Mineurs de fond procédant à l'abattage du charbon.
Auteur : QUENTIN Joseph Philibert
Lieu de conservation : musée des Beaux-Arts (Arras)
site web
H. : 18
L. : 13
Cliché positif au gélatino bromure d'argent sur plaque de verre.
© Musée des Beaux-Arts d'Arras
inv. 946.1.4
Les travailleurs de la mine : les abatteurs
Date de publication : Août 2006
Auteur : Michel PIGENET
Les gisements du Nord-Pas de Calais au début du XXe siècle
Pointe occidentale de la série des bassins houillers sis au contact des massifs hercyniens et de la grande plaine nord-européenne, celui du Nord-Pas-de-Calais prolonge le Borinage belge. Entamée au XVIIIe siècle, son exploitation rattrape et dépasse celle du bassin de la Loire sous la monarchie de Juillet. Si le gros de la production régionale reste l’affaire du « vieux pays noir » avec, à sa tête, la puissante Compagnie d’Anzin, tous les gisements du Nord sont alors répertoriés. Les plus récents se situent plus à l’ouest, dans le Pas-de-Calais. Le premier sondage fructueux intervient à Oignies, au début des années 1840. À moins de 150 mètres de la surface, d’abord, la houille plonge ensuite vers l’ouest à plus de 400 mètres de profondeur. Les contours du nouveau bassin se précisent dans la seconde moitié du XIXe siècle, tandis que s’affirme sa première place à l’échelon national. Les vingt millions de tonnes extraites à la veille de la Première Guerre mondiale – la moitié du total métropolitain – indiquent une production plus de trente fois supérieure à celle de 1860. L’irrégularité des couches vient de la géologie tourmentée du Pas-de-Calais. Globalement moins élevée que dans les autres grandes régions minières, l’épaisseur des veines atteint 2,20 mètres à Beaumont, mais ne dépasse le mètre que dans la moitié des mines exploitées par la Compagnie de Lens, sans commune mesure avec les 10 mètres des gisements britanniques des Midlands. Les disparités affectent aussi la fréquence du grisou, le pendage des couches. Il faut encore compter avec la nature des roches environnantes, du double point de vue contradictoire de la résistance et de la perméabilité. La sécurité des hommes et les coûts d’exploitation se ressentent de la combinaison de ces divers facteurs.
« Au charbon »
La photographie, prise par Joseph Philibert Quentin (1857-1946), donne à voir les modalités ordinaires d’abattage du charbon dans les mines du Pas-de-Calais vers 1900. Au plus profond d’une galerie, deux mineurs s’activent devant une taille. Après une délimitation préalable au moyen d’un premier traçage, le gîte est divisé en petites sections dont le déhouillage progressif s’effectue entre les piliers qui soutiennent le toit. De faible largeur, la taille représentée ici, étayée par un boisage dense, ne peut guère occuper plus de deux hommes. Sa hauteur, inférieure à un mètre, oblige l’abatteur de gauche à travailler penché et à demi couché, cependant que la barrette de son camarade, assis et légèrement penché en avant, frôle la roche. Conséquence de sa position, ou recherche d’un meilleur éclairage, le premier ouvrier a fixé sa lampe Davy sur un étai de bois au plus près de la paroi. Muni d’une pointerolle, outil par excellence du piqueur, il sape la base de la veine qu’une double entaille verticale ultérieure lui permettra de détacher sur plusieurs dizaines de centimètres. Les dimensions du site excluent l’obtention de ces gros blocs de charbon qui ont la préférence des ouvriers payés au rendement, mesuré par le nombre de berlines remplies. Ce mode de rémunération et l’étroitesse de la taille imposent l’évacuation rapide du charbon. Son équipier s’y emploie qui, ayant lâché sa pointerolle, dégage les luisants éclats de houille répandus sur le sol à l’aide d’une « escoupe », large pelle à manche court. La photographie illustre parfaitement la complémentarité et la polyvalence de rigueur au sein d’une équipe d’abatteurs, dont la solidarité garantit la sécurité et les gains.
L’abatteur-roi
Par-delà la variété des désignations, abatteurs, haveurs ou piqueurs sont au cœur de l’exploitation minière. À la fin du XIXe siècle, ils forment 40 à 45 % du personnel des compagnies du Pas-de-Calais, tentées de voir en eux les seuls travailleurs productifs. Pour exécuter ce pénible travail, il faut des hommes faits, une virilité qui exclut les plus jeunes et les plus anciens. Les galibots ne peuvent guère espérer « faire du carbon » avant vingt-deux ou vingt-cinq ans, au terme d’un cursus qui les aura conduits du jour au fond où ils occupent tour à tour les fonctions d’aides aux manœuvres des voies, au roulage, au boisage, au déblaiement et au herschage – cette dernière activité consistant à pousser les wagonnets de minerai. L’usure, les blessures et la silicose viennent à bout des plus résistants qui, vers quarante-cinq ans, peinent à réaliser un rendement rémunérateur et sont orientés vers des tâches moins exténuantes. Passant en 1906 d’un minimum de 1,4 franc pour les galibots de surface à plus de 9 francs augmentés d’une prime conventionnelle de 40 % pour les meilleurs abatteurs de Courrières, le niveau des gains journaliers épouse la courbe en cloche du cycle professionnel. L’abattage est peu touché, à cette date, par la mécanisation des activités situées en amont et en aval (treuillage, ventilation, exhaure, évacuation du charbon, etc.). L’expérimentation, en 1901, de haveuses mécaniques par la Compagnie de Lens n’est pas concluante. L’usage de marteaux-perforateurs et de marteaux-piqueurs donne davantage satisfaction, mais l’abattage mécanique assure moins de 3 % de la production du Pas-de-Calais à la veille de la Première Guerre mondiale. Par suite, l’ordre quasi militaire censé régir la mine, avec sa stricte hiérarchie – ingénieur / maître porion / porion en charge de trente à soixante-dix hommes – perd de sa rigueur sur le front de taille, et les abatteurs disposent d’une réelle autonomie pour s’organiser. Le marchandage qui précède la mise aux enchères des tailles y contribue, mais pousse simultanément les ouvriers au rendement. La pénibilité du travail, le danger permanent et la recherche de la meilleure journée rejaillissent sur l’ambiance au fond. La solidarité des équipiers n’efface ainsi ni la prééminence des abatteurs sur le collectif, dont ils sont les porte-parole habituels, ni la rudesse de relations aux lisières de la brutalité.
Diana COOPER-RICHET, Le Peuple de la nuit.Mines et mineurs en France, XIXe-XXe siècle, Paris, Perrin, 2002.Joël MICHEL, Le Mouvement ouvrier chez les mineurs d’Europe occidentale (Grande-Bretagne, Belgique, France, Allemagne).Étude comparative des années 1880 à 1914, thèse pour le doctorat d’État, université de Lyon II, 1987.Michel PERONI et Jacques ROUX, « La validité documentaire de la photographie.Le travail au fond de la mine », in Noëlle GEROME (dir.), Archives sensibles.Images et objets du monde industriel et ouvrier, Cachan, Éditions de l’École normale supérieure de Cachan, 1995.Michel PIGENET, « Entre réalité et stéréotypes, les images fugitives du monde du travail à l’ère industrielle », in Dossiers de l’audiovisuel, n° 84, mars-avril 1994.« Joseph Quentin, photographe artésien (1857-1946) », in Les dossiers de Gauheria, n° 3, 1991.
Michel PIGENET, « Les travailleurs de la mine : les abatteurs », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/travailleurs-mine-abatteurs
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