Ulysse reconnaissant Achille (déguisé en femme) parmi les filles de Lycomède
Cabinet de curiosité
Réunion d'oiseaux étrangers
Ulysse reconnaissant Achille (déguisé en femme) parmi les filles de Lycomède
Auteur : FRANCKEN Frans
Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web
Date de création : Après 1620
H. : 74 cm
L. : 105 cm
Huile sur bois
Domaine : Peintures
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski
RF 1535 - 03-001434
Cabinets de curiosités
Date de publication : Septembre 2022
Auteur : Lucie NICCOLI
La mode des cabinets de curiosités et celle de leur représentation picturale
A partir de la fin du XVe siècle, les princes d’Europe du Nord et d’Italie – les Este, à Ferrare, ou les Médicis à Florence, Ferdinand II (1522-1595) à Innsbrück ou Rodolphe II (1552-1612) à Prague, François Ier à Fontainebleau – ainsi que certains érudits humanistes et dignitaires ecclésiastiques commencent à assembler de riches collections d’objets rares et étranges qu’ils conservent dans de petites pièces de leurs palais appelées Kunst und Wunderkammern (cabinets d’art et de merveilles), studioli, ou encore cabinets de curiosités. Leur curiosité est stimulée à la fois par la redécouverte de l’Antiquité grecque et romaine, source d’inspiration pour les artistes, un intérêt nouveau pour les sciences, et les premiers grands voyages d’exploration en Afrique, en Océanie et dans les Amériques.
Au cours du XVIe siècle, ce goût pour les « curiosités » se répand parmi les amateurs éclairés dont les collections peuvent être contenues dans un seul meuble ou dans de plus vastes pièces, progressivement ouvertes à la visite et à l’étude. Ce n’est qu’au siècle suivant que ces collections apparaissent dans les tableaux, servant parfois de décor à une peinture d’histoire ou à une allégorie. Ces « cabinets de curiosités » ou « d’amateur » ayant pour cadre de luxueux intérieurs bourgeois constituent un véritable sous-genre dans la peinture flamande et néerlandaise de Francken, Brueghel ou Cornélis Baellieur (1607-1671). Frans Francken II, membre le plus fameux d’une dynastie de peintres à Anvers et propriétaire d’un atelier prospère, produisit un grand nombre de ces petits tableaux.
Certains peintres de natures mortes représentent en trompe-l’œil (note 1) un unique meuble cabinet renfermant ces trésors. C’est le cas de Domenico Remps, dont on sait peu de choses hormis le fait qu’il fut actif en Italie mais sans doute d’origine allemande. Dans sa peinture en trompe-l’œil d’un scarabatollo (cabinet ou reliquaire), une lettre glissée contre l’une des portes vitrées révèle que le commanditaire était lié au grand-duc de Toscane, Côme III de Médicis (1642-1723), dont une petite partie de la légendaire collection est donc dévoilée (détail 1). Au cours du XVIIIe siècle, l’influence des Lumières amène les amateurs à classer leurs collections selon leur nature, donnant lieu à la naissance des premiers musées. Le genre pictural évolue vers la représentation de galeries d’art, comme La Tribune des Offices, par Johann Zoffany, ou de collections d’histoire naturelle, comme celle présentée au Leverian Museum.
Au début du XIXe siècle, le peintre et collectionneur Alexandre Leroy de Barde réalise de grandes gouaches donnant à voir ces collections de coquillages et d’oiseaux. Elles sont acquises par Louis XVIII, qui le nomme Premier peintre d’histoire naturelle.
Différentes sortes de cabinets de curiosités
Daté des années 1620, le tableau réalisé par l’atelier de Frans Francken II a pour sujet un épisode tiré des Métamorphoses d’Ovide (livre XIII) (note 2) : Ulysse reconnaissant Achille parmi les filles de Lycomède, roi de Skyros. Pour empêcher son fils de participer à la guerre de Troie, c’est ainsi que Thétis avait caché Achille, déguisé en femme. Ulysse, parti à sa recherche, le démasque en mêlant aux colifichets présentés aux jeunes filles une épée et un bouclier, dont Achille – qui a ici non seulement le vêtement, mais l’apparence d’une femme – s’empare spontanément (détail 1). Cette histoire, qui n’occupe que le tiers gauche du tableau, sert de prétexte à la peinture d’une vaste pièce, ouverte sur un paysage de ville flamande (détail 2), emplie d’un amoncellement d’objets hétéroclites typiques d’un cabinet d’amateur. On y trouve pêle-mêle les diverses catégories d’objets que devait comprendre une collection reflétant l’étendue de la création divine : parmi les naturalia –issus des trois règnes de la nature –, des coquillages, un magnifique bouquet de fleurs et deux perroquets ; parmi les artificialia – créés ou modifiés par l’homme –, des armes, des instruments de musique, de l’orfèvrerie et des vases en pierre dure, des bijoux dans leurs coffrets ouvragés, ainsi qu’une sphère armillaire, évoquant l’étude des astres (détail 3). Les petites pièces sont exposées sur deux tables, l’une à gauche, l’autre à droite, tandis que les plus imposantes occupent le centre du tableau, au pied d’une cheminée surmontée de statuettes à l’antique et d’un tableau imaginaire au sujet mythologique, probablement en lien avec l’histoire d’Achille à Skyros. Dans le tiers droit du tableau, un meuble en ébène aux panneaux peints, dont les portes ouvertes laissent deviner les trésors, est à lui seul un cabinet de curiosités (détail 3).
C’est aussi le cas du scarabattolo peint en trompe-l’œil par Domenico Remps vers 1690, étagère vitrée aux volets en bois ouverts en triptyque, qui renferme, tel un microcosme, une sélection de « curiosités ». A commencer par un miroir convexe, en haut à gauche, reflétant lui-même la totalité de la pièce (détail 1). Perles et coquillages, pierres et cristaux, branches de corail, plumes d’oiseaux et coléoptères exotiques, un crâne humain et un bouquet de fleurs peint appartiennent aux naturalia ; médailles et camées aux sujets mythologiques (Athéna et un phénix), statuette à l’antique de nymphe endormie, nombreuses petites toiles – essentiellement des paysages dans le goût flamand, une scène érotique et probablement un autoportrait de l’artiste, telle une signature cachée (détail 2) –, colonnes d’ivoire tourné, miroirs, pistolet et montre à gousset, ainsi qu’un instrument de mesure, en verre, comptent parmi les artificialia. Comme chez Francken, un tableau de naufrage fait pendant à la peinture d’une mer plus calme, sans doute pour évoquer la fragilité de l’existence. Le crâne, derrière une vitre brisée, le pistolet et la montre renforcent l’idée de vanité (note 3), un genre pictural à part entière en Hollande à partir des années 1620 (détail 3).
La vingtaine d’oiseaux « étrangers » – provenant probablement des Amériques – réunis par Leroy de Barde tient aussi dans un seul meuble, composé d’un assemblage de caisses rectangulaires, comme autant de compartiments. Avec une virtuosité égale à celle de Remps, le peintre rend en trompe-l’œil leur volume, les nervures du bois au niveau des tranches et les ombres portées des oiseaux empaillés qui y sont soigneusement disposés. Ils sont figurés presque tous de profil, dans la posture la plus naturelle possible, parfois perchés sur un support, à la manière des gravures de François-Nicolas Martinet (1731-1800?) pour l’Histoire naturelle des oiseaux de Buffon, publiée de 1770 à 1783. Dans la vaste caisse occupant la moitié supérieure de la composition, de grands oiseaux aux couleurs vives – dont un ara hyacinthe du Brésil, au centre (détail 1) – côtoient des spécimens plus petits. Les autres caisses abritent un seul individu caractéristique d’une espèce ou parfois deux – sans doute un mâle et une femelle, quand leurs différences sont notables. Des œufs, remarquables par la diversité de leurs tailles, formes et couleurs, sont en outre exposés dans une caisse au centre (détail 2). En bas, à droite, un macareux est présenté à côté de la tête coupée d’un autre oiseau, macabre détail qui pourrait être une allusion aux vanités à la mode au XVIIe siècle (détail 3).
De la collection hétéroclite à la classification scientifique
Ces trois œuvres témoignent de l’évolution des cabinets de curiosités et de leur représentation dans la peinture du XVIIe au XIXe siècle. Chez Francken comme chez Remps, les objets réunis dans la vaste pièce ou placés dans l’armoire vitrée sont de nature et d’origine très diverses, un mélange hétéroclite de naturalia et d’artificialia n’ayant en commun que leur rareté et leur préciosité. Ils sont délibérément disposés pêle-mêle, en particulier par Francken, qui place, par exemple, des coquillages sur les deux tables et jusque sur la cheminée, afin de montrer l’abondance de ces richesses et guidé par l’harmonie des couleurs. Différents objets voisinent aussi sur les étages du scarabattolo mais certains éléments fonctionnant par paires (branches de corail, paysages et médailles sur les volets ouverts ; camées et ivoires tournés sur l’étagère centrale) apportent un effet de symétrie – contrariée cependant par de multiples détails, telle cette gravure épinglée sur une toile. Chez Leroy de Barde, les oiseaux forment l’unique catégorie de « curiosités » représentée. L’artiste en a peint d’autres sortes – coquillages, minéraux ou encore vases antiques – mais chaque classe d’objets occupe un meuble dédié et fait le sujet d’une toile. Il semble avoir inséré dans un coin une discrète vanité comme pour rappeler le XVIIe siècle et l’âge d’or de la peinture de curiosités. Cette collection d’oiseaux exotiques rangés selon leur espèce dans ce qui ressemble fort à une vitrine de musée évoque en fait la section d’un cabinet d’histoire naturelle, une des évolutions du cabinet de curiosités à partir du XVIIIe siècle. Elle illustre le passage de la curiosité à la « studiosité ».
Le monde fascinant des cabinets de curiosités au château de Cadillac
Patrick MAURIÈS, Cabinets de curiosités, Gallimard, Paris, 2002.
Dominique MONCOND’HUY et Pierre MARTIN (dir.), Curiosité et cabinets de curiosités, Neuilly, Atlande, 2004.
Anna-Maria GIUSTI (sous la dir. de), Art and Illusions. Masterpieces of Trompe l'oeil from Antiquity to the Present Day, catalogue de l’exposition présentée au Palazzo Strozzi, Mandragora, Florence, 2009.
Collectif, La Licorne et le bézoard. Une histoire des cabinets de curiosité, catalogue de l’exposition présentée à Poitiers, musée Sainte-Croix et espace Mendès-France, Gourcuff Gradenigo, Montreuil, 2013.
Collectif, Les Origines du monde. L'invention de la nature au XIXe siècle, catalogue de l’exposition présentée au musée d'Orsay, coédition Gallimard/musée d’Orsay, Paris, 2020.
1 - Trompe l'oeil : Art qui met en jeu des techniques de perspective afin d’imiter la réalité et donner cette illusion au spectateur
2 - Les Métamorphoses d'Ovide (43 av. J.-C. - 17 ap. J.-C.) : Recueil de poème de 12 000 vers rassemblant des histoires de transformations en plantes, animaux...d'héros ou d'héroïnes de la mythologie
3 - Vanité : Type d’œuvre favorisant la méditation sur la mort et le caractère éphémère des plaisirs sensuels. Parmi les objets symboliques le plus fréquemment représentés figurent le crâne, le sablier, la flamme …
Nature morte : Représentation d’objets, de végétaux, de nourriture ou d’animaux sans vie.
Lucie NICCOLI, « Cabinets de curiosités », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 02/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/cabinets-curiosites
La collection de Ferdinand II au château d'Ambras d'Innsbrück.
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