Le Général Pétain
Portrait du maréchal Pétain
Le Général Pétain
Auteur : CALDERÉ
Lieu de conservation : musée de l’Armée (Paris)
site web
Date de création : après le 29 novembre 1917
Date représentée : Après le 29 novembre 1917
H. : 16 cm
L. : 10,4 cm
Planche III du premier tome du recueil de cinquante-trois gouaches Portraits d'officiers généraux 1914.
Gouache
Domaine : Dessins
© Caldéré © Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais / image musée de l'Armée
05618 ; P870 ; 496-3 Bib ; 2012-0-671 - 14-540674
Devenir le maréchal
Date de publication : Décembre 2020
Auteur : Alexandre SUMPF
Une figure militaire majeure
À la fin du premier conflit mondial, Philippe Pétain (1856-1951) n’est plus seulement l’un des plus hauts gradés de l’état-major français. Quand Calderé réalise son portrait, ce militaire de carrière est devenu le général en chef des armées à la suite de l’échec total de l’offensive Nivelle en avril 1917.
On ne connaît rien de Calderé, sauf sa signature au bas de sa série de cinquante-trois portraits de généraux conservée au musée de l’Armée, à Paris. Il a peint semble-t-il tout au long de la guerre : différents uniformes apparaissant dans les scènes à l’arrière-plan (pantalon garance, capote bleu horizon). Le portrait de Pétain est forcément postérieur au 29 novembre 1917, date de l’obtention de la grand-croix de la Légion d’honneur visible sur la toile.
Même si Foch a obtenu le commandement interallié, Pétain le dépasse en notoriété, notamment aux côtés des anciens combattants : pour l’opinion, c’est lui qui a « gagné » la guerre. Il obtient son bâton de maréchal le 21 novembre 1918 et devient général en chef de l’armée française. Il perd cependant ce titre en 1931 à cause de son opposition aux thèses défensives du ministre André Maginot. L’action des anciens combattants et des ligues lors de la manifestation du 6 février 1934 le tire une première fois de la retraite, qu’il passe sur les bancs de l’Académie française : il est ministre de la Guerre du 9 février jusqu’au 8 novembre. Dernier survivant des cinq maréchaux héros de 14-18, il est un symbole dont entendent se servir les politiques en temps de guerre. Il refuse d’entrer au gouvernement Daladier comme ministre de la Guerre en septembre 1939, mais accepte de devenir celui de Paul Raynaud fin mars 1940. Il est même promu vice-président du Conseil le 17 mai 1940, lorsque débute l’invasion allemande, et ce à 84 ans. La défaite accélère son ascension : il devient président du Conseil le 16 juin. Son discours défaitiste du 17 juin fait s’effondrer l’armée française sur elle-même, puis il signe l’armistice du 22 juin et obtient les pleins pouvoirs le 10 juillet. Le vieux soldat est devenu le maréchal, un dictateur militaire, comme aux temps de la Rome antique. Son portrait de 1940, réalisé par un artiste anonyme, témoigne de l’étendue inédite de son pouvoir sous un régime républicain.
D’un uniforme l’autre
La série de cinquante-trois gouaches réalisées par Calderé relève sans doute d’une commande officielle de l’armée. La composition place toujours le portrait du haut gradé (souvent moustachu) à hauteur de ceinture, en uniforme de parade, et une scène à l’arrière-plan : troupes en marche, scènes de tranchées, matériel militaire, etc. Rares sont ceux qui, comme Pétain, voient leur image dédoublée par l’inclusion au deuxième plan. Le général pose de trois quarts en uniforme bleu horizon, occupant toute la partie droite de l’image. Au centre, sa tête dégarnie est légèrement tournée vers le spectateur, tandis que les yeux, bleus eux aussi, regardent au loin vers la gauche. Elle est surmontée par les projections de terre et de feu découlant de l’explosion d’un obus sur la position enterrée dans la scène de guerre, dont le ciel tourmenté occupe le quart supérieur de la peinture : c’est le portrait d’un homme d’expérience, qui a vu le combat de près. À gauche au deuxième plan, cette fois en capote militaire, le général de terrain reçoit des informations et donne ses ordres. Sa pose est moins hiératique et officielle, sa gestuelle suggère l’action et la science de la décision.
Plus de vingt ans ont passé lorsqu’un artiste anonyme réalise, en broderie, l’un des nombreux portraits officiels du maréchal. La moustache est toujours blanche mais elle a raccourci, les traits ont épaissi, mais la pose reste identique : en buste, de trois quarts, les yeux au loin vers la gauche – en homme qui a su tirer les leçons du passé. Le cadre en bois brut spécialement réalisé pour la broderie porte la date « 1940 », gravée, et le simple mot « servir », en relief. Le visage du chef de « l’État français » est encadré par deux colonnes en forme de francisque gallique, symbole officieux de ce régime d’exception. Le fond neutre et sombre donne à ce portrait une sorte de don d’ubiquité. Le costume militaire sobre n’arbore plus une collection de décorations, mais la seule qui vaille aux yeux de Pétain : la médaille militaire. Seule la casquette de maréchal qui atteste du statut de cet homme rehausse la palette de rouge et d’or, et seuls les discrets mais fameux yeux bleus l’éclaircissent. Le souci de réalisme du portraitiste, extrême, n’épargne pas le modèle mais installe son visage de patriarche dans les représentations collectives, comme les photographies officielles qu’imite manifestement cette broderie.
Une figure politique inédite
Depuis l’Antiquité romaine et, en France, Napoléon Bonaparte, la figure du sauveur a été régulièrement incarnée par un général. À ses débuts, la IIIe République a connu l’épopée boulangiste. Sa fin est précipitée par trois « actes constitutionnels » publiés le 11 juillet 1940, prélude à une Constitution d’un « État français » qui n’a jamais été élaborée. Il se trouve que c’est Pétain que les Français ont adoubé comme sauveur – des troupes à Verdun et après la catastrophe du Chemin des Dames en avril 1917 – et comme vainqueur de la Grande Guerre. Si l’on n’y regarde pas de près, la série réalisée par Calderé semble placer sur un pied d’égalité tous ces généraux. En réalité, elle propose une relecture en finesse du conflit qui donne le beau rôle à Foch – posant devant l’Arc de Triomphe pavoisé, survolé de biplans, pour le défilé de la Victoire – et à Pétain, sur un registre plus personnalisé et pragmatique, qui fonde le mythe de Pétain dans l’entre-deux-guerres.
C’est de cette aura particulière que joue le maréchal en 1940 en manœuvrant ses partenaires politiques aux abois. Tout ce qui le distingue d’eux – son passé glorieux, son âge, sa quasi absence de carrière politique – accuse la différence avec les intellectuels qui ont fait le Front populaire, les technocrates à la Tardieu qui ne jurent que par la réforme, ou les purs produits de la classe politique qu’attaquaient avec virulence les ligues fascisantes des années 1930. Le portrait de 1940 installe sur un piédestal un personnage de dirigeant « au-dessus des partis », qui ne dépend pas d’une idéologie et n’a pas de partisans : son parti, c’est la France, son symbole, c’est la médaille militaire, et son idée, c’est « servir » la patrie, avec toutes les armes à sa disposition. Cette apparente simplification tient de la mystification : la dénonciation acerbe d’un passé récent comparé aux sacrifices de 14-18, cœur du discours du 17 juin 1940, dévoile une posture réactionnaire, une intention révolutionnaire et un plan de bataille politique.
FERRO Marc, Pétain, Paris, Fayard, 1987.
GERBEREAU Laurent, PESCHANSKI Denis (dir.), La propagande sous Vichy (1940-1944), cat. exp. (Paris, 1990), Nanterre, bibliothèque de Documentation internationale contemporaine, coll. « Publications de la BDIC », 1990.
PAXTON Robert O., La France de Vichy (1940-1944), Paris, Le Seuil, coll. « L’univers historique » (no 2), 1973.
Francisque gallique : Cette hache à double tranchant remontant censément aux Gaulois, emblème personnel de Pétain et symbole officieux du régime de Vichy, a été créée fin septembre 1940 par un joailler sur une idée du conseiller personnel de Pétain, Bernard Ménétrel.
Alexandre SUMPF, « Devenir le maréchal », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 11/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/devenir-marechal
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