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On pacifie quelquefois...

On pacifie quelquefois...

... Pas toujours

... Pas toujours

On pacifie quelquefois...

On pacifie quelquefois...

Auteur : KUPKA Frantisek

Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web

Date de création : 1904

H. : 60 cm

L. : 44,5 cm

Encre de Chine appliquée à la plume (et au pinceau ?), en grisé (frottis léger) pour le fond, aquarelle ocre, jaune, rouge, verte et bleu, crayon noir, visages au second plan en réserve, traits de cadrage au crayon, sur papier vergé.

Composition définitive destinée à la photogravure numéro spécial de L'Assiette au Beurre, La Paix, n° 177, 20 août 1904

Domaine : Dessins

© ADAGP © GrandPalaisRmn (musée d'Orsay) / Thierry Le Mage

Lien vers l'image

RF 52520 - 01-021936

Kupka et L’Assiette au beurre : La Paix

Date de publication : Mars 2018

Auteur : Alexandre SUMPF

Guerre et Paix… sociale

Peintre et illustrateur tchèque émigré à Paris en 1896, Frantisek Kupka (1871-1957) collabore avec L’Assiette au beurre dès les débuts de la revue. Après L’Argent en janvier 1902 et à la suite de Religions de mai 1904, celui qui sera plus tard l’un des pionniers de l’abstraction réalise un troisième (et dernier) numéro complet pour L’Assiette au beurre. La Paix, qui paraît le 20 août 1904, s’inscrit dans un contexte international et géopolitique tendu. La soif de revanche qui anime les Français après la Guerre de 1870, les appétits coloniaux qui s’aiguisent depuis les années 1880, ou encore les diverses visées impérialistes conduisent les grandes puissances à s’armer toujours davantage, sur fond de propagandes patriotiques. La mise en place d’alliances (Triplice entre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie depuis 1882, accord Franco-Russe en 1892, Entente cordiale entre la France et l’Angleterre en avril 1904) contribue paradoxalement à nourrir les antagonismes et semble plutôt destinée à préparer de futurs conflits qu’à assurer la paix. Fidèle à ses convictions et à la ligne anarchisante de L’Assiette au beurre, Kupka saisit l’occasion de cette parution pour développer des thèmes antimilitaristes et antinationalistes qui vont à rebours de l’opinion dominante.

Sur les seize illustrations qui composent l’album, plusieurs font référence à la situation géopolitique. La Conférence et Le Martyr de la paix sont ainsi directement consacrées à la conférence de la paix de La Haye qui a eu lieu en 1899, quand Pax vobiscum insiste sur les rapports belliqueux - et faussement pacifiques - entre pays européens ; vague jeu d’alliances par ailleurs envisagé sous l’angle du profit capitaliste (Les bases de l’équilibre européen). D’autres dénoncent pêle-mêle la domination culturelle du fait militaire auprès des enfants éduqués à la violence (En semaine et Le dimanche) ; l’apologie de la guerre sur fond nationaliste (Et vive l’armée) ; l’alliance de l’armée avec la religion (À bientôt) ; le rôle des industriels (L’inventeur de l’écrabouillite, 80.000 morts au centième de seconde) ou encore la guerre comme outil d’oppression du peuple (la double page Vous devriez bien nous la foutre…).

Toutefois, On pacifie quelquefois… et … Pas toujours se détachent de la question militaire et ne font pas de référence explicite à l’armée. Ici, la « paix » et la « guerre » sont envisagées sous un angle social et politique.  

Peuple soumis, peuple révolté

On pacifie quelquefois… met en scène l’un des personnages typiques de Kupka - déjà présent dans le numéro sur L’ArgentMonsieur Capital (inspiré des représentations de Mammon, démon biblique de l’avarice)1. Grand capitaliste industriel (les usines au second plan), le bourgeois au gros ventre rempli de pièces d’or portant haut de forme et costume élégant rend visite à ses ouvriers pour leur donner l’aumône en passant, sans descendre de sa luxueuse voiture coupée conduite par deux cochers. Les travailleurs ne composent qu’une masse indistincte, de laquelle émergent les quelques visages marqués de ceux qui viennent mendier une pièce dans une attitude soumise et obséquieuse. Le peuple est ici soumis et divisé : de la foule incertaine, sortent momentanément et comme par hasard quelques figures sans fierté, simples personnages courbés, serviles et isolés de tout élan collectif.

Sur Pas toujours, le peuple est réuni non loin de la Bastille (la Colonne de Juillet et le génie sont visibles au centre). Le drapeau rouge flotte et les insurgés parfois blessés (le sang sur le bras du personnage à droite) ont pris les armes (des fusils à baïonnettes, une grande pince, une sorte d’épée) pour se soulever. À la pointe d’une baïonnette ou - plus original - prise dans l’étau de la pince, on aperçoit deux têtes d’oppresseurs décapités : un souverain à couronne et un propriétaire (voir le panneau « propriété privée »). Le peuple est ici révolutionnaire : vigoureux, beau et fier, à l’unisson. Ici, les individualités reconnaissables au premier rang (la femme, l’homme au drapeau rouge) s’épanouissent, à la fois portées par le souffle de colère qui anime la foule et porteuses de cette puissance physique collective déployée.

Révolution(s)

Si les armes, la brutalité et la fureur ne sont pas absentes de On pacifie quelquefois… et de … Pas toujours (la grande pince, l’épée, le fusil à baïonnette et les deux décapités de Pas toujours), il s’agit cette fois de la lutte des classes ou, du moins, de la « guerre » du peuple contre l’oligarchie industrielle et capitaliste.

L’ordre social actuel est décrit comme injuste et inégalitaire où s’opposent l’opulence de Monsieur Capital et de son équipage d’un côté, et la masse des ouvriers de l’autre. Cet ordre semble fragile, qui repose uniquement sur la charité bien chiche (une seule pièce) – et non sur la juste répartition des fruits du travail - que daignent parfois faire les dominants aux classes laborieuses pour acheter la « paix ». Des classes laborieuses qui apparaissent d’ailleurs trop dociles, trop reconnaissantes et trop soumises, comme le montre l’attitude de ceux qui viennent sur le passage du patron.

Mais cela ne fonctionne et ne fonctionnera pas toujours : le peuple peut retrouver sa dignité, sa force, sa fierté (les torses bombés, les muscles saillants de Pas toujours) mais aussi son unité dans une soudaine explosion de violence révolutionnaire. Voilà qui s’est déjà produit par le passé et pourrait (pourra) de nouveau advenir, balayant aussi bien le pouvoir politique (la tête couronnée) que le pouvoir financier (la propriété privée).

On pacifie quelquefois… et … Pas toujours fonctionnent donc à la fois comme un rappel de la Révolution et un appel à celle-ci, empruntant aux symboles historiques (1789 avec la Bastille) et aux références politiques (les utopies socialistes, le marxisme ou la Commune avec le drapeau rouge, le monde ouvrier, la mention de la propriété privée) pour prédire, souhaiter et dessiner un autre avenir possible.  

 

CHALUPA, Pavel, François Kupka à L’Assiette au Beurre, Prague, Chamarré, 2008.

DIXMIER, Elisabeth et Michel, L’Assiette au Beurre : revue satirique illustrée, 1901-1912, Paris, François Maspero, 1974.

DIXMIER, Michel, Quand le crayon attaque : images satiriques et opinion publique en France, 1814-1918, Paris, Éditions Autrement, 2007.

DROZ, Jacques, (dir.), Histoire générale du socialisme, t. 2, Paris, PUF, 1978-1979.

MAITRON, Jean, Le mouvement anarchiste en France, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1992.

HOUTE, Arnaud-Dominique, Le triomphe de la République, 1871-1914 Paris, Seuil, 2014.

VACHTOVA, Ludmila, Frantisek Kupka, Prague, Odeon, 1967.

1. Ce type iconographique renvoie probablement au Rothschild de Charles Léandre sur la couverture de la revue humoristique Le Rire de 1898, mais d’autres sources iconographiques sont envisageables. Peut-être faut-il préciser que ce genre de représentations relève strictement chez Kupka d’une critique sociale mais en aucun cas d’antisémitisme. Kupka en est d’ailleurs éloigné, comme il l’a toujours affirmé et comme il l’a prouvé par sa vie et ses actes. THEINHARDT (Markéta), "František Kupka, dessinateur de presse", dans LEAL (B.), THEINHARDT (M.) et BRULLE (P.), Kupka, pionnier de l'abstraction, cat. expo., Paris, Grand Palais, Galeries nationales, (21 mars – 30 juillet 2018), Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2018.

Alexandre SUMPF, « Kupka et L’Assiette au beurre : La Paix », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/kupka-assiette-beurre-paix

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