Les Sabines
Scène de déluge
Napoléon Ier en législateur
Les Sabines
Auteur : DAVID Jacques Louis
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
H. : 385 cm
L. : 522 cm
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / René-Gabriel Ojeda
INV 3691 - 94-060206
Prix décennaux, un débat esthétique
Date de publication : Septembre 2009
Auteur : Guillaume NICOUD
Un débat esthétique impliquant l’Empereur
En 1802, Bonaparte commande à l’Institut de France, qui remplace les académies royales supprimées par la Révolution, un rapport général sur « le progrès des sciences, des lettres et des arts depuis 1789 ». En 1804, il décrète l’institution de prix décennaux pour récompenser les plus belles réalisations scientifiques, techniques et artistiques produites depuis son coup d’État de 1799. Il entend ainsi célébrer tous les dix ans son accession au pouvoir et glorifier son règne. L’Institut, qui ne lui remettra son rapport qu’en 1808, lui présente en 1810 une sélection qui ne trouve pas entièrement son approbation, notamment pour les arts plastiques, et la remise des récompenses est reportée sine die. Durant l’année, une exposition des œuvres nommées est même organisée au musée Napoléon, en vain.
Les meilleurs sujets d’histoire héroïque
En peinture et sculpture, les prix de première classe sont doubles : ils récompensent les meilleurs sujets d’histoire héroïque et d’histoire nationale.
Pour le prix du « meilleur tableau représentant un sujet honorable pour le caractère national », l’Institut préfère Le Sacre de David (1807) aux Pestiférés de Jaffa de Gros (1804, les deux œuvres sont au Louvre). Il considère par contre la Scène de déluge de Girodet (1806) comme un meilleur tableau d’histoire que Les Sabines de son maître David (1799, idem). D’avis contraire, l’Empereur demande à l’Institut de revoir ses choix. Mais celui-ci persiste à déclarer qu’en la matière, l’œuvre de Girodet constitue la création la plus représentative de l’école de peinture française.
Pour l’Institut, la Scène de déluge supplante Les Sabines par « la pensée poétique et la composition pittoresque [qui] sont entièrement de l’invention du peintre ». Son sujet se veut intemporel et universel, surpassant ainsi la représentation du combat des Sabins contre les Romains qui s’appuie sur des sources textuelles historiques. Sa composition aussi est originale et personnelle tandis que l’Institut reproche à David d’avoir trop tendance à s’inspirer de la statuaire antique. Enfin, le sujet et son traitement sont considérés comme plus vraisemblables, plus proprement picturaux et moins inconcevables qu’une représentation de soldats romains nus en plein combat.
En revanche, pour l’Institut comme pour l’Empereur, le Napoléon législateur commandé à Chaudet pour décorer la salle d’assemblée du Corps législatif (1804, original au musée de l’Ermitage, réplique à Compiègne) offre le meilleur exemple de sculpture à sujet héroïque, à la fois par sa représentation à l’antique du personnage, nu et drapé d’un manteau à « la forme […] dont on fait usage aujourd’hui », et par la « noble et calme sérénité » du traitement du visage qui sied parfaitement au programme.
La nudité héroïque
En sculpture, l’idéalisation que l’Institut prône dans la représentation d’un sujet historique doit tendre à la nudité héroïque. Le procédé s’avère problématique pour figurer l’Empereur, qui est le premier à s’y opposer. L’autre statue de Napoléon commandée à Chaudet pour la colonne Vendôme le figure nu, portant simplement une toge sur le bras (sculpture détruite durant la Commune). Une fois achevée (1810), elle est rapidement hissée à son sommet tandis que, dès sa réception en 1811, la statue colossale L’Empereur en Mars pacificateur par Canova, véritable nu héroïque, est cachée au Louvre. En 1809, Napoléon souhaite que l’Institut intègre le sculpteur italien au concours, mais il ne connaît alors l’œuvre que par la gravure…
Pour pouvoir concourir dans la catégorie suprême du meilleur tableau d’histoire, David doit quant à lui exposer Les Sabines pour la première fois dans un Salon en 1808.
Les Sabines et la Scène de déluge illustrent aussi la suprématie du nu académique en peinture. Le premier tableau représente « l’immobilité succédant à un grand mouvement » (Alexandre Lenoir, in Histoire des arts en France, et description chronologique, 1811), David ayant figuré le moment où Hersilie s’interpose avec succès entre son père le roi des Sabins Tatius et son époux le roi romain Romulus. La Scène de déluge, au contraire, illustre le moment où « une famille surprise pendant la nuit par l’inondation est sur le point d’être engloutie sous les eaux » (Girodet in Œuvres posthumes de Girodet-Trioson, 1829). Les deux tableaux offrent des éléments de beauté idéale, « une noble simplicité et une grandeur sereine » que Winckelmann (in Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques en peinture et en sculpture, 1755) admirait dans la statuaire grecque. Mais les attitudes et expressions de la famille que, dans la Scène de déluge, un père tente désespérément de sauver produisent surtout un sentiment de terribilita propre à certaines œuvres de Michel-Ange et au Laocoon, qui touchent au sublime.
Les Sabines peuvent être perçues comme un message de réconciliation après les déchirements révolutionnaires. Avec sa Scène de déluge, Girodet a voulu représenter le désespoir des hommes qui, « au milieu des tempêtes sociales appuient, comme cette famille, leur salut et leur fortune, sur des soutiens pourris ! ». Plus préromantique que classique, cette toile remporte toutefois les suffrages de l’Institut. En fait, ses membres reprochent surtout à David sa participation acharnée à la dissolution de l’ancienne Académie sous la Révolution et son ambition tout aussi nuisible en tant que premier peintre de l’Empereur.
Rendues encore plus célèbres par ce concours avorté – l’Empereur capitulant avant de rendre sa décision finale –, Les Sabines et la Scène de déluge n’entrèrent toutefois au Louvre que sous la Restauration.
Sylvain LAVEISSIERE (dir.), Napoléon et le Louvre, Paris, Fayard : Louvre , cop.2004
Alexandre LENOIR, Histoire des arts en France, et description chronologique, Paris, Musée impérial des monuments français, 1811.
Néoclassicisme : Mouvement artistique qui se développe du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle. Renouant avec le classicisme du XVIIe siècle, il entend revenir aux modèles hérités de l’Antiquité, redécouverts par l’archéologie naissante. Il se caractérise par une représentation idéalisée des formes mises en valeur par le dessin.
Académie des beaux-arts : Créée en 1816 par la réunion de l’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648, de l’Académie royale de musique, fondée en 1669, et de l’Académie royale d’architecture, fondée en 1671. Institution qui rassemble les artistes distingués par une assemblée de pairs et travaillant le plus souvent pour la couronne. Elle définit les règles de l’art et du bon goût, forme les artistes, organise des expositions.
Guillaume NICOUD, « Prix décennaux, un débat esthétique », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 15/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/prix-decennaux-debat-esthetique
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