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Monument des Bourgeois de Calais

Monument des Bourgeois de Calais

Monument des Bourgeois de Calais, Londres

Monument des Bourgeois de Calais, Londres

Monument des Bourgeois de Calais

Monument des Bourgeois de Calais

Auteur : RODIN Auguste

Lieu de conservation : musée Rodin (Paris)
site web

Date de création : 1889

Date représentée : août 1347

H. : 217 cm

L. : 255 cm

bronze fondu au sable en 1926 par Alexis Rudier. Pr. 197 cm. Pds. : 3000 kg.

Domaine : Sculptures

© Musée Rodin - photo Jean de Calan

Lien vers l'image

S.450

Les Bourgeois de Calais

Date de publication : mai 2017

Auteur : Émilie FORMOSO

Un monument commémoratif

Au début des années 1880, Auguste Rodin a déjà essuyé plusieurs échecs à différents concours pour des monuments publics. Il n'a pourtant pas ménagé ses efforts afin de remporter ces commandes officielles, qui permettent aux artistes d'obtenir notoriété et stabilité financière. La requête de la municipalité de Calais arrive donc à point nommé.

En janvier 1885, le maire, Omer Dewavrin, obtient pour Rodin la commande d'un monument commémorant un épisode célèbre de l'histoire locale : la reddition de la ville le 3 août 1347, après un siège de onze mois mené par l'armée du roi d'Angleterre Edouard III. Cet événement, relaté dans les Chroniques de France de Jean Froissart, s'inscrit au début de la guerre de Cent Ans.

Nées d'un conflit de succession pour la couronne de France, qu'Edouard III revendique à son cousin Philippe VI de Valois, les hostilités ont débuté en 1337. Edouard III a porté l'affrontement sur le sol du nord de la France. Lorsqu'il entame le siège de Calais à la fin de l'été 1346, le roi est fort de la victoire remportée avec éclat à Crécy en 1340 sur les armées françaises. Privée de sa source de ravitaillement par la mer, puis du soutien des armées de Philippe VI escompté au printemps 1347, Calais sombre dans la famine et le désespoir ; le 3 août, le capitaine Jean de Vienne négocie la reddition. Froissart a livré la réponse brutale du souverain anglais : « […] La plus grande grâce [que les Calaisiens] pourront trouver en moi, c’est que partent de la ville six des plus notables bourgeois […]. De ceux là, je ferai à ma volonté, je ferai miséricorde au reste. » Six bourgeois volontaires se sacrifient pour le reste des habitants. Edouard III finira cependant par les gracier, sur les prières de son épouse Philippa de Hainaut.

La municipalité souhaite commémorer l'événement en mettant en valeur ces six héros, symboles de l'orgueil calaisien. Mais il faudra plus de dix ans à Rodin pour livrer les Bourgeois de Calais, suite à plusieurs désaccords avec le comité chargé de la commande. Le groupe est officiellement inauguré le 3 juin 1895 devant l'Hôtel de Ville, en présence de l'artiste.

Un cortège en mouvement

Les bourgeois se tiennent debout, sans contact physique, mais individualisés par une gestuelle propre à chacun. Ils correspondent à la description des Chroniques de Froissart, « tête nue, sans chausses, la corde au cou, les clefs de la ville et du château en leurs mains », c'est-à-dire dans la tenue déshonorante des condamnés. Au premier rang, le vieillard à l'allure vénérable et résignée représente Eustache de Saint-Pierre ; sa position centrale est une allusion à son statut de chef du groupe. À droite, Jean d'Aire tient fermement dans ses mains les clés de la ville qui doivent être remises à Edouard III. À gauche, Pierre de Wissant encourage d'un geste de la main Jacques de Fiennes, qui semble hésiter derrière lui. À côté, Jacques de Wissant, frère de Pierre, s'avance en vacillant, tandis qu'Andrieus d'Andres cède au désespoir en se tenant la tête entre les mains.

Ces six personnages incarnent la variété des réactions humaines face à une mort annoncée. Par ailleurs, Rodin apporte une innovation dans le genre du monument commémoratif en rompant avec la composition pyramidale traditionnelle, qui répondait au sentiment d'exaltation propre à la célébration officielle. A contrario, le sculpteur place tous les personnages au même niveau, comme un cortège en mouvement. En ne privilégiant aucun personnage, il oblige le spectateur à tourner autour du monument pour en apprécier tous les angles et toutes les nuances. Ce choix répond à la conception de la sculpture selon Rodin, qui critiquait vivement les œuvres faites pour être vues sous un angle unique.

Un traitement novateur

Il revenait à Rodin de mettre en exergue l'héroïsme des six bourgeois. Or, le traitement novateur qu'il propose entraîne un désaccord avec le comité. La maquette présentée en juillet 1885 suscite en effet des réserves. Car ce type de monument ne recouvre pas un simple enjeu esthétique ; il questionne la place politique du héros à une époque, celle des années 1880-1914, où les statues commémoratives fleurissent dans l'espace public, notamment au sein de collectivités qui, comme Calais, mettent en valeur les figures identificatoires de leur histoire. Calais entendait célébrer à travers ce groupe l'acte sacrificiel d'hommes offrant leur vie pour sauver celles de leurs concitoyens. Mais le rejet des conventions esthétiques par Rodin perturbe le comité. Pourquoi avoir privilégié une disposition en rectangle, qui prive le monument de sa dimension glorifiante en ne mettant en valeur aucun des personnages ? Pire, pourquoi avoir insisté sur les tuniques et les cordes qui transforment ces braves bourgeois en criminels ?

Peu sensible à la charge émotionnelle déployée par chaque figure, le comité passe à côté du caractère révolutionnaire du groupe. Mais un événement change la donne : au début de l'année 1886, la banque qui détenait le produit de la souscription récoltée pour l'élévation du groupe fait faillite ; le comité perd son moyen de pression financier sur le sculpteur. Libéré de toute contrainte, Rodin peut poursuivre son travail, et le groupe est finalement exécuté selon sa volonté. Une dernière discussion s'élève sur l'opportunité de placer le groupe sur un piédestal. Pour Rodin, le choix d'un piédestal doit permettre aux bourgeois de se dégager sur le ciel, à condition d'être très haut placés et installés dans un endroit dégagé. La solution médiane retenue par la municipalité – un socle peu élevé et entouré d'une grille – ne satisfait pas le sculpteur, qui finira par préférer l'absence totale de socle. Comme il l'écrit à Omer Dewavrin le 8 décembre 1893, « j'avais pensé que placé très bas le groupe devenait plus familier et faisait entrer le public mieux dans l'aspect de la misère et du sacrifice, du drame. » Sans piédestal, les bourgeois du Moyen Âge se voyaient intégrés de plain-pied dans la communauté civique contemporaine. C'est cette présentation que Rodin imposera pour la copie du groupe installée à Londres en 1911, et que le musée Rodin respectera en érigeant une autre copie de l'œuvre dans ses jardins.

Jean FROISSART, « Chroniques, 2, 1342-1356 : les bourgeois de Calais », Paleo, Clermont-Ferrand, 2003

Antoinette LE NORMAND-ROMAIN et Annette HAUDIQUET, « Rodin. Les bourgeois de Calais », éditions du musée Rodin, Paris, 2001

Dominique JARASSE, « Rodin », Terrail, Paris, 2006

Antoinette LE NORMAND-ROMAIN, « Rodin », Citadelles & Mazenod, Paris, 2013

Émilie FORMOSO, « Les Bourgeois de Calais », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/bourgeois-calais

Site du Musée Rodin : http://www.musee-rodin.fr/

Site du Centenaire Rodin : http://rodin100.org/

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