Brevet de compagnon initié
Souvenir de mon tour de France
Le Génie du compagnonnage faisant le tour du globe
Brevet de compagnon initié
Lieu de conservation : musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem, Marseille)
site web
Date de création : Vers 1887
H. : 53,9 cm
L. : 73,5 cm
Lithographe : Barousse.
Lithographie coloriée
Domaine : Estampes-Gravures
© RMN - Grand Palais (Mucem) / Gérard Blot
1961.66.65 - 04-509857
Symbolique et mystique du compagnonnage
Date de publication : Février 2021
Auteur : Alexandre SUMPF
Des sociétés à secret
La grande variété de la production iconographique compagnonnique tient au fait que les compagnons étaient sinon les dessinateurs, du moins des commanditaires très précis dans leurs exigences. Dans les années 1860-1880, le charpentier poitevin Léon Prézeau, le vitrier marseillais Alfred Robert et le cordonnier Pierre Charue ont employé de nombreux codes visuels au sein de lithographies personnalisées. Toute une iconographie produite par les compagnons résonne de références maçonniques, mais la religion chrétienne tient chez eux une place fondamentale au moins jusqu’à la fin des années 1860. De fait, les devoirs ressemblent de l’extérieur à une société secrète avec les signes de reconnaissance, les rituels initiatiques et la très forte solidarité entre membres frères.
Attestés en France dès le XVIe siècle, les compagnonnages ressemblent par leur organisation à la franc-maçonnerie, née, elle, en Angleterre au XVIIIe siècle. L’emploi comme symbole majeur du compas et de l’équerre entrecroisés alimente cette confusion, bien qu’aucun compagnon ne dissimule son appartenance à un devoir et que certains rituels se déroulent sur la place publique. Discrets plutôt que secrets, solidaires mais sans programme autre que le travail bien fait et la transmission d’une certaine morale ouvrière, les compagnons partagent surtout une culture très codifiée.
Signes de reconnaissance
Le brevet de compagnon initié est sans doute l’une des lithographies à la composition la plus originale dans l’iconographie du compagnonnage. Le bandeau inférieur comporte la signature des compagnons du devoir de liberté qui ont initié Prézeau « au 3e grade le 19 mars 1869 à Toulouse ». Les deux arbres massifs qui bordent le paysage symbolique font sans doute référence aux colonnes Jakin et Booz, que l’on distingue aussi à gauche, encadrant le temple de Salomon. Au-dessus de ce dernier, veille l’œil divin qui commande la moitié supérieure, des nuées qui servent de fond aux slogans principaux : « Berceau des c[ompagnons] initiés. Adore le G[rand] A[rchitecte] de l’u[nivers]. Aime ton prochain. Ne fais point de mal. Fais du bien. Laisse parler les hommes. Chéris la liberté. » L’image fourmille d’informations plus ou moins codées qui la rendent complexe à interpréter, comme les suites d’initiales ou le motif répété du cercle. L’appartenance au métier de charpentier se lit dans le détail du toit du temple et les outils qui accompagnent les symboles plus généraux comme le compas, l’équerre, les cannes entrecroisées, le bateau (voyage) et le pont (transmission).
Souvenir de mon tour de France se compose d’images et de textes enchâssés qui reproduisent scènes légendaires du compagnonnage (le père Soubise à la Sainte-Baume, en bas) et représentations plus réalistes (les deux compagnons redoublant les colonnes par leur posture et leur canne, les diplômes sur les côtés). L’ensemble est placé sous le patronage de Salomon en haut, de maître Jacques à gauche et du père Soubise à droite. Au-dessus de quatre poèmes consacrés aux compagnons, se dresse le temple de Salomon et ses deux colonnes (marquées des initiales de Jakin et Booz). Sous un frontispice classique, il prend des airs de théâtre, avec les rideaux rouges plissés soulevés par les compagnons. Au centre, trônent les deux mains serrées appelant à la réunion des devoirs, et le compas entrecroisé avec l’équerre insérés dans un cœur car, explique la légende, « le sanctuaire du vieux temple, c’est le cœur d’un vrai compagnon ».
Le Génie du compagnonnage faisant le tour du globe est une image très connue qui accumule les symboles, avec les pères du compagnonnage dans un char tiré par deux lions, ou le chien qui signifie la fidélité au temple de Salomon, représenté à droite, à moitié en ruine. Plus original est le récit proposé par la suite de chiffres allant de l’Être Suprême en haut (1) au serpent prudent (35), appel à la précaution dans les travaux du compagnon, en passant par Soubise à la Sainte-Baume (8) et saint Jacques sauvé des marais (13). À partir de 21, des vignettes portant des maximes morales mettent en images des scènes de transmission modernes et de rites – « guilbrette » en bas (32), c’est-à-dire l’accolade au cours de laquelle les compagnons boivent bras dessus bras dessous. Enfin, tous les métiers des devoirs sont représentés par des hommes se ressemblant fortement, portant les « couleurs » propres à leur métier respectif et unis en une chaîne dite d’alliance.
Mythe et histoire
Le Génie du compagnonnage faisant le tour du globe est l’une des images de compagnonnage les plus diffusées. Créée en 1882 par un compagnon plaidant la réunification des compagnons, elle fait l’apologie de l’union des devoirs séparés par des rites différents et opposés, au moins jusque dans les années 1850, dans des rixes sanglantes.
Rappeler toutes les étapes du mythe et le lier aux rites et pratiques d’apprentissage contemporains est une nécessité vitale alors que le compagnonnage est en perte de vitesse. Interdit par la loi Le Chapelier en tant qu’association ouvrière, il est resté toléré et a bénéficié de la dissolution des corporations en 1791 par le décret d’Allarde. Mais, à partir des années 1860, il fait peu de poids au regard des secours mutuels et des syndicats.
La perte d’influence des devoirs se lit dans l’incapacité à entraîner les ouvriers dans l’une de ces grèves dures redoutées par les industriels du début du siècle et dans le développement de la formation professionnelle en écoles techniques. Il ne leur reste plus que la transmission des compétences artisanales de précision, la défense des valeurs communes et la distinction par les rites ou les symboles. Morale et non politique – même si certains compagnons furent d’ardents républicains, comme Perdiguier –, cette communauté renonce à imposer les standards de précision, de droiture, de conformité à la règle au monde des ouvriers pour mieux les cultiver dans le secret des confréries.
Faute de pouvoir jouer désormais un rôle historique, les compagnons se réfugient dans une légende et une tradition inventées au mieux au XVIIIe siècle. À défaut de représenter l’ensemble du monde ouvrier, ils cultivent un élitisme de plus en plus étroit, qui utilise notamment les codes et revendique une certaine culture biblique pour exclure le reste des masses laborieuses.
ADELL-GOMBERT Nicolas, Des hommes de devoir : les Compagnons du tour de France (XVIIIe-XXe siècle), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Ethnologie de la France » (no 30), 2008.
BASTARD Laurent, Images des Compagnons du tour de France, Paris, J.-C. Godefroy, 2010.
ICHER François, Le compagnonnage, Paris, Jacques Grancher, coll. « Ouverture », 1989.
Alexandre SUMPF, « Symbolique et mystique du compagnonnage », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/symbolique-mystique-compagnonnage
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