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Champ de conduite de Labrie l'Île d'amour dit le Désiré

Champ de conduite de Labrie l'Île d'amour dit le Désiré

Souvenirs du tour de France. Vue de Bordeaux

Souvenirs du tour de France. Vue de Bordeaux

Page du cahier de chansons compagnonniques de Fernand Rastouex, compagnon charpentier

Page du cahier de chansons compagnonniques de Fernand Rastouex, compagnon charpentier

Champ de conduite de Labrie l'Île d'amour dit le Désiré

Champ de conduite de Labrie l'Île d'amour dit le Désiré

Date de création : Vers 1826

H. : 52,3 cm

L. : 79,9 cm

Dessinateur : Étienne Leclair.

Titre complet : Champ de conduite de Labrie l'île d'amour dit le Désiré, compagnon passant charpentier, partant de Bordeaux pour aller à Paris. En finissant son tour de France pour se rendre chez lui en 1826.

Dessin rehaussé d'aquarelle

Domaine : Dessins

© RMN - Grand Palais (Mucem) / Gérard Blot

Lien vers l'image

1961.66.64 - 04-509856

Le tour de France des compagnons

Date de publication : Février 2021

Auteur : Alexandre SUMPF

Un réseau communautaire qui se délite

Tout au long du XIXe siècle, la révolution de l’imprimerie a permis de fournir aux Compagnons du tour de France plusieurs types d’images et de textes les accompagnant pendant leur apprentissage ou en constituant un souvenir personnalisé. Ces artefacts étaient parfois composés par d’autres compagnons, restés anonymes ou peu connus, comme Étienne Leclair, employé des Ponts et Chaussées de la municipalité.

Il est probable que les compagnons commanditaires des lithographies proposaient un cahier des charges aux dessinateurs et aux imprimeurs. Ces documents étaient à la fois communs à tous et singularisés par les annotations écrites et la mention du nom de chacun. Ils faisaient état de la progression du compagnon dans le corps de métier, tout en consolidant la communauté masculine et élitiste, qui restait tolérée en France malgré l’interdiction des corporations par la loi Le Chapelier de 1791.

Si la plupart des métiers se cantonnent à cette organisation très spéciale de l’apprentissage, d’autres prennent le parti de défendre les intérêts de ces ouvriers très qualifiés contre la division du travail, la concurrence des nouvelles masses de l’industrie déqualifiées et la baisse des salaires. La scission actée en 1804 du Devoir de liberté, menée par les boulangers, les cordonniers ou les charpentiers, affaiblit l’institution qui attire moins de vocations à mesure que la révolution technique et le machinisme modifient le champ des compétences. Si, en 1826, le charpentier Labrie fait encore partie d’une élite enviée, dans les années 1880, Philippe Leroux et Fernand Rastouex paraissent anachroniques à l’heure des grandes manufactures, des syndicats et des clubs ouvriers. En 1889, conscient du fort recul des effectifs et de l’incapacité à peser sur le patronat, Lucien Blanc, dit Provençal le Résolu, parvient à fédérer les anciens compagnons dans une Union compagnonnique afin de perpétuer la tradition à défaut de représenter la classe ouvrière.

Rites d’initiation

Le champ de conduite est une image remise au compagnon lors de son départ d’une ville pour poursuivre son tour de France, qui prend plusieurs années. Vivement coloré, encadré du titre complet, en bas, et de la devise des compagnons charpentiers, dans un phylactère porté en haut par des anges dotés des outils du métier, le dessin rehaussé d’aquarelle se compose de trois plans horizontaux. Au fond, se détache la ville de Bordeaux et ses monuments : cathédrale Saint-André, basilique Saint-Michel, porte de Bourgogne, place de la Bourse, etc. La vue est prise depuis le quai sur la Garonne et le port, symbolisé par des navires miniatures (dont, à gauche, un bateau à vapeur, nouveauté pour l’époque) destinés à la navigation fluviale, côtière et transatlantique – la cité est un grand port du commerce triangulaire. L’espace central, agrandi de façon volontairement non réaliste, est occupé par le quai, qui accueille la cérémonie initiatique au milieu des activités commerciales et des promeneurs. Labrie, compagnon « passant », n’occupe pas le centre de l’image, réservé au « premier en ville » qui porte haut les couleurs du métier et domine la file compacte des frères. À droite, on distingue une femme en pleurs, sans doute la fiancée de Labrie qui s’apprête à franchir le pont et à changer sa vie.

La ville de Bordeaux, le pont et la cérémonie se trouvent aussi au cœur de la lithographie Souvenirs du tour de France. Vue de Bordeaux, imprimée à Tours dans les années 1880. Sa composition plus simple et son trait réaliste, typique de la peinture paysagiste classique, en font une image plus facilement reproductible. Le point de vue adopté est légèrement différent : depuis la rive droite de la Garonne, au-delà du pont de pierre qui, cette fois, coupe l’image en deux dans le sens de la largeur grâce à la perspective. On reconnaît encore les monuments et les quais, le bateau à vapeur à gauche et les navires à voile à droite, les fiacres et autres attelages – indices d’un emprunt possible aux réalisations picturales de Leclair. En revanche, outre les compagnons qui défilent, seuls des spectateurs désœuvrés regardent la scène. La cité est devenue un simple décor où se déroule le rite archaïque des charrons, non plus le contexte industrieux d’un apprentissage professionnel.

Le cahier de chansons appartient à un certain Rastouex, comme ce dernier l’a inscrit à l’encre violette dans l’espace réservé à cet effet. La deuxième de couverture et la page de garde proposent à celui qui ouvre le livre deux images identifiant son propriétaire comme compagnon. À gauche, une carte de France physique, où sont tracées les principales voies de communication, présente la nation amputée de l’Alsace-Moselle. Quelqu’un, probablement Rastouex, a tracé à la main en bleu et rouge l’itinéraire suivi, surtout le long des fleuves et des côtes, avec une diagonale des Alpes à Bordeaux en passant par le Massif central. Les étapes sont des villes suffisamment importantes pour que le compagnon charpentier puisse trouver à s’employer. À droite, sous la devise Honneur et Patrie et l’éloge du savoir et des activités, le dessin gravé met en valeur l’apprenti qui se destine à un métier. Ici, l’élément révélateur est la série de majuscules séparées par des points, qui forme une phrase codée compréhensible des initiés seulement, comme « C.C.D.D.D.L. », « Cher compagnon du Devoir de liberté ».

Fraternité sensible

Chacune à sa manière, ces trois images concrétisent le souvenir d’une étape fondamentale de l’apprentissage du compagnon lors de son tour de France. Il part en effet de sa ville et de son atelier d’origine pour accumuler de l’expérience, se former à d’autres techniques, multiplier les types de chantier. Le tour de France est aussi un rite d’intronisation progressive dans un métier d’élite par le passage des différents stades de la hiérarchie, les règles que se donnent ses membres, et les rituels, le vocabulaire spécial qui les fédèrent tout en les distinguant du commun des mortels. Ainsi de la « guilbrette » peinte en 1826, accolade au-dessus des cannes dessinant une croix de Saint-André ponctuée d’une libation et du bris des bouteilles, pour signifier le non-retour.

Au début du siècle, les trajets s’effectuent à pied ou à la rigueur en voiture, même après l’arrivée du chemin de fer. Les cahiers de chansons permettent au passant de noter les chants compagnonniques qui lui plaisent le plus et de les répéter sur le chemin ou lors des arrivées, réunions et départs.

Si ce parcours s’accomplit souvent seul, l’arrivée en ville prouve la vigueur du lien qui unit les compagnons d’un même devoir : outre le gîte et le couvert, le rouleur doit lui trouver un emploi ou bien l’orienter vers un homologue qu’il sait en mesure de le faire dans une autre ville. Cette appartenance s’affiche également sur les murs des anciens compagnons qui ont pu quitter le métier, comme cela est de plus en plus fréquent dans la seconde partie du XIXe siècle. Les lithographies souvenirs attestent d’une expérience plus ample que la moyenne des ouvriers d’alors, d’une mobilité programmée et non subie.

ADELL-GOMBERT Nicolas, Des hommes de devoir : les Compagnons du tour de France (XVIIIe-XXe siècle), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Ethnologie de la France » (no 30), 2008.

BASTARD Laurent, Images des Compagnons du tour de France, Paris, J.-C. Godefroy, 2010.

HYVERT Julie, Le chant à l’œuvre : la pratique chansonnière des Compagnons du tour de France (XIXe-XXIe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2015.

ICHER François, Le compagnonnage, Paris, Jacques Grancher, coll. « Ouverture », 1989.

Alexandre SUMPF, « Le tour de France des compagnons », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 20/04/2024. URL : histoire-image.org/etudes/tour-france-compagnons

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