et de doubles portes. Il comporte une nef centrale et deux bas-côtés. La chapelle centrale et les deux chapelles sont coiffées de demi-coupoles, s’inscrivant pour les deux latérales dans des frontons triangulaires. Sous la corniche composée d’un larmier et de mutules court une frise (d’urnes, de rubans, de braseros et de couronnes) qui n’a pas été réalisée. De la terrasse émerge la coupole principale, vaste dôme de briques et de grès posé sur un cylindre percé de huit baies cintrées. Elles sont depuis les années vingt ornées d’œuvres des verriers Maumejean. Sur cette terrasse s’élèvent également les cheminées correspondant aux crématoires et deux braseros qui ne sont plus en place.

 

Dans une époque de sécularisation de la société, les succès d’une nouvelle attitude face à la mort

Longtemps, l’Église s’est opposée à toute législation funéraire susceptible de remettre en question les lois naturelles de la putréfaction des corps. Les conflits entre les sphères religieuse et civile que connaît la société française depuis la fin du XVIIIe siècle s’apaisent avec la Première Guerre mondiale. Les tenants de la crémation, de « l’ustion » comme on disait alors, rationalistes et pragmatiques, agissent en faveur de son autorisation. Parmi eux, certains sont motivés par leur combat contre le pouvoir de l’Église catholique, d’autres par le problème du manque de place pour les corps des défunts. Au cours des années 1870, plusieurs expériences se déroulent en Europe, démontrant la fiabilité des nouveaux procédés. Dès 1874, rapporte le bureau des cimetières de la ville de Paris, le conseil municipal, sensible au débat sur la crémation, ouvre un concours sur les meilleures conditions à envisager pour sa mise en œuvre. Il est précisé que l’on doit éviter toute diffusion d’éléments infectants dans l’atmosphère, ainsi que toute odeur délétère. La loi du 15 novembre 1887 met un terme au débat : portant sur la liberté de funérailles, elle autorise les citoyens à choisir un mode de sépulture autre que l’inhumation. La législation de la IIIe République se montre une fois de plus fondamentalement attachée à la liberté individuelle en permettant à chacun de décider du sort de sa dépouille mortelle. Les sensibilités ont donc changé, et, alors même qu’elle paraissait totalement inenvisageable cinquante ans plus tôt, la pratique de la crémation se répand. Mais le culte rendu aux morts – l’entretien du souvenir de l’être aimé qui a alors gagné les mentalités – anime également les crématistes : même réduit en cendres, le défunt est localisé, et ses proches peuvent se recueillir soit au jardin du souvenir, soit devant la plaque qui abrite l’urne dans le columbarium. L’inhumation reste très largement dominante dans les décennies suivantes, mais l’incinération connaît une progression continue depuis la fin du XIXe siècle. Il a fallu attendre l’aggiornamento des années 1960 pour que l’Église catholique la reconnaisse.

GANNAL (Docteur), Inhumation et crémation, mémoire adressé au Conseil municipal de Paris, Paris, Muzard et Fils, 1876.

Danielle TARTAKOWSKY, Nous irons chanter sur vos tombes. Le Père-Lachaise. XIXe-XXe siècle, Paris, Aubier, 1999.

Jean TULARD (dir.), Dictionnaire Napoléon, article « cimetières de Paris », Marcel Le Clere, Paris, Fayard, 1987.

Michel VOVELLE, La Mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983.

Bernard COLOMB, « Le Premier crématorium de Paris », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/premier-crematorium-paris

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

La restauration du Mont-Saint-Michel

La restauration du Mont-Saint-Michel

En 1872, l’architecte Édouard Corroyer (1835-1904) est chargé par la direction des Beaux-Arts de la restauration du Mont-Saint-Michel, et…

La restauration du Mont-Saint-Michel
La restauration du Mont-Saint-Michel
La construction des écoles dans la Somme au XIX<sup>e</sup> siècle

La construction des écoles dans la Somme au XIXe siècle

Le XIXe siècle, siècle de l’école

La situation globale de l’enseignement primaire en France apparaît médiocre à la chute de l’Empire (…

La construction des écoles dans la Somme au XIX<sup>e</sup> siècle
La construction des écoles dans la Somme au XIX<sup>e</sup> siècle
La construction des écoles dans la Somme au XIX<sup>e</sup> siècle
La construction des écoles dans la Somme au XIX<sup>e</sup> siècle
Versailles

Versailles

La seule vision de ces bâtiments évoque l’absolutisme et le classicisme. Versailles est aujourd’hui un élément constitutif, inamovible et…

La maison pompéienne de Joseph Napoléon par Gustave Boulanger

La maison pompéienne de Joseph Napoléon par Gustave Boulanger

Si les fouilles de Pompéi, découverte en 1748, ont étonné et parfois déçu les amateurs et les artistes, tels que Joseph Marie Vien, celles qui…

Un théâtre du Boulevard à la Belle Epoque

Un théâtre du Boulevard à la Belle Epoque

Le théâtre au cœur de la vie parisienne

Depuis la monarchie de Juillet, les « grands boulevards » sont le centre de la vie parisienne. Cet…

La prison panoptique

La prison panoptique

La prison moderne est née sous la Révolution : c’est à ce moment qu’elle devient la base de la pénalité française. En 1791, Le Pelletier de Saint-…

La prison panoptique
La prison panoptique
L'École centrale de Saint-Flour (1795-1802)

L'École centrale de Saint-Flour (1795-1802)

Créées par trois lois successives de 1795, les écoles centrales devaient dispenser un enseignement secondaire supérieur. Des professeurs rétribués…

L'École centrale de Saint-Flour (1795-1802)
L'École centrale de Saint-Flour (1795-1802)
L'École centrale de Saint-Flour (1795-1802)
L'École centrale de Saint-Flour (1795-1802)
Le pont Neuf et la Samaritaine au XVIII<sup>e</sup> siècle

Le pont Neuf et la Samaritaine au XVIIIe siècle

Le peintre de Paris

Cette vue du Pont Neuf et de la Samaritaine est datée et signée par l’artiste, avec une mention inscrite dans l’ombre du coin…

Les Arts appliqués allemands à Paris

Les Arts appliqués allemands à Paris

L’hégémonie culturelle garante de l’identité française

À la suite du conflit franco-prussien, la France s’inquiète de ses compétences…

Les Arts appliqués allemands à Paris
Les Arts appliqués allemands à Paris
Viollet-le-Duc et la restauration monumentale

Viollet-le-Duc et la restauration monumentale

L’invention des Monuments historiques

Sous la Monarchie de Juillet (1830-1848), la volonté de remettre à l’honneur de grands édifices symboliques…

Viollet-le-Duc et la restauration monumentale
Viollet-le-Duc et la restauration monumentale
Viollet-le-Duc et la restauration monumentale