Paysage dévasté aux environs de l'Ailette et du mont des Singes (Picardie)
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : musée de l’Armée (Paris)
site web
Date de création : 1917
Date représentée : 1917
H. : 6 cm
L. : 13 cm
Épreuve argentique.
Domaine : Photographies
© Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais / image musée de l'Armée
2005.30.20 - 05-533922
Le Mont des Singes (Aisne) après l'apocalypse
Date de publication : Octobre 2007
Auteur : François BOULOC
Un site labouré et retourné par la Grande Guerre
Le cliché présenté montre de façon très brute les conséquences des combats qui eurent lieu sur le Chemin des Dames entre 1914 et 1918. Tout ce dont dispose l’observateur, c’est la vue des dégâts colossaux perpétrés à l’encontre de ce qui fut certainement la forêt de Pinon, touffue et giboyeuse. Le cliché date de 1917, année de l’offensive Nivelle, mais ces destructions sont aussi le résultat d’une accumulation : le Mont des Singes fut un lieu battu et rebattu par les belligérants. Ainsi, au lendemain de la bataille de la Marne, la tentative de poursuite des divisions allemandes par les Français et le Anglais débouche sur de violentes contre-attaques allemandes dans le secteur. Le front se stabilise fin 1914-début 1915, et sa ligne passe alors tout près du Mont des Singes. L’endroit se trouve ensuite au cœur de l’offensive française du printemps 1917 : sis à moins de quinze kilomètres de Soissons, et à quelque quatre kilomètres au nord du tristement célèbre Moulin de Laffaux, il est sur le chemin qui mène les troupes du françaises jusqu’à Laon (du moins selon la lettre des plans du 16 avril).
Enfin, la reprise de la guerre de mouvement à compter du printemps 1918 ajoute encore aux traumatismes subis, avec les dernières offensives allemandes, puis alliées. Du fait des pilonnages intensifs ayant accompagné cette succession de combats, et notamment les batailles de 1917 et 1918, le site se trouve bouleversé.
Comment les hommes détruisent la forêt
Le degré de dévastation observable sur la photographie est comparable à celui produit par un ouragan de forte intensité. Les témoignages, de paysans surtout, disent souvent le sentiment de gâchis éprouvé en face des outrages inouïs subis par les terres fertiles de Picardie ou de Champagne. Pour ce qui touche au lieu étudié ici, le décor des environs de Laffaux dans l’immédiat après-guerre a été campé d’après des informations de visu par Roland Dorgelès. Les mots choisis par l’écrivain concordent de façon saisissante avec la photographie prise au Mont des Singes, au vrai tout proche : « un grand ravin se creusait là, ses pentes recouvertes d’arbres dont la plupart étaient réduits à un moignon, ou bien déracinés et couchés de leur long dans les broussailles. Les gaz en avaient empoisonné beaucoup, tous les sapins étaient morts » (R. Dorgelès, Le Réveil des morts, p. 29). Les moyens employés pour arriver à ce résultat sont d’une puissance jamais égalée à l’époque, et forment un franchissement de seuil anthropologique dans l’histoire longue des formes de la violence de guerre. Car l’image ne doit pas égarer l’observateur : les cibles ici, furent bien des hommes et non des arbres. Certes, il n’y a aucune trace visible des combattants ayant été présents sur le site ou à proximité, mais leur présence est au-delà du probable. Comme en filigrane du cliché, ils lui confèrent une épaisseur humaine et un poids émotionnel troublant.
De la désolation à la Reconstruction
Ce paysage de guerre, théâtre des combats, demeure inchangé quand le fracas des armes cesse. Il s’intègre alors dans un ensemble douloureusement à l’unisson de ruines d’habitations, de routes éventrées, de champs et vergers anéantis. Fin 1918, sur le Chemin des Dames comme dans les autres endroits les plus éprouvés du front, le temps des hostilités laisse place à celui de la reconstruction. L’ampleur des dégâts est incommensurable, et vaut au secteur baigné par l’Ailette entre Laffaux et Berry-au-Bac d’être classé, plus ou moins durablement, en zone rouge. Cette dénomination administrative repose sur des critères d’appréciation visuels, un peu sur le modèle des échelles de Richter pour les séismes ou de Beaufort pour le vent. Les communes ou particuliers sinistrées se voient ainsi ouvrir un droit à indemnisation, ainsi que des moyens pour réhabiliter les espaces endommagés. Mais, malgré des années d’un travail opiniâtre, les lieux les plus meurtris par la guerre conserveront à jamais les stigmates de l’épreuve vécue. De nos jours, l’absence sur le Chemin des dames d’un patrimoine médiéval tel qu’en possèdent les autres régions françaises réitère, au même titre que ces bouts d’obus et de barbelés que l’on trouve en quantité dans les champs et forêts, le récit des souffrances endurées là entre 1914 et 1918.
Pierre VALLAUD, 14-18, la Première Guerre mondiale, tomes I et II, Paris, Fayard, 2004.
Denis DEFENTE (dir.) Le Chemin des dames, 1914-1918 Paris, Somogy, 2003.
Roland DORGELES Le Réveil des morts Paris, Albin Michel, 1923.
René Gustave NOBECOURT Les fantassins du chemin des dames Paris, Robert Laffont, 1965.
Nicolas OFFENSTADT (dir.)Le Chemin des dames, de l’événement à la mémoire Paris, Stock, 2004.
François BOULOC, « Le Mont des Singes (Aisne) après l'apocalypse », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 15/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/mont-singes-aisne-apres-apocalypse
Lien à été copié
Découvrez nos études
Le corps des morts
Les eaux-fortes présentées ici appartiennent à un cycle de gravures intitulé « La Guerre » et réalisé par Otto Dix en 1924. Il s’agit de cinq…
Les tirailleurs marocains
Libérées du front de l’est par le traité de Brest-Litovsk (1917) qui…
La guerre russo-turque
Prenant le relais des anciennes illustrations, les…
Prise de la smalah d'Abd-el-Kader
L’émir Abd el-Kader avait été l’âme de la résistance à la colonisation française de l’Algérie, dont la conquête avait été entreprise en 1830. D’…
Le Deux mai 1808 à Madrid
En 1814, soit près de deux ans après que le territoire espagnol a été libérée…
La Bataille d'Isly
Malgré le traité de la Tafna signé en 1837, qui reconnaissait l’autorité d’Abd el-Kader sur l’Algérie, celui-ci n’avait de cesse de vouloir en…
Marignan par Alexandre Évariste Fragonard : le genre historique revisité par l’art troubadour
Dans le but de concilier les héritages…
Les Zouaves sur tous les fronts
L’histoire des zouaves, unité d’infanterie spécifique au costume reconnaissable entre tous,…
Mac Mahon, maréchal et duc d'Empire
Issu d’une famille d’origine irlandaise, Mac-Mahon est sorti de Saint-Cyr en 1827 avant d’acquérir une brillante…
Un ex-voto pacifiste
Rappelant par sa composition les représentations d’apparitions miraculeuses de la Vierge, le tableau de Jules Roméo est en fait un ex-voto tout à…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel