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Nadar élevant la photographie à la hauteur de l'Art

Nadar élevant la photographie à la hauteur de l'Art

Date de création : 1862

H. : 26,8 cm

L. : 22 cm

Défet de presse.

Lithographie

Domaine : Estampes-Gravures

Bibliothèque Nationale de France - Domaine public © Gallica

Lien vers l'image

FOL-EO-15 (3)

  • Nadar élevant la photographie à la hauteur de l'Art

Nadar, l’art et la photographie

Date de publication : Mars 2024

Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD

La photographie prend son envol

Le tournant des années 1850-1860 marque une étape cruciale quoiqu’en partie méconnue dans l’histoire de la photographie, qui commence en France avec l’officialisation de sa découverte par Louis Daguerre  en 1839. Il est vrai que l’accélération que lui impulse alors Félix Tournachon, dit Nadar, tient moins à un perfectionnement technique qu’aux modifications des conditions de la prise de vue. Connu pour ses caricatures puis pour ses portraits photographiques, Nadar dépose en 1861 un brevet d’éclairage au magnésium qui lui permet pour la première fois de photographier les catacombes de Paris. Trois ans auparavant, il avait breveté – là aussi pour la première fois – la photographie aérienne, à laquelle il s’adonne à partir de 1862, allant jusqu’à rassembler l’année suivant sur le Champ de Mars une foule gigantesque venue admirer l’envol du Géant, la montgolfière de Nadar.

Sous terre ou dans le ciel, ce dernier apparaît alors comme le grand aventurier de cet « âge héroïque de la photographie », comme l’a qualifié Roland Barthes. Son confrère et concurrent Étienne Carjat, lui aussi caricaturiste et photographe, acte en quelque sorte cette consécration lorsqu’il fait paraître le 25 mai 1862 dans les pages du Boulevard, le journal culturel qu’il vient de fonder, un dessin humoristique de son ami Honoré Daumier, dessin intitulé : Nadar élevant la photographie à la hauteur de l’art.

Daumier, qui vient de quitter Le Charivari (1), auquel il a contribué avec Nadar lui-même, est alors l’un des dessinateurs de presse les plus célèbres du pays, bien qu’il ait souvent été en délicatesse avec la censure impériale. Il n’en demeure pas moins l’un des chroniqueurs les plus doués et les plus sagaces de la comédie humaine de son époque : des petites mesquineries aux hautes ambitions de ses contemporains.

Portrait du photographe en aventurier

Quasiment depuis ses débuts, Daumier dessine au crayon lithographique, une technique mise au point en 1796 en Allemagne et rapidement adoptée par les dessinateurs du XIXe siècle en ce qu’elle permet de conserver l’aspect esquissé du dessin tout en étant reproductible comme l’est une gravure. Daumier use en effet de toutes les subtilités tonales que lui offre la lithographie tout en conférant à son dessin un style « enlevé » qui se prête ici particulièrement bien à son sujet.

Nadar y est en effet représenté à l’instant où une bourrasque lui fait perdre son haut de forme, et presque l’équilibre. Courbé dans sa minuscule nacelle (comme un écho ironique au nom de Géant dont il avait baptisé son aéronef), Daumier le figure les mains arrimées à sa chambre, l’œil rivé à l’objectif, comme s’il s’envolait vers ces contrées lointaines en direction desquelles son appareil est pointé.

« L’aventure » est cependant toute relative, suggère Daumier, qui a dessiné, sous le photographe, une vue de Paris telle qu’il était possible de la représenter depuis l’une de ses collines. Ainsi le dôme au loin pourrait-il être celui du Panthéon, construit au sommet de la Montagne Sainte-Geneviève. La distance qui sépare le photographe de son sujet apparaît en effet moins grande que celui-ci n’était enclin à l’affirmer en lançant son propre ballon au-dessus des autres photographes qui, sous lui, couvrent littéralement les murs de la capitale.

Un dessin en écho aux grands débats esthétiques de son époque

Le fin voile d’ironie qui couvre le dessin de Daumier ne doit pas occulter les résonances qu’entretient sa légende avec les débats esthétiques d’alors sur les rapports entre art et photographie. Une vingtaine d’années après qu’a déferlé sur la France une vague de « daguerréotypomanie », pour reprendre le titre d’une célèbre lithographie de Théodore Maurisset de 1839 dont s’est inspiré Daumier, la question de savoir si la photographie est ou non un art se pose toujours.

À cette question, Charles Baudelaire avait répondu par la négative lorsque des photographies avaient été exposées pour la première fois au Salon de 1859. Ce qui lui fait défaut, estimait alors le poète, c’est son manque d’imagination : la photographie copie la réalité, mais elle ne l’invente pas, en cela elle n’est pas « artiste », soutenait Baudelaire (qui se fit tout de même tirer le portrait par Nadar comme par Carjat).

Avec Nadar élevant la photographie à la hauteur de l’art, Daumier lui répond à son tour avec la même ironie. En inventant la photographie aérienne, Nadar élève littéralement la photographie, et puisque l’art se trouve en haut de l’échelle de valeur qui va des techniques aux beaux-arts, on peut dire qu’en s’élevant il élève du même coup la photographie vers les cieux artistiques, au-dessus de la mêlée des photographes mondains. Daumier n’imaginait peut-être pas, cependant, que lors du siège de Paris, en 1870-1871, Nadar créerait une Compagnie d’aérostiers participant à l’effort de guerre. Sa « flotte » de ballons servit alors aussi bien à surveiller les mouvements de troupes qu’à envoyer du courrier hors de la capitale encerclée. L’un d’eux permit même à Léon Gambetta de s’échapper de Paris en octobre 1870 pour gagner Tours et y réorganiser le gouvernement de Défense nationale.

Roland BARTHES, « Sur la photographie », 1980, in Le Grain de la voix. Entretiens 1962-1980, Paris, Seuil, 1999.

Charles BAUDELAIRE, « Salon de 1859 », in Écrits sur l’art, Paris, Le Livre de Poche, 2008.

Ives COLTA, Margret STUFFMANN, Martin SONNABEND (dir.), Daumier Drawings, New York, Metropolitan Museum, 1992.

Henri FOCILLON, « Honoré Daumier », in Maîtres de l’estampe, Paris, Flammarion, 1969.

Michel FRIZOT, Histoire de voir. De l’invention à l’art photographique (1839-1880), Paris, Robert Delpire, 1989.

1- Le Charivari : premier journal satirique français fondé par Charles Philippon en 1832. Il cesse de paraître en 1937.

Lithographie : Technique de gravure (ou d’estampe) qui reproduit un dessin en noir et blanc ou en couleur à l’aide d’un crayon gras ou d’une encre grasse sur une pierre calcaire. Par extension, le terme désigne une estampe imprimée par ce procédé.

Paul BERNARD-NOURAUD, « Nadar, l’art et la photographie », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 03/05/2024. URL : histoire-image.org/etudes/nadar-art-photographie

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