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Assassinat du président Carnot

Assassinat du président Carnot

Date de création : 30 juin 1894

Date représentée : 24 juin 1894

dessin publié dans La Libre Parole illustrée (no 511, 30 juin 1894)

Domaine : Presse

© BnF, dist. RMN - Grand Palais / image BnF

lien vers l'image

12-566902 / QB MAT 1893-1894

Sadi Carnot assassiné par un anarchiste

Date de publication : Septembre 2018

Auteur : Alexandre SUMPF

L’assassinat du président Carnot à la une de La Libre Parole illustrée

Le 24 juin 1894, le président de la République Sadi Carnot est assassiné par Sante Geronimo Caserio lors d’une visite officielle à Lyon. À 21 h 15, rue de la République, le jeune anarchiste italien de 20 ans parvient à s’approcher du convoi présidentiel et poignarde sa victime avant d’être arrêté.

Cet événement s’inscrit dans un contexte de grande tension sociale et politique marqué par un cycle de violence et de répression. Entre 1891 et 1894, en effet, la France est marquée par plusieurs attentats anarchistes auxquels répondent les condamnations et les exécutions à mort. Pour lutter contre cette menace, le pouvoir adopte également une série de lois répressives (appelées « scélérates » par ceux qui, notamment à gauche, s’y opposent) qui durcissent les positions antagonistes.

À l’instar de tous les titres de presse hexagonaux, La Libre Parole illustrée consacre naturellement sa une du samedi 30 juin 1894 (comme l’indique le bandeau en haut à droite de la page) à l’assassinat du président Carnot. Elle choisit néanmoins de l’aborder par un biais bien particulier, en tous points conforme au positionnement et à la rhétorique qui lui sont propres.

Car le quotidien La Libre Parole illustrée, fondé en 1892 par le polémiste Édouard Drumond – comme son complément hebdomadaire illustré, lancé en juillet 1893, dont est extrait ce dessin –, revendique justement de ne pas être une publication « comme les autres ». Prospérant sur une ligne populiste, nationaliste, antisémite et anticapitaliste très appréciée dans les cercles d’extrême droite, le journal au ton virulent se caractérise aussi par la dénonciation de plusieurs scandales, dont celui de Panama en septembre 1892, ce qui lui vaut une audience très importante allant au-delà de son lectorat ou de ses seuls sympathisants. Ainsi, Assassinat du président Carnot exprime une approche spécifique intéressante et révélatrice, par ailleurs largement reprise, commentée, approuvée ou critiquée par les contemporains.

Tout est dans la légende

Ce dessin (anonyme) en pleine page occupe une très grande partie de la composition et laisse peu de place au texte.

La scène est rendue dans des teintes noires, grises et blanches, rehaussées par deux touches rouges (le képi du gendarme et le ruban du costume officiel de Carnot) qui évoquent le sang et la violence.

En ce soir du 24 juin, l’avenue de la République à Lyon est pavoisée (drapeaux et guirlandes). Une foule compacte (esquissée à coups de crayon) est présente sur le passage du convoi.

On distingue quatre hommes au centre de l’image. Légèrement allongé sur son siège, Carnot gît, déjà inerte, les yeux clos. Debout sur le marchepied, Sante Geronimo Caserio, en costume blanc (et, plus inhabituellement, représenté ici avec un képi), vient de donner le coup de poignard mortel et tient encore son couteau à la main. Il est maîtrisé par un civil en redingote (Antoine Gailleton, le maire de la ville, ou le général Nicolas Joseph Voisin, son gouverneur militaire ?), épaulé par le général de brigade Léon Borius, ancien chef de la Maison militaire du président de la République.

Au premier plan à gauche, une figure plus anonyme se détache (en blanc), qui exprime la panique et la stupeur. À droite, un gendarme bien seul tend le bras et s’approche, impuissant à empêcher le drame qui s’est déjà produit, mais peut-être prêt à participer à l’arrestation du coupable.

Visibles en haut de la page, le sous-titre La France aux Français !, présent sur toutes les unes du quotidien comme de l’hebdomadaire, et quelques informations administratives (dont, en bonne place, le nom du directeur, Édouard Drumont). En bas, on peut lire le titre du dessin, Assassinat du président Carnot, ainsi que la légende qui, finalement, donne une teneur inattendue et particulière à cette une : « À quoi ont servi les 800 000 francs de police supplémentaires contre les anarchistes ! »

La « propagande par le fait » détournée

À rebours des réactions de la quasi-totalité des journaux français, La Libre Parole illustrée ne se contente pas de rendre compte de l’attentat en accusant les anarchistes et en saluant la mémoire de Carnot. Alors que le dessin en lui-même est semblable à de nombreuses illustrations parues à cette occasion, la légende d’Assassinat du président Carnot déroute en dénonçant – avant toute chose – l’inutilité et le gaspillage de l’argent public dans cette affaire. Malgré les mesures de sécurité prises contre les anarchistes en complément des lois répressives mises en place à la fin de l’année 1893 pour prévenir d’autres attentats, le pouvoir reste donc inefficace, incapable de maintenir l’ordre (voir la figure du gendarme impuissant). Dans un écho au scandale de Panama, on suggère même qu’il serait, une fois de plus, corrompu ou du moins coupable de gabegie : « Où est passé l’argent ? » pourrait-on en effet se demander à la suite de cette phrase outragée.

De manière paradoxale, le dessin utilise donc cet événement – pourtant propice à la communion nationale autour de la République ainsi meurtrie – pour creuser une veine populiste très critique du régime en place. Certes, le journal n’ose pas ternir la figure de Carnot (représenté assez dignement). Et il est loin de soutenir les fauteurs de troubles dans leurs revendications : « les anarchistes » sont ici renvoyés à leur dangerosité puisqu’il aurait fallu, justement, que la police fût plus efficace vu les moyens qu’on lui avait octroyés. Il n’en reste pas moins que La Libre Parole illustrée prend l’opinion à contre-pied, tentant de remplacer une émotion largement partagée (le président a été tué, la République est attaquée) par une autre, plus vindicative (le pouvoir périt par là où il pèche, sa faiblesse).

À cet égard, on peut dire que ce dessin opère une sorte de détournement de la « propagande par le fait » chère aux anarchistes. Par un subtil déplacement, le « fait » n’est plus ici l’action violente en elle-même, censée convaincre et susciter des vocations révolutionnaires, mais la simple possibilité de sa réalisation, qui démontre par l’effet (par le fait) les défaillances criantes et les insuffisances du pouvoir en place.

AGULHON Maurice, Marianne au pouvoir : l’imagerie et la symbolique républicaines de 1880 à 1914, Paris, Flammarion, coll. « Histoires Flammarion », 1989.

ASSOCIATION FRANÇAISE POUR L’HISTOIRE DE LA JUSTICE, L’assassinat du président Sadi Carnot et le procès de Santo Ironimo Caserio, actes de colloque (Lyon, 1994), Lyon, Presses universitaires de Lyon / cour d’appel de Lyon, 1995.

BOUHEY Vivien, Les anarchistes contre la République : contribution à l’histoire des réseaux sous la IIIe République (1880-1914), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2008.

MAITRON Jean, Le mouvement anarchiste en France, Paris, Gallimard, coll. « Tel » (no 196-197), 1992, 2 vol.

ROBERT Vincent, « Lois, censure et liberté », dans KALIFA Dominique, RÉGNIER Philippe, THÉRENTY Marie-Ève, VAILLANT Alain (dir.), La civilisation du journal : histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, coll. « Opus magnum », 2011, p. 61-95.

Alexandre SUMPF, « Sadi Carnot assassiné par un anarchiste », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/sadi-carnot-assassine-anarchiste

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