Dans la ligne Maginot.
Auteur : SOULAS Louis-Joseph
Lieu de conservation : musée de l’Armée (Paris)
site web
H. : 38,8 cm
L. : 47,4 cm
Bois de fil, pochoir.
Domaine : Estampes-Gravures
© ADAGP © Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN - Grand Palais / Emilie Cambier
08-502868 / DEP 3640 , Eb 1453
Dans la ligne Maginot
Date de publication : Février 2009
Auteur : Alban SUMPF
La fin de la « drôle de guerre ».
Le 3 septembre 1939, la Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l’Allemagne, qui a agressé puis envahi la Pologne alliée. À part une timide incursion française en Sarre vite interrompue (septembre 1939), il y a peu de combats terrestres : c’est la « drôle de guerre », selon l’expression employée par Roland Dorgelès dans Le Figaro en janvier 1940. Préparant la suite, les armées alliées se regroupent en partie à proximité de la ligne Maginot. Ce gigantesque système de fortifications, propre à une stratégie défensive et statique, s’étire des Alpes aux Ardennes, avec une concentration des zones fortifiées de Charleville à Strasbourg. Elle doit son nom à André Maginot, ministre de la Guerre de 1929 à 1932.
Construite principalement de 1929 à 1936 et faisant face à la ligne de défense allemande Siegfried, elle consiste en un système élaboré de galeries souterraines desservant entre autres des casernes et des casemates de béton équipées d’artillerie lourde (obus, canons, mortier notamment). En avril 1940, date d’impression de l’estampe Dans la ligne Maginot, les choses s’accélèrent, en particulier en mer du Nord, enjeu stratégique pour l’approvisionnement en matières premières. La zone, où des affrontements sporadiques entre sous-marins allemands et flottes (aériennes et maritimes) françaises et anglaises avaient lieu depuis septembre 1939, devient le lieu de combats plus importants au début d’avril : les Alliés tentent de défendre la Norvège (batailles de Trondheim et de Bergen le 10) finalement prise par les nazis ainsi que le Danemark. La guerre est réellement engagée, ici comme, pense-t-on, près de la ligne Maginot.
La guerre vue de l’intérieur.
L’estampe Dans la ligne Maginot a été réalisée par Louis-Joseph Soulas (1905-1954), peintre-graveur et illustrateur français mobilisé en 1939 dans les Vosges. Tout en accomplissant ses devoirs de simple soldat, il grave sur bois, à la demande des généraux de l’armée d’Alsace, des planches qui seront éditées sous la forme d’affiches. Ce sont des images patriotiques coloriées à la main, dans le style des images d’Épinal. Imprimée à Strasbourg, celle-ci recouvre bientôt certains murs d’Alsace, puis elle est reproduite ailleurs en France. C’est donc un soldat qui fait ainsi voir la guerre « de l’intérieur », dans un but explicitement mobilisateur, tant pour les autres soldats que pour les civils.
L’image aux couleurs vives et aux traits simples montre cinq hommes dans une casemate, bloc en béton, enterré, où sont installées les pièces d’artillerie et d’observation montées sur tourelles. Point de vue remarquable, puisque de l’extérieur, la ligne Maginot ne laisse rien apparaître de son fonctionnement (tous les ouvrages principaux sont souterrains). Le spectateur est ainsi plongé au cœur de l’action et du combat : sur le front d’Alsace, « dans la ligne Maginot ». Les hommes portent des vêtements rappelant autant ceux de soldats que ceux d’ouvriers qualifiés : combinaisons et sacoches font même plus penser aux seconds ; casques de militaires qui pourraient aussi être ceux de mineurs ; béret pour l’un des hommes, valant pour les deux univers. Ils effectuent un travail d’équipe coordonné, précis et aux gestes maîtrisés. À gauche, trois d’entre eux, concentrés et appliqués, chargent et orientent un obus. À droite, les deux autres semblent observer (ou viser ?) à l’aide d’un périscope ou de jumelles, tâche qui pourrait être complémentaire de celle des trois autres. La salle est nette et propre, comme les armes (on peut même distinguer l’instrument destiné à nettoyer le canon) qui sont représentées dans le détail de leurs rouages et équipements (manivelles, chasse) et dont le fonctionnement est ainsi figuré en acte. Un texte légende l’image, peut-être écrit par l’écrivain André Chamson, alors capitaine de Soulas.
Une guerre réelle et moderne, qui requiert une mobilisation collective.
Les généraux commandent ces affiches à Soulas pour montrer l’action de la Ve armée en Alsace : il s’agit de combattre l’idée démobilisatrice et dangereuse d’une « drôle de guerre ». Des hommes, au front, chargent des obus qui tuent, et meurent, comme d’autres, en mer, combattent. La guerre n’est ni lointaine ni réservée aux côtes de Norvège : elle concerne aussi l’Alsace, si symbolique. D’ailleurs, la représentation pourrait être celle d’un sous-marin. C’est la même guerre qui est livrée partout, avec la même urgence et les mêmes hommes, et notamment des « fils d’Alsace » qui savent que la défense de la patrie est partout et toujours en jeu.
Cette guerre n’est plus celle des tranchées boueuses : il s’agit d’un travail technique minutieux et spécialisé, presque qualifié, exécuté avec netteté dans des lieux propres où tout est réglé dans le détail et où chaque chose est à sa place. En cela, l’image fait penser aux très nombreuses représentations positives du travail de l’ouvrier dans les années 1930. Il s’agit d’une guerre moderne, mais qui s’inscrit dans une tradition de savoir-faire et de mobilisation nationale : l’imagerie d’Épinal vient ainsi rappeler les affiches militaires de la Grande Guerre.
Peut-être s’agit-il de mobiliser les soldats en valorisant leur rôle et en insistant sur le fait qu’ils ne seront pas dans les mêmes conditions que ceux de 1914. On peut aussi penser que l’affiche s’adresse aux civils, et notamment aux ouvriers, pour les inciter à maintenir l’effort : tous sont, à leur manière, sur le front d’Alsace (d’autant que l’affiche sera surtout placardée dans cette région), qui symbolise et dramatise tous les autres. Ils portent les mêmes vêtements, maîtrisent pareillement des machines modernes, puissantes et perfectionnées, et, comme des « fils d’Alsace », ils doivent combattre. La mobilisation et l’effort de guerre se font donc en équipes et en unités coordonnées : les trois hommes entre eux ; puis avec le groupe de deux ; puis avec les marins de mer du Nord ; puis avec les ouvriers de l’arrière ; puis avec tous les civils.
Jean-Pierre AZEMA, De Munich à la libération 1938-1944, Le Seuil, 1979.Marc BLOCH, L’étrange défaite. Témoignage écrit en 1940, Paris, Société des Éditions Franc-Tireur, 1946.Yves DURAND, La France dans la 2e guerre mondiale, 1939-1945, A. Colin, 1993.Jean-Bernard WAHL, Il était une fois la Ligne Maginot, Jérôme Do Betzinger Éditeur, 1999.
Alban SUMPF, « Dans la ligne Maginot », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/ligne-maginot
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