Les Honneurs funèbres rendus à la mémoire de la reine l'an 1683
Les Regrets de toute l'Europe sur la mort de très haute, très puissante, et très vertueuse princesse Marie-Thérèse d'Espagne, reine de France et de Navarre, décédée le 30 juillet 1683
Les Honneurs funèbres rendus à la mémoire de la reine l'an 1683
Auteur : LANGLOIS Nicolas
Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France (BnF, Paris)
site web
Date de création : 1683
Date représentée : 4 septembre 1683
H. : 83 cm
L. : 52,9 cm
eau-forte, burin ; almanach royal pour l'année 1684
Domaine : Estampes-Gravures
© Domaine public / source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
ark:/12148/btv1b6945493j / RESERVE QB-201 (171)-FT 5
Hommage à la reine Marie-Thérèse
Date de publication : Septembre 2020
Auteur : Stéphane BLOND
La mort d’une reine
Alors qu’un almanach imprimé pour l’année 1683 représentait Les Réjouissances universelles sur l’heureuse naissance de monseigneur le duc de Bourgogne (6 août 1682), premier petit-fils de Louis XIV, l’année suivante, c’est un drame familial qui est au cœur des représentations.
Le vendredi 30 juillet 1683, la reine Marie-Thérèse meurt à Versailles, à l’âge de 44 ans. Fille de Philippe IV d’Espagne, elle naît au château de l’Escurial le 10 septembre 1638, cinq jours après le dauphin Louis de France, son futur mari. À la suite du traité des Pyrénées, elle devient reine de France et de Navarre en épousant Louis XIV le 9 juin 1660. En 1683, elle s’épuise en suivant le roi pendant une tournée d’inspection en Alsace et en Bourgogne. Après son retour à Versailles, palais où la cour est installée depuis un an, la reine développe une tumeur suivie d’une infection généralisée qui l’emporte en quatre jours.
Plusieurs almanachs produits en décembre 1683 pour l’année suivante rendent hommage à la reine défunte, qui donna six enfants à la France. Depuis le règne de Louis XIII, la mode des almanachs se développe. Ces productions gravées se présentent ordinairement sous la forme d’une affiche murale, avec un calendrier, plus des illustrations évoquant les principaux événements de la vie du royaume. Pendant le règne de Louis XIV, selon l’historienne de l’art Audrey Adamczak, ce genre éditorial est plébiscité par le microcosme éditorial parisien : « C’est avec le règne personnel de Louis XIV que l’almanach illustré connaît véritablement son apogée. Plus de cinq cents de ces scènes ancrées dans l’actualité accompagnant le calendrier d’une année sont éditées entre 1661 et 1716. » Ces supports peu coûteux, qui s’adressent à un large public, sont souvent qualifiés « d’almanachs royaux » par leurs producteurs, afin d’augmenter les ventes. Toutefois, ces documents ne doivent pas être confondus avec l’Almanach royal, un annuaire publié à partir de 1683 qui énumère les dirigeants des institutions françaises et des familles régnantes européennes.
Pour l’année 1684, deux graveurs et marchands d’estampes issus de lignées d’imprimeurs parisiens prennent comme sujet iconographique la mort de la reine. Installé rue Saint-Jacques, à l’enseigne de la Victoire, Nicolas Langlois (1640-1703) produit des vues architecturales, de nombreuses cartes et des thèmes militaires. Également établi rue Saint-Jacques, à l’enseigne de la Ville-de-Cologne, François Jollain dit l’Aîné (1641-1704) couvre un répertoire similaire, mais avec moins de titres. Ces deux marchands proposent des almanachs composés de deux feuilles in-folio imprimées et collées. Ce montage est fréquent, car les gravures sont alors réalisées sur des plaques de cuivre de taille réduite.
Le temps du deuil
Contrairement aux premiers almanachs qui se concentraient sur le calendrier, ces deux exemplaires font la part belle à l’image. Elle est omniprésente, et seule une fenêtre réduite est réservée au calendrier imprimé en noir et rouge. Celui-ci comprend les phases de la lune, les mois, les saints et les fêtes religieuses.
Avec Jollain, l’attention se dirige vers le souverain. Louis XIV siège en majesté, en haut au centre de l’image. Il est assis sur son trône, porte la couronne, le manteau du sacre, les ordres de chevalerie, le sceptre et la main de justice. Cinq femmes et cinq hommes se répartissent à sa droite et à sa gauche, dont le Grand Dauphin et Monsieur, son frère. Le souverain reçoit les condoléances des nations européennes : Les Regrets de toute l’Europe sur la mort de très haute, très puissante, et très vertueuse princesse Marie-Thérèse d’Espagne, reine de France et de Navarre, décédée le 30 juillet 1683. Huit allégories féminines incarnent les principaux alliés de la France ou les États attachés à la mémoire familiale de Marie-Thérèse d’Autriche. Ainsi, l’Empire, terre d’origine des Habsbourg, et la maison d’Espagne, terre natale de la reine, sont placés au premier rang, dans une attitude éplorée. Ils sont entourés par l’Angleterre, la Bavière, Venise, la Toscane, la Savoie et un État non légendé. Toutes ces figures arborent une couronne, ou la corne ducale représentative du doge de Venise. Le portrait de la défunte couronnée par l’Immortalité est inséré dans la partie inférieure de l’image. D’autres vignettes évoquent le convoi funèbre vers la basilique de Saint-Denis, les décorations intérieures de la nécropole royale et le chœur de Notre-Dame de Paris.
L’almanach de Langlois ne représente pas le roi, mais se concentre sur les pompes funèbres, avec une composition chargée et sombre qui sied bien aux rituels du deuil : Les Honneurs funèbres rendus à la mémoire de la reine l’an 1683. Un portrait en médaillon de la défunte, seulement inversé par rapport à celui de Jollain, est porté par trois putti au sommet de l’image. L’illustration principale concerne le mausolée édifié pour le service divin célébré à Notre-Dame de Paris le 4 septembre. Entre celle-ci et l’almanach, une vignette représente également le convoi funèbre jusqu’à Saint-Denis. Sur les marges, une douzaine de petites vignettes traite des grands événements funéraires : décoration de l’entrée du chœur de Saint-Denis, mausolée et service de Saint-Denis, chapelle ardente de Versailles, mausolées de Notre-Dame du Havre, de Notre-Dame-de-Nazareth à Aix, des Célestins d’Avignon, des abbayes Saint-Germain à Paris, Saint-Rémy à Reims et Saint-Corneille à Compiègne, appareil funéraire du collège Louis-le-Grand, service de Saint-Jean-en-Grève à Paris, dépôt du cœur de la reine au Val-de-Grâce.
La mise en scène des funérailles
Ces almanachs puisent déjà dans les ressorts de la « mort spectacle », évoquée par l’historien Joël Cornette pour le décès de Louis XIV.
Dans les jours qui suivent la mort de la reine, les funérailles sont organisées par les Menus-Plaisirs, une administration rattachée au secrétariat d’État à la Maison du roi. Cette charge est assurée par Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) depuis 1665, mais le ministre d’État, déjà malade, meurt le 6 septembre 1683, soit une double perte pour le roi en quelques semaines. Jean-Baptiste Colbert de Seignelay (1651-1690), fils du ministre, dirige les préparatifs longuement décrits dans la livraison d’août 1683 du Mercure galant. Immédiatement après la mort de la reine, le roi gagne le château de Saint-Cloud avec son frère, car le protocole lui interdit de prendre part à des obsèques. Le corps de Marie-Thérèse est exposé, autopsié et embaumé. S’ensuivent de nombreuses messes, des prières, le dépôt de son cœur au Val-de-Grâce et la procession nocturne jusqu’à la nécropole royale de Saint-Denis.
Les deux almanachs représentent un long convoi, escorté douze heures durant par les gardes du roi et cinq demoiselles d’honneur choisies pour faire le deuil. Il n’y a pas de différence notable entre les deux représentations, hormis la légende ajoutée par Langlois. Les services funèbres, l’oraison prononcée par Bossuet le 1er septembre et les figures allégoriques des almanachs insistent unanimement sur les vertus de la reine défunte : la piété, la charité, l’immortalité.
Plusieurs cénotaphes monumentaux sont également édifiés à travers le royaume. En la cathédrale Notre-Dame de Paris, c’est l’archevêque qui assure le service divin du 4 septembre, auquel assistent les membres de la famille royale et les principaux représentants de la monarchie. Quinze groupes de personnages sont ainsi recensés dans la légende produite par Langlois.
Au-delà de l’événement funeste, les placards mettent en scène la figure du roi, sa famille et les grands acteurs du royaume que le public croise très rarement. En ce sens, les « almanachs royaux » constituent une source d’information politique, au point que les thèmes traités seraient suggérés, voire subventionnés par des agents du pouvoir royal. Cette image d’actualité permet aussi de faire passer des messages politiques, comme la posture des États européens qui confine à un hommage au plus grand souverain d’Europe. La représentation apologétique du roi renforce l’idée d’une soumission à sa personne.
Planifié sur de nombreux mois, le temps du deuil est écourté. Dès le mois d’octobre, Louis XIV épouse en secret sa favorite, Madame de Maintenon (1635-1719), l’ancienne surintendante de la Maison de la reine.
ADAMCZAK Audrey, « Les almanachs gravés sous Louis XIV : une mise en images des actions remarquables du roi », Littératures classiques, no 76, 2011, p. 63-70.
CORNETTE Joël, HELVÉTIUS Anne-Marie (dir.), La mort des rois : de Sigismond (523) à Louis XIV (1715), Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, coll. « Temps et espace », 2017.
GRAND-CARTERET John, Les almanachs français : bibliographie, iconographie des almanachs, des années, annuaires, calendriers, chansonniers, étrennes, états, heures, livres d’adresses, tableaux, tablettes et autres publications annuelles éditées à Paris (1600-1895), Paris, J. Alisié et Cie, 1896.
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PRÉAUD Maxime, Les effets du Soleil : almanachs du règne de Louis XIV, cat. exp. (Paris, 1995), Paris, Réunion des musées nationaux, 1995.
SABATIER Gérard, SAULE Béatrix (dir.), Le roi est mort : Louis XIV (1715), cat. exp. (Versailles, 2015-2016), Paris, Tallandier / Versailles, château de Versailles, 2015.
Apologie : Discours ou écrit ayant pour objet de défendre, de justifier, de faire l’éloge d’une personnalité.
Oraison funèbre : Discours prononcé lors de funérailles qui fait l’éloge du défunt. Connues depuis l’Antiquité, les Oraisons funèbres de Jacques-Bénigne Bossuet sont célèbres et considérées comme des œuvres littéraires.
Stéphane BLOND, « Hommage à la reine Marie-Thérèse », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 15/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/hommage-reine-marie-therese
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