Aller au contenu principal
Le Matin aux saules

Le Matin aux saules

Auteur : MONET Claude

Lieu de conservation : musée de l’Orangerie (Paris)

Date de création : 1914-1926

Date représentée :

H. : 200 cm

L. : 1275 cm

Détail.

Trois panneaux à l'huile accolés sur toile marouflée sur le mur

Domaine : Peintures

© GrandPalaisRmn (musée de l'Orangerie) / Hervé Lewandowski

Lien vers l'image

INV20105 - 06-515050

Un Décor public sous la IIIe République

Date de publication : Octobre 2005

Auteur : Philippe SAUNIER

Un climat de confiance

Après le départ du maréchal-président Mac-Mahon en 1879 (marquant la fin de la République des Ducs), la IIIe République, née le 4 septembre 1870 sur les décombres de Sedan et dotée depuis 1875 de lois constitutionnelles, entame une phase de consolidation et d’expansion. Elle adhère à l’humanisme hérité des Lumières, et elle prône la liberté et la laïcité.

Attachée aux symboles qui fondent sa légitimité (en 1879, le siège des pouvoirs publics est rétabli à Paris, la Marseillaise est choisie comme hymne national), elle confie au décor des grands édifices le soin de diffuser ses valeurs : « Le patriotisme français a, lui aussi, sa vie des saints, sa légende dorée. Etudiez notre histoire, nourrissez-vous d’elle, et vous verrez […] comme le penseur et l’artiste peuvent y puiser des inspirations fécondes et puissantes. C’est ainsi, messieurs, que nous arriverons, comme ont fait les sociétés grecques, à faire de l’art la véritable glorification de la patrie, ce qui est pour l’art et pour la patrie le dernier degré de la grandeur. » (discours de Jules Ferry aux artistes en 1879, cité par P. Vaisse, La Troisième République et les peintres, 1995, p. 276).

Le mouvement, amplement relayé par les collectivités locales, donne naissance à une véritable statuomanie (monuments à la République et à ses figures tutélaires), et, dans les édifices publics (mairies, universités, etc.), à une floraison de décors peints subventionnés par l’État. Léonce Bénédite affirme : « nous attachons une idée de mission morale à la décoration des murailles publiques. Nous leur donnons un rôle de consécration, de commémoration ou de haut enseignement » (cité par P. Vaisse, p. 269).

Une œuvre d’art totale

Les immenses toiles marouflées qui, depuis 1927, ornent à Paris l’Orangerie des Tuileries sont aujourd’hui universellement connues. Dans deux salles ovales, sur 91 mètres linéaires et sur une hauteur de 2,50 mètres, un paysage d’eau s’étire et se déploie, peuplé de nymphéas, de branches de saules, de nuages et de troncs d’arbres reflétés, « illusion d’un tout sans fin, d’une onde sans horizon et sans rivage » selon les termes mêmes de Monet.

Manifestation tardive et déroutante d’un impressionnisme auquel la monumentalité et l’absence de toute figure humaine confèrent un caractère abstrait, cette décoration est le bilan d’une vie.

Réalisée entre 1914 et 1926, elle fut d’abord pensée sans destination précise, puisant dans l’univers familier de l’artiste : le jardin d’eau entouré d’arbres et orné de plantes aquatiques, conçu à partir de 1893 dans sa propriété de Giverny, et devant lequel, pendant plus de 30 ans, le peintre posa son chevalet pour en sonder les rythmes changeants. Composés de huit séries de panneaux, le cycle des Nymphéas de l’Orangerie évoque, sans solution de continuité, la marche des heures, depuis le lever du soleil avec le Matin, disposé à l’est, jusqu’au soir avec Soleil couchant, à l’ouest.

Le don des Nymphéas : génie et multitude

C’est de sa seule initiative que Monet, au lendemain de l’armistice, chargea son ami Clemenceau, président du Conseil et « Père la Victoire », d’offrir à l’État, par son intermédiaire, deux simples panneaux de la série des Nymphéas. Clemenceau, en retour, sut habilement convaincre le peintre d’étendre son geste à l’ensemble décoratif auquel il songeait depuis 1897 sans en connaître la destination. L’administration, qui laissait certes une grande latitude aux artistes chargés de décors publics et qui, avec le temps, « tendait à se transformer en gestionnaire de fonds qu’elle mettait sous son contrôle à la disposition des usagers » (P. Vaisse, p. 185), eût-elle néanmoins accepté ce don si Clemenceau n’y avait apporté son soutien ? Auréolé de la victoire de la France, le Tigre s’était acquis en effet une solide réputation de défenseur de l’art moderne et son autorité était indiscutable. À la différence de la catéchèse militante des décors contemporains, comme par exemple le décor réalisé par Glaize dans la salle des mariages de la mairie du 20e arrondissement de Paris (Assise entre la Vérité et le Temps, ayant la Justice auprès d’elle, la Postérité décerne l’immortalité à tous les citoyens qui ont concouru au triomphe de la République) ou les innombrables Triomphes d’une République prospère et confiante, la série des Nymphéas n’illustre aucun épisode particulier ni n’explicite la fonction du bâtiment.

L’œuvre, atemporelle et intelligible par tous, s’adresse à un public « indifférencié et illimité » et, en offrant, après la barbarie de la guerre, « le spectacle réparateur de l’ordre cosmique et la consolation de la beauté » (P. Georgel, Le cycle des Nymphéas, 1999, p. 17-18), elle transcende les idéologies. Clemenceau en a bien exprimé la singularité, parlant d’« une envahissante émotion de beauté » : « Lorsque les Nymphéas du Jardin d’eau nous emportent de la plaine liquide aux nuages voyageurs de l’esprit infini, nous quittons la terre, et son ciel même, pour jouir pleinement de l’harmonie suprême des choses, bien au delà de notre petit monde planétaire, dans le plein vol de nos émotivités » (Clemenceau, Claude Monet : les Nymphéas, 1928).

La décision prise de l’affecter à l’Orangerie, Monet conçut, avec l’aide de l’architecte Lefèvre, la disposition en ellipse des deux salles destinées à recevoir les toiles, disposition qui soustrait l’œuvre à la traditionnelle subordination au cadre architectural. Avec ce don (conditionné néanmoins par Monet à l’acquisition par l’État de ses Femmes au jardin de 1866), le peintre offrait à la Nation le « gage […] du pouvoir civilisateur de l’art » (P. Georgel, p. 17), tandis que l’État reconnaissait l’importance historique de l’impressionnisme.

Maurice AGULHON, Marianne au pouvoir. L'imagerie et la Symbolique républicaines de 1880 à 1914, Paris, Flammarion, 1979.

Georges CLEMENCEAU, Claude Monet. Les Nymphéas, Paris, Plon, 1928.

Pierre GEORGEL, Monet. Le cycle des Nymphéas, catalogue de l’exposition du musée de l’Orangerie, Paris, RMN, 1999.

Pierre VAISSE, La Troisième République et les peintres, Paris, Flammarion, 1995.

Impressionnisme : Courant artistique regroupant l’ensemble des artistes indépendants qui ont exposé collectivement entre 1874 et 1886. Le terme a été lancé par un critique pour tourner en dérision le tableau de Monet "Impression soleil levant" (1872). Les impressionnistes privilégient les sujets tirés de la vie moderne et la peinture de plein air.

Philippe SAUNIER, « Un Décor public sous la IIIe République », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 13/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/decor-public-iiie-republique

À découvrir :

Les Nymphéas sur le site web  de Panorama de l'art.

La présentation du cycle des Nymphéas sur le site web du musée de l'Orangerie

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

" J'accuse... ! " de Zola

" J'accuse... ! " de Zola

L’affaire Dreyfus : une erreur judiciaire

En mars 1896, Picquart, le nouveau chef des Services de renseignements de l’état-major, découvrit l’…

Novembre 1918 : mettre un terme à la guerre

Novembre 1918 : mettre un terme à la guerre

Les signataires des traités, mandataires de puissances à bout de souffle

A l’issue de la Première Guerre mondiale, les pertes humaines immenses et…

Novembre 1918 : mettre un terme à la guerre
Novembre 1918 : mettre un terme à la guerre
La Propagande boulangiste

La Propagande boulangiste

Le plébiscite populaire du général Boulanger

La menace qu’a fait peser le général Boulanger sur la république a été brève. Tout commence quand,…

La Propagande boulangiste
La Propagande boulangiste
La Charge

La Charge

L’agitation politique et sociale, au tournant du siècle, n’est pas seulement due au contexte de l’affaire Dreyfus et de la crise des Inventaires.…

Jules Grandjouan

Jules Grandjouan

Premières élections pour les communistes français

La guerre, « catalyseur de l’histoire » selon les termes de Lénine, a profondément bouleversé l’…

Rodin : le buste de Clemenceau

Rodin : le buste de Clemenceau

Un buste de commande

En 1900, la force de ses portraits avait déjà valu une réputation mondiale à Rodin : écrivains, industriels et hommes…

Le Traité de Versailles

Le Traité de Versailles

La signature du traité de paix de Versailles intervient quelques mois après l’armistice du 11 novembre 1918. Mais l’armistice ne signifie pas la…

Le Traité de Versailles
Le Traité de Versailles
Le Traité de Versailles
Le Traité de Versailles
L'Antiparlementarisme des années 30

L'Antiparlementarisme des années 30

Lorsque les radicaux soutenus par les socialistes reviennent au pouvoir en mai 1932, la crise économique à laquelle la France a échappé jusqu’en…

L'Antiparlementarisme des années 30
L'Antiparlementarisme des années 30
La Serre politique et parlementaire

La Serre politique et parlementaire

1912 : Armand Fallières est président de la République depuis six ans. A la tête du gouvernement depuis le début de l’année, Raymond Poincaré…

La Serre politique et parlementaire
La Serre politique et parlementaire
Le grand tenor du radicalisme

Le grand tenor du radicalisme

Clemenceau avant l’Affaire Dreyfus

Médecin, issu d’une famille bourgeoise de la Vendée de tradition républicaine, Clemenceau entre véritablement…