Le Deux mai 1808 à Madrid - El Dos de mayo
Auteur : GOYA Francisco de
Lieu de conservation : Musée national du Prado (Madrid)
site web
Date de création : 1814
Date représentée : 2 mai 1808
H. : 268,5 cm
L. : 347,5 cm
Autre titre : La Charge des mamelouks.
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
Domaine Public © CC0 Museo Nacional del Prado
P000748
Le Deux mai 1808 à Madrid
Date de publication : Août 2022
Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD
D’alliés à occupants, les Français et le soulèvement des Madrilènes
En 1814, soit près de deux ans après que le territoire espagnol a été libérée de la présence française, l’ancien peintre du roi Francisco Goya fait part au jeune monarque Ferdinand VII de sa volonté de commémorer en peinture les origines de cette guerre d’indépendance qui lui a finalement permis d’accéder au trône. Une demande que Goya voit satisfaite, et rémunérée, bien que les circonstances de ce retour au pouvoir mettent en évidence le jeu trouble du jeune souverain, et plus encore son absence à l’époque. En 1796, en effet, le royaume d’Espagne conclut avec la France une alliance militaire contre sa traditionnelle rivale sur la route des Amériques : l’Angleterre. Soumise au blocus continental imposé par Napoléon Ier, cette dernière peut néanmoins compter sur le Portugal, qui lui ouvre ses ports, afin d’en desserrer l’étau. En représailles, les troupes napoléoniennes entrent au Portugal à l’automne 1807. L’Espagne les a préalablement autorisées à traverser son territoire, et son armée se joint à l’invasion dans l’espoir un peu illusoire de réunifier la péninsule ibérique sous son autorité. Mais les Français ne font pas que passer : au printemps 1808, l’armée de renfort commandée par Joachim Murat occupe de fait plusieurs places espagnoles. Un conflit éclate alors entre l’infant Ferdinand, qui se proclame roi d’Espagne sous le nom de Ferdinand VII, et son père, Charles IV. Souhaitant tirer profit de ces divisions, Napoléon place son frère Joseph sur le trône d’Espagne et retient les deux souverains en dispute à Bayonne pour les persuader d’abdiquer. Une situation que les Madrilènes interprètent immédiatement comme une ingérence, faisant passer du même coup les Français d’alliés à occupants, contre lesquels ils se soulèvent le 2 mai 1808. Significativement, le soulèvement débuta aux abords du palais royal, à l’ouest de Madrid, dont les insurgés furent repoussés par l’infanterie française, bientôt rejointe par des éléments de cavalerie envoyés depuis l’est de la capitale.
Peindre la réalité historique
L’emblématique place de la Puerta del Sol fut l’un des points de rencontre les plus violents entre les forces en présence. Les quelques éléments d’architecture qui figurent sur la toile de Francisco Goya laissent penser que c’est bien cet épisode que ce dernier y représente, dans toute sa crudité et avec le souci de peindre en détail la réalité historique. Malgré le tumulte et la confusion auxquels le peintre donne manifestement la prééminence, ce sont ainsi les habits des différents protagonistes qui permettent cependant de distinguer les forces en présence. L’uniforme du soldat qui gît, égorgé, dans l’angle inférieur gauche de la composition l’apparente à un fusilier de l’infanterie de ligne française de l’époque (détail 1). Celui du cavalier armant son sabre dans l’angle supérieur droit l’identifie comme un dragon de la Garde impériale (détail 2). Le long de la diagonale qui va de l’un à l’autre, Goya a figuré pas moins de cinq Mamelouks appartenant au même corps d’élite. La volonté du peintre de souligner la présence de ces cavaliers ramenés d’Égypte en 1801 correspond au sentiment de ses compatriotes qui vivent comme une humiliation la présence de soldats musulmans sur leur sol. C’est d’ailleurs sur eux que s’acharnent les insurgés. Goya dépeint ces derniers en majos, selon la mode populaire nationale d’alors, qu’une partie de l’opinion oppose à celle, plus élitiste, d’importation française.
Commémorer un soulèvement populaire
L’une des raisons de l’insistance de l’auteur du Deux mai 1808 à Madrid sur cet habit trahit peut-être sa volonté de montrer que le soulèvement des Madrilènes, comme la Guerre d’indépendance qui s’ensuivit pendant quatre années, fut d’initiative populaire. Goya était personnellement proche des cercles progressistes espagnols, que l’on qualifiait alors d’afrancesados (de « francisés »), et la fureur qu’il prête aux insurgés n’est pas sans rappeler sa dénonciation du fanatisme et des superstitions qui traverse son œuvre gravé antérieur (en particulier dans Les Caprices de 1799). Un détail renforce de manière paradoxale le sentiment d’assister à un combat bestial : le fait que seuls les chevaux regardent le spectateur, comme pour le prendre à témoin de l’inhumanité du spectacle qui se déroule sous ses yeux (détail 3). Cette ambiguïté, qui participe du réalisme de l’œuvre, ne contredit pourtant pas sa vocation commémorative. Une lettre du 24 février 1814 adressée par Goya à la régence manifeste ainsi « ses ardents désirs de perpétuer, par le moyen du pinceau, les actions ou scènes les plus notables et héroïques de notre glorieuse insurrection contre le tyran de l’Europe. ». La Couronne rétribua l’artiste pour les deux tableaux, le Deux et le Trois mai 1808, qui furent peut-être conçus à l’origine pour être accrochés sur les piliers d’un arc de triomphe temporaire fêtant l’indépendance recouvrée. Ils gagnèrent pourtant rapidement les réserves des collections royales, comme si Ferdinand VII, rétablissant l’absolutisme en accédant au trône cette même année 1814, avait compris que celui qui fut premier peintre du roi n’entendait pas célébrer son retour victorieux, mais bien plutôt la gloire du peuple qui en fut l’acteur décisif.
Jeannine BATICLE, Goya d’or et de sang, Paris, Gallimard, 2005.
Werner HOFMANN, Goya. Du ciel à l’enfer en passant par le monde, Paris, Hazan, 2014.
Manuela B. MENA MARQUES (dir.), Goya en tiempos de guerra, Madrid, musée du Prado, El Viso, 2008.
Nigel GLENDINNING, Arte, ideología y originalidad en la obra de Goya, Salamanque, Ediciones Universidad de Salamanca, 2008.
Sarah SYMMONS, Goya, Londres, Phaidon, 2002.
Paul BERNARD-NOURAUD, « Le Deux mai 1808 à Madrid », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/deux-mai-1808-madrid
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