La Catastrophe de Courrières
Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France (BnF, Paris)
site web
Date de création : 25 mars 1906
Date représentée : 10 mars 1906
Page de couverture du Petit journal. Supplément du dimanche.
Domaine : Presse
Bibliothèque Nationale de France - Domaine public © Gallica
La Catastrophe de Courrières (mars 1906)
Date de publication : Juin 2023
Auteur : Guillaume BOUREL
Une catastrophe industrielle à l’heure de la grande presse populaire
Depuis la fin du XIXe siècle, le bassin houiller du Nord-Pas-de-Calais fournit la moitié de la production française de charbon. Des milliers de mineurs y travaillent dans des conditions très difficiles, exposés de surcroît à l’éventualité d’un coup de grisou (1). Le 10 mars 1906, au petit matin, une terrible explosion souffle les mines de la Compagnie de Courrières, l’une des plus importantes du bassin. Le 15 mars, la compagnie cesse les opérations de sauvetage trop dangereuses et le bilan est de 1099 morts. Dans les semaines qui suivent, des mineurs retrouvent pourtant encore quelques survivants.
Le Petit Journal tire alors à un million d’exemplaires et vise un lectorat qui va du boutiquier à l’ouvrier instruit. Les choix éditoriaux participent au succès de ce journal populaire. Le format de ses illustrations augmente, et comme Le Petit Parisien, il publie le dimanche un supplément illustré. Les drames du temps et la violence représentent alors 60 % de l’iconographie. Le sensationnalisme se déploie un mois durant dans Le Petit Journal qui couvre la catastrophe de Courrières.
L’image est saturée : au premier plan l’évacuation des corps des victimes ; au second la foule des familles qui viennent aux nouvelles ; à l’arrière-plan un chevalement (2) et des cheminées suggèrent le cadre de la ville minière. Les fumées au loin signalent l’ampleur de la catastrophe : l’explosion s’est étendue à cinq fosses, celles-ci étant reliées les unes aux autres par des bowettes (galeries reliant les fosses entre elles pour réduire l’impact d’une inondation éventuelle). Le ciel est par contre réduit à un espace minimum. L’image en devient asphyxiante pour suggérer le monde souterrain des mineurs et rendre l’effet du coup de grisou. Au premier plan, l’action est enfermée par la haute entrée du puits qui occupe la partie gauche de la composition et la berline à droite.
Le Petit journal choisit en même temps d’individualiser les personnages : des ingénieurs coordonnent le sauvetage, des mineurs portent le corps d’un camarade sorti de la mine, un médecin de la compagnie recouvre un cadavre au premier plan, une épouse éplorée à droite tente de passer le barrage de gendarmes. Le dessinateur met en scène l’évènement en cherchant à créer une proximité entre le lecteur et les protagonistes de la catastrophe. Le directeur de la compagnie, Auguste Lavaurs, se distingue par son long manteau et son apparente impassibilité. Il tient une lampe de mine, allusion à l’instrument qui a pu être à l’origine de l’incendie et de l’explosion.
Au-delà du sensationnalisme, l’exhibition du malheur ne répond pas au goût supposé du lecteur pour la souffrance et le voyeurisme. Par cette scénarisation du drame, le dessin de presse permet d’en neutraliser l’horreur indicible. Dans le cas précis de la catastrophe de Courrières, Le Petit Journal délivre un message social, voire politique. Les ouvriers sont prisonniers du monde de la mine et régulièrement victimes d’accidents. Les articles du supplément prennent un ton pathétique pour défendre les plus humbles.
Déjà lors de la catastrophe de Montceau-les-Mines de 1895, Le Petit Journal écrivait que les coups de grisous pouvaient être évités. La Une sur Courrières oppose l’héroïsme des mineurs et la direction de la compagnie, très vite accusée de négligence dans la sécurité de ses employés et d’avoir arrêté trop tôt les opérations de sauvetage. Les mineurs reprochèrent en effet à la compagnie d’avoir minimisé les alertes des jours précédents pour continuer d’exploiter les fosses. Par ailleurs, les mineurs n’étaient pas équipés de lampes de sureté qui, à l’inverse des lampes à feu nu, évitent l’inflammation du gaz dans les galeries. Quand paraît ce supplément le 25 mars, les obsèques des victimes ont déjà commencé et se sont transformées en manifestation de colère. Une grève a éclaté le 15 mars à la suite à l’arrêt des opérations de sauvetage et s’est étendue avec un extrême violence à une grande partie du bassin houiller du Nord-Pas-de-Calais. L’écho de la catastrophe dans la presse et ces grèves ont contribué à l’adoption de la loi sur la journée de repos hebdomadaire du 13 juillet 1906.
Diana Cooper-Richet, Le peuple de la nuit. Mines et mineurs en France, XIXe-XXe siècles, Perrin, 2002.
Ambroise-Rendu Anne-Claude, « Images de violence dans la presse de la Belle époque », dans Histoire & Sociétés, 2002/4, pages 117-131.
1- Coup de grisou : explosion du gaz inodore, le grisou se dégage des couches de charbon lors de leur exploitation.
2 - Chevalement : charpente destiné à étayer un autre ouvrage. Dans les mines, il soutient les poulies des câbles d'extraction.
Iconographie : Ensemble des images correspondant à un même sujet. On parle de programme iconographique lorsqu’un décor en plusieurs parties regroupe de manière cohérente différents sujets autour d’un même thème.
Guillaume BOUREL, « La Catastrophe de Courrières (mars 1906) », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/catastrophe-courrieres-mars-1906
L’article sur la catastrophe de Courrieres dans Le Petit Journal
La Catastrophe de Courrieres aux Archives départementales du Pas-de-Calais
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