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Inter Artes et Naturam.

Inter Artes et Naturam.

Au temps d'harmonie (L'âge d'or n'est pas dans le passé, il est dans l'avenir).

Au temps d'harmonie (L'âge d'or n'est pas dans le passé, il est dans l'avenir).

Inter Artes et Naturam.

Inter Artes et Naturam.

Date de création : 1890

Date représentée :

Huile sur toile

Domaine : Peintures

© Musée des Beaux-Arts de Rouen

Lien vers l'institution

Inv. 883.3.1

Visions du bonheur

Date de publication : Mars 2016

Auteur : Charlotte DENOËL

Une France affaiblie

Période sombre pour la France, le dernier tiers du XIXe siècle se caractérise par une double fracture, économique et politique. D’une part, l’essor économique du Second Empire fait place à un fort ralentissement de la croissance, qui touche de nombreux secteurs. Cette stagnation s’accompagne d’une succession cyclique de crises, dont les principales manifestations – baisse des profits et montée du chômage – nourrissent les revendications ouvrières et assurent le succès des mouvements socialistes et syndicaux. D’autre part, la jeune République, ébranlée dès 1885 par les divisions des républicains et par l’instabilité croissante des ministères, doit en outre surmonter une série de crises, du boulangisme à l’affaire Dreyfus, qui favorisent l’ascension des opposants au régime. Ainsi, les désillusions produites par la IIIe République conduisent-elles certains artistes, mus par un idéal de régénération, à prendre leurs distances avec la modernité et à partir à la recherche d’un paradis mythique.

Le mythe d’un âge d’or

Parmi ces artistes, Pierre Puvis de Chavannes, décorateur officiel sous la IIIe République, aspirait à recréer l’ordre, l’harmonie et la beauté qui régnaient sous l’Antiquité. Sollicité en 1888 par le Comité des musées de Rouen pour décorer l’escalier d’honneur du nouveau musée des Beaux-Arts de la ville, le peintre a choisi de traiter le thème des rapports entre l’art et la nature, qui s’accordait avec l’esprit méditatif et contemplatif du lieu, dans une vaste composition au titre suggestif : Inter Artes et Naturam. Ce tableau des activités humaines idéales met en scène plusieurs personnages vaquant à des activités très diverses : un jeune homme porte des poteries au four, deux hommes dégagent des ruines anciennes devant un morceau de peinture antique figurant Pégase, symbole de l’inspiration poétique, une mère et son enfant cueillent une pomme, un autre groupe est occupé à dessiner… Des arbres réunis en arceaux naturels rythment la composition et séparent les groupes les uns des autres. La répétition du motif décoratif de l’arcade dans les fragments d’architecture antique semble indiquer que l’art ne serait qu’une imitation de la nature. Ainsi, cette œuvre allégorique et classicisante est-elle placée sous le signe de la nostalgie d’une Antiquité mythique disparue. Pourtant, la simplification hiératique des formes, l’homogénéisation et l’aspect mat de la gamme chromatique, la vue de la vallée de la Seine et de Rouen en arrière-plan, l’inscrivent dans un cadre contemporain qui suggère la possibilité d’une rencontre entre l’Antiquité et la modernité.

Dans le même esprit, Paul Signac, dont la dette est grande à l’égard de Puvis de Chavannes, a peint quelques années plus tard une toile de grandes dimensions intitulée Au temps d’harmonie, dont l’iconographie exprime une croyance en un avenir meilleur : dans cette image radieuse d’un phalanstère bucolique, situé dans un cadre méditerranéen idyllique, divers personnages s’adonnent à des activités intellectuelles ou ludiques telles que la lecture, la peinture, le jeu de boules ou la farandole. Comme la précédente, cette œuvre comporte une dimension universelle et intemporelle ; en revanche, elle est chargée d’intentions politiques et sociales avouées, ainsi que le suggèrent plusieurs éléments : le titre primitivement retenu par Signac, Au temps d’anarchie, les vêtements à la mode des personnages et la présence d’un coq au premier plan, symbole républicain et patriotique, mais aussi révolutionnaire. Ainsi, la volonté d’édifier une société plus harmonieuse, où chacun puisse développer ses capacités personnelles et vivre en parfaite symbiose avec la nature, s’inscrit-elle en filigrane dans cette célébration de la douceur de vivre méditerranéenne.

Politique et utopie

Achevé en 1895, le tableau de Signac a été immédiatement perçu comme un manifeste anarchiste, car il s’inscrivait dans un contexte historique bien précis, marqué par les débuts de l’affaire Dreyfus, la vague d’attentats anarchistes en France entre 1892 et 1894 et l’assassinat du président Sadi Carnot à Lyon, en juin 1894, par un anarchiste italien. Attiré par les projets de la gauche révolutionnaire et par les théories de Kropotkine, disciple de Bakounine qui prônait l’abolition de toutes les formes de gouvernement et défendait un communisme libertaire, Signac assignait à son art une vocation sociale et utilitaire.

D’une manière plus générale, sa toile, comme celle de Puvis, est marquée par l’esprit et la sensibilité de l’époque : le XIXe siècle, siècle du progrès technique, mais aussi de l’ébranlement de la doctrine positiviste comme des luttes sociales, a en effet été traversé par divers courants messianiques et utopistes, dérivés du saint-simonisme ou parallèles à lui, dont le point commun était l’aspiration à construire un avenir radieux.

Loin de disparaître à la fin du siècle, ces rêves de bonheur et de régénération ont trouvé dans l’art de nouveaux prolongements sous l’influence de Puvis de Chavannes. Citons en particulier trois œuvres aux titres évocateurs : L’Âge d’or de Maurice Denis, Luxe, calme et volupté et La Joie de vivre d’Henri Matisse, qui participent également de cette quête spirituelle.

Maurice AGULHON La République de 1880 à nos jours Paris, Hachette, rééd. coll.« Pluriel », 1997.

Françoise CACHIN Signac, catalogue raisonné de l’œuvre peint Paris, Gallimard, 2000.

Madeleine AMBRIERE Dictionnaire du XIXe siècle européen Paris, PUF, 1997.

Bertrand de JOUVENEL Arcadie, essais sur le mieux vivre Paris, rééd. Gallimard coll. « TEL », 2002.

Jean-Christian PETITFILS Les Socialismes utopiques Paris, PUF, 1977.

Puvis de Chavannes 1824-1898 catalogue de l’exposition, Paris, Grand Palais, Editions des Musées Nationaux, 1976.

Signac 1863-1935 catalogue de l’exposition, Paris, Grand Palais, RMN, 2001.

Utopie. La quête de la société idéale en Occident catalogue de l’exposition, Paris, Bibliothèque nationale de France, BNF-Fayard, 2000.

Charlotte DENOËL, « Visions du bonheur », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/visions-bonheur

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