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L'Amateur d'estampes

L'Amateur d'estampes

Les Amateurs d'estampes

Les Amateurs d'estampes

L'Amateur d'estampes

L'Amateur d'estampes

Auteur : DAUMIER Honoré

Lieu de conservation : musée du Petit Palais (Paris)

Date de création : Vers 1860

H. : 41 cm

L. : 33.5 cm

Huile sur toile.

Domaine : Peintures

© CC0 Paris Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

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PPP39

  • L'Amateur d'estampes

Daumier et les amateurs d'art

Date de publication : Mars 2024

Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD

Vers une société d’amateurs d’art

Le XIXe siècle français connaît un élargissement du cercle des amateurs d’art au moins égal à celui qui avait marqué le XVIIe siècle néerlandais. Dans les deux cas, le phénomène est en grande partie dû à l’avènement d’une bourgeoisie, sinon toujours éclairée, du moins consciente que la collection est une activité socialement acceptable, quand elle n’est pas financièrement profitable. En parallèle de la création de musées publics dans toutes les villes grandes ou moyennes de France se constituent ainsi des sociétés d’amateurs plus ou moins instituées. Formés dans leurs goûts par les collections muséales, leurs membres alimentent leurs propres collections particulières auprès des galeristes et des antiquaires. Pour celles et ceux qui n’ont cependant pas les moyens d’acquérir les tableaux qu’ils admirent, ou qu’ils convoitent, reste la possibilité d’en obtenir des reproductions sous formes d’estampes.

Celles-ci ne sont toutefois pas exclusivement réalisées pour servir de copies à des originaux trop onéreux. Le XIXe siècle voit également se développer le nombre d’estampes produites pour elles-mêmes, et reproduites dans la presse. La diffusion de la lithographie, dont Honoré Daumier est l’un des nombreux maîtres en France, favorise aussi ce développement. D’autant que sa facture s’apparente à celle du dessin au crayon, là où l’aquatinte, mise au point au début des années 1760, évoque le lavis, et que l’eau-forte, qui remonte à la Renaissance, fait songer à la plume. Autant de distinctions, auxquelles s’ajoutent les manières propres à des écoles historiques ou aux artistes eux-mêmes, qui aiguisent « l’œil » du connaisseur, et attisent son intérêt pour les « états » successifs d’une même planche.

Parmi plusieurs autres, deux représentations qu’a données Daumier des amateurs d’estampes se singularisent par le fait qu’il a recourues pour elles à des techniques distinctes de celles de l’estampe.

De l’amateur solitaire à la coterie de collectionneurs

L’homme que représente Daumier dans une huile sur toile du début des années 1860 pourrait passer pour un bourgeois, en raison de son chapeau haut-de-forme qu’il n’a pas pris soin d’ôter. L’écharpe blanche négligemment rejetée sur son épaule afin de ne pas gêner sa consultation d’un carton d’estampes sur lequel il se penche debout lui confère cependant un air bohème. Sa mise, du reste, n’a rien de véritablement luxueux, et quelques rouleaux de papier du même blanc que son foulard dépassent de la poche de son pardessus, comme pour suggérer qu’il se consacre tout entier à sa passion.

Il est figuré en pied dans le recoin d’une pièce modestement meublée, peut-être l’intérieur d’une baraque de bois, ce qui expliquerait qu’il ne s’est pas découvert. Les murs en sont parsemés d’innombrables feuillets épinglés. On distingue mal les traits de l’amateur devant eux. Une ombre obscurcit son visage, comme elle recouvre une partie des œuvres derrière lui. La lumière d’apparence naturelle éclaire seulement le carton que l’amateur entrouvre, ainsi que quelques papiers aquatintés (ou aquarellés) aux côtés de ce qui ressemble à un lavis de sanguine.

Dans tous les cas, ces feuilles volantes ne sont pas aussi soigneusement conservées que ne le sont les œuvres du cabinet où sont réunis Les Amateurs d’estampes que Daumier figure à la plume et au crayon ainsi qu’à l’aquarelle et au lavis d’encre. Les cadres qui les entourent sont manifestement de plus grand prix, comme leur intérieur est davantage confortable : le guéridon sur lequel est posé un petit groupe sculpté est couvert d’une draperie du même rouge que le dossier de leurs chaises. À la concentration solitaire et silencieuse du premier amateur s’oppose ici l’agitation des trois compères. Si celui qui tient la planche est de dos, son acolyte de droite représenté de profil a les yeux exorbités, tandis que le troisième homme de trois-quarts qui s’est levé pour mieux voir l’image en question entreprend de la commenter à haute-voix. Il faut dire qu’il s’agit d’une lithographie du célèbre Auguste Raffet, identifiée comme La Revue nocturne de 1837.

Vers une reconnaissance artistique d’un art réputé mineur

Bien que Les amateurs d’estampes ne soit pas daté, il est probable que l’œuvre ait également été exécutée par Daumier au début des années 1860 (Le Connaisseur, du Metropolitan Museum de New York, dont la technique est similaire, daterait des années 1860-1865). À cette période, l’œuvre de Raffet revêt donc non seulement une valeur artistique mais aussi patrimoniale. Celui-ci s’était d’ailleurs illustré par une thématique elle-même déjà empreinte de nostalgie à son époque : les épopées napoléoniennes. Si Daumier ne goûtait peut-être pas ce genre (son œuvre ne cultive guère ce type de souvenirs), peut-être estimait-il toutefois le fait que Raffet fut en France, comme Horace Vernet, autre artiste officiel, l’un des pionniers de la lithographie. Dans tous les cas, Daumier signale par cette référence explicite (le nom de Raffet figure sur le carton) combien l’estampe continuait d’être ce véhicule d’imageries politiques qu’à la campagne et en région les colporteurs continuaient de vendre au porte-à-porte, jusqu’à susciter la méfiance des autorités à leur endroit.

Mais les amateurs que dépeint Daumier n’ont rien de suspect. Leur goût manifeste plutôt un changement de sensibilité sous l’effet d’une sociabilité nouvelle. L’estampe, longtemps tenu pour un art mineur, fait désormais l’objet d’un intérêt s’élargissant des classes populaires aux classes supérieures, passant du même coup du niveau de l’imagerie à celui de l’art proprement dit. Daumier consigne donc moins, dans ces deux œuvres, une démocratisation de l’art (ce qui est aussi le cas) qu’il ne constate l’esthétisation d’un art considéré comme populaire, dont les différentes déclinaisons font à son époque l’objet de recherches inédites, qu’elles soient savantes ou spéculatives.

Charles BAUDELAIRE, « Quelques caricaturistes français », 1857, in Écrits sur l’art, Paris, Le Livre de Poche, 2008.

Ives COLTA, Margret STUFFMANN, Martin SONNABEND (dir.), Daumier Drawings, New York, Metropolitan Museum, 1992.

Henri FOCILLON, « Honoré Daumier », in Maîtres de l’estampe, Paris, Flammarion, 1969.

Catherine LAMPERT (dir.), Daumier. Visions de Paris, Londres, Royal Academy of Arts, Bruxelles, Fonds Mercator, 2013.

Lionello VENTURI, Peintres modernes. Goya, Constable, David, Ingres, Delacroix, Corot, Daumier, Courbet, trad. de l’italien par Juliette Bertrand, Paris, Albin Michel, 1941.

Lithographie : Technique de gravure (ou d’estampe) qui reproduit un dessin en noir et blanc ou en couleur à l’aide d’un crayon gras ou d’une encre grasse sur une pierre calcaire. Par extension, le terme désigne une estampe imprimée par ce procédé.

Paul BERNARD-NOURAUD, « Daumier et les amateurs d'art », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 03/05/2024. URL : histoire-image.org/etudes/daumier-amateurs-art

En savoir plus sur les techniques de la gravure et de la lithographie; BNF, Gallica les Essentiels

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