Le Retour de la flotte de la Compagnie des Indes néerlandaises
Vue de la ville de Batavia
Carte géographique des Pays-Bas
Carte géographique de l'Indonésie
Le Retour de la flotte de la Compagnie des Indes néerlandaises
Auteur : BACKHUYSEN Ludolf
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
Date représentée : 1677
H. : 171 cm
L. : 287 cm
Huile sur toile transposée.
Domaine : Peintures
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot
INV 987 ; MR 547 - 91-002037
La Compagnie néerlandaise des Indes orientales
Date de publication : Octobre 2023
Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD
La Compagnie des Indes orientales, agent de la colonisation néerlandaise
Lorsqu’elles obtiennent officiellement leur indépendance, les Provinces-Unies sont déjà en position de dominer le commerce maritime international. Ce qu’on désigne ordinairement comme le Siècle d’or hollandais s’ouvre en effet avec la création, en 1602, de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Elle concurrence directement son homologue anglaise créée deux ans plus tôt, et lance des attaques contre les comptoirs portugais en Afrique et en Asie. Bien qu’elle soit la première au monde à se constituer en société anonyme composée d’actionnaires, l’entreprise est largement soutenue par l’État néerlandais auquel elle fournit en retour un appui stratégique. Les buts que poursuit la Compagnie sont à cet égard aussi bien commerciaux que militaires, et ses succès tiennent autant aux dommages que ses navires sont en mesure d’infliger à ses concurrents qu’aux échanges internationaux de marchandises qu’elle organise avec l’empire colonial néerlandais.
La création de la Compagnie est directement liée à ses premières expéditions en 1595-1596 vers l’actuelle Indonésie. En 1619, la flotte s’empare de la ville de Jakarta qu’ils détruisent et rebaptisent Batavia (nom qu’elle conserve jusqu’en 1942) en hommage aux Bataves qui se révoltèrent contre les Romains en 70. Une citadelle y est érigée pour prévenir les menaces que font peser sur la colonie les princes locaux jusqu’au milieu des années 1750. L’ouvrage fortifié veille sur une colonie à l’urbanisme et à l’architecture importés des Provinces-Unies, dont Batavia constitue le principal relais en Orient.
Le format qu’adopte Ludolf Backhuysen pour Le Retour de la flotte de la Compagnie des Indes néerlandaises est plus proche du tableau d’histoire que du genre de la marine auquel son thème l’apparenterait logiquement. Un « mélange des genres » qui a fait la fortune du peintre dans son pays natal comme auprès des souverains européens, qui appréciaient chez Backhuysen sa faculté à investir ses sujets d’une grandeur épique autant que politique.
Bien que d’apparence plus topographique, une même puissance se dégage de la Vue de la ville de Batavia que grave et colore Jan van Ryne au siècle suivant. Significativement, ce dernier, lui aussi néerlandais, s’est établi dès 1750 à Londres, soit à un moment où le Royaume-Uni s’impose sur les mers face aux Provinces-Unies.
Une flotte puissante pour une cité ordonnée
L’escadre (flotte) du Retour de la flotte de la Compagnie des Indes néerlandaises progresse en bon ordre malgré le vent fort qui soulève de l'écume à la surface de l'eau et qui gonfle ses voiles. L’agitation se prolonge jusque dans les nuées qui se déploient dans la partie supérieure de la composition, selon une division caractéristique de la peinture hollandaise de paysage et de marine, où les ciels occupent souvent deux tiers de la composition. L’angle qu’a choisi Backhuysen, depuis la poupe des navires de lignes, positionne le spectateur comme s’il se trouvait lui-même en mer dans leur sillage. Cette position permet à la fois d’en identifier certains (ainsi du D’Hollanse Tuin à gauche), confirmant au passage leur appartenance à la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, et de transmettre aux spectateurs le sentiment de puissance que laisse dans son sillage l’avancée de la flotte.
La puissance qui se dégage également de la Vue de la ville de Batavia est d’une autre nature. C’est l’ordonnancement de la cité et de ses alentours qui en est ici le gage. Vue en perspective, le comptoir frappe par la rationalité de son plan d’ensemble. Entre les canaux, une citadelle garde l’entrée de Batavia, flanquée d’une série de forteresses sur les hauteurs de la ville. Intra muros, les maisons familiales et les entrepôts s’alignent le long d’allées boisées suivant un plan hippodamien, c’est-à-dire une forme de planification urbaine en îlots rectilignes pratiquée par les Grecs anciens pour leurs colonies, qui se prolonge jusque dans les champs extra muros. Seul le dôme d’une église s’élève au-dessus du reste de la paisible cité. Le calme de l’ensemble n’est en effet troublé que par le coup de canon que donne à l’avant-plan un navire de ligne s’approchant de la rade. Au reste, la domination que les Provinces-Unies exercent sur ce territoire ultramarin semble étonnamment pacifique. De part et d’autre de la vue, les gibets et les roues suggèrent la violence sur laquelle repose en réalité son ordre quotidien (détail).
Un commerce aventureux et une colonisation prospère
Les deux œuvres fournissent effectivement des représentations biaisées du commerce international de l’époque, comme de l’entreprise coloniale qui s’institutionnalise alors. Rétrospectivement, ces biais n’en sont pas moins révélateurs. Ils trahissent les intentions de leurs auteurs, et à travers eux l’image du commerce et de la colonisation que se formaient alors leurs contemporains.
Avant qu’elle ne prenne le nom de Compagnie néerlandaise des Indes orientales, c’est sous celui plus évocateur de « Compagnie du lointain » que furent organisées les premières expéditions vers les Indes. L’imaginaire d’un commerce aventureux est particulièrement mis en évidence par Backhuysen dans sa peinture. La promesse de l’enrichissement que rapportent ces navires qui s’approchent probablement de l’île de Texel, à l’embouchure de la mer intérieure (Ijsselmeer) de la jeune république, est fonction des risques qu’ont pris aussi bien les actionnaires de la Compagnie que les armateurs, les marins et les officiers qui en assurent le fonctionnement. L’association du large à la violence est déjà un lieu commun des peintures de marine hollandaises.
Une sensibilité parallèle, quoique contraire, se devine dans l’ordre pacifié du plan de Batavia. Sa représentation pondérée fait office de contrepoint à la vision aventureuse du commerce dont elle tire sa prospérité. Bien qu’elle soit destinée aussi à un public international (la gravure est éditée à Paris), pour un spectateur néerlandais de l’époque, la Vue de la ville de Batavia lui est certainement plus familière qu’exotique, mis à part quelques bateaux à la silhouette pittoresque. Deux types iconographiques l’ont en effet préparé à ce genre de représentation hybride, entre le plan et la vue. D’une part, la cartographie, dans laquelle excellent les géographes néerlandais depuis le XVIe siècle, et d’autre part les vues de villes et de ports qui, depuis le milieu du XVIIe siècle, se sont faits une place de choix dans les intérieurs des contemporains de Backhuysen et Van Ryne qui raffolent au moins autant de ce type de tableaux que des marchandises rapportées de l’autre bout du monde.
Le Siècle d’or hollandais - Les traces de l'empire Hollandais, une vidéo du musée du Louvre
Alain CORBIN, Le Territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage 1750-1840, Paris, Flammarion, 1988.
Alain CORBIN, Hélène RICHARD (dir.), La Mer. Terreur et fascination, Paris, Seuil, 2004.
Philippe HAUDRERE, La Compagnie des Indes orientales, trois siècles de rencontre entre Orientaux et Occidentaux. 1600-1858, Parsi, Desjonquères, 2006.
Gilles A. TIBERGHIEN, Finis Terrae. Imaginaires et imaginations cartographiques, Paris, Bayard, 2007. Georges VIGARELLO, Une histoire des lointains. Entre réel et imaginaire, Paris, Seuil, 2022.
Paul BERNARD-NOURAUD, « La Compagnie néerlandaise des Indes orientales », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 15/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/compagnie-neerlandaise-indes-orientales
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