Magellan
Fernand Magellan
Magellan entrant dans le Pacifique
Détroit de Magellan
Circumnavigation de Magellan
L’Expédition de Magellan (1519-1522)
Date de publication : Décembre 2024
Auteur : Lucie NICCOLI
L’expédition vers les Moluques et la découverte du détroit
Comme le Génois Christophe Colomb avant lui, le Portugais Fernand de Magellan, financé par la monarchie espagnole – cette fois Charles Ier de Castille et d’Aragon, futur empereur Charles Quint – lance en 1519 une expédition pour atteindre les Indes par l’Ouest. L’enjeu est de s’approprier avant les Portugais les mythiques îles aux épices, en particulier l’archipel indonésien des Moluques, producteur exclusif du précieux clou de girofle.
Magellan a participé à l’expansion coloniale portugaise vers l’Asie avec les navigateurs Francisco de Almeida puis Alfonso de Albuquerque. Cependant, éconduit par le roi du Portugal Manuel Ier et convaincu que les Moluques se trouvent dans la moitié du globe qui revient à l’Espagne, en vertu du traité de Tordesillas (1), c’est de Séville qu’il embarque le 10 août 1519, avec 265 hommes (2), à bord de cinq voiliers – Trinidad, le navire amiral, San Antonio, Concepción, Victoria et Santiago. Parmi l’équipage, l’Italien Antonio Pigafetta, l’un des 18 hommes qui rentrera à Séville trois ans plus tard, en rédigera une chronique détaillée.
Après avoir suivi la côte africaine, la flotte traverse l’océan Atlantique et longe l’Amérique du Sud, à la recherche d’un passage vers l’ouest, finalement découvert le 21 octobre 1520 : le fameux détroit de Magellan. Elle débouche alors sur un immense océan inconnu, baptisé « Pacifique », et trois navires poursuivent la route jusqu’à l’archipel des Philippines, atteint en mars 1521. Magellan y trouve la mort le 27 avril au cours d’un conflit avec des insulaires. Le capitaine de la Victoria, Juan Sebastian Elcano, poursuit l’expédition et atteint les Moluques en novembre, puis il parvient, en moins d’un an, à rentrer en Espagne en contournant l’Afrique, bouclant ainsi la première circumnavigation (tour du monde) jamais réalisée.
Magellan n’a pas été représenté de son vivant mais plusieurs portraits en buste datés de la deuxième moitié du XVIe siècle, notamment une huile anonyme conservée au Mariners’ Museum de Newport News, montrent le visage barbu d’un homme vêtu de noir, sans doute plus réaliste que celui que lui prête une gravure anonyme parue dans l’ouvrage du cosmographe français André Thevet, Les Vrais pourtraits et vies des hommes illustres grezs, latins et payens (1584). Son expédition est célébrée dans la partie IV des America, la somme de récits de voyages illustrés, éditée à Francfort par Théodore de Bry et ses fils entre 1590 et 1634, ainsi que dans la collection concurrente publiée par le Flamand Levinus Hulsius à partir de 1598 à Francfort (3) et Nuremberg.
Un homme illustre : gentilhomme, savant et conquérant
Dans son portrait à l’huile du Mariners’ Museum, Magellan est vêtu à la mode espagnole à la fois austère et élégante du XVIe siècle, alors imitée dans toute l’Europe : il porte un pourpoint matelassé de riche drap noir assorti d’un petit chapeau de velours noir à bords ronds. Son visage aux traits doux, aux grands yeux bruns et aux lèvres charnues est orné d’une épaisse moustache et d’une barbe grisonnante arrondie, avec favoris. Son buste est peint de trois-quarts, le visage à l’air pensif et presque mélancolique vivement éclairé et contrastant nettement avec sa mise sombre et le fond neutre. Le portrait est surmonté d’une inscription en latin, telle une épigraphe sur un monument funéraire : « Ferdinan Magellanus superatis antarctici freti angustiis clariss », soit « Ferdinand Magellan, après avoir franchi les célèbres rives étroites du détroit antarctique ».
Dans un style très différent, le portrait gravé à mi-corps pour l’ouvrage d’André Thevet évoque un clerc ou un philosophe antique plutôt qu’un notable du Siècle d’or espagnol. Il est revêtu, à la manière des hommes d’Église, d’une ample robe boutonnée à manches longues, serrée à la taille par un nœud et couverte par une large cape. Son visage et ses mains ridées indiquent qu’il s’agit d’un homme âgé et sage. Ses cheveux et sa barbe bouclées rappellent les bustes sculptés des philosophes grecs antiques. Tenant d’une main un compas de navigation, de l’autre un rouleau – probablement un tracé ou une carte marine –, il tourne la tête dans le sens opposé à son buste et fixe de ses yeux presque révulsés les étoiles, en haut à gauche de l’image.
Magellan est aussi représenté, dans la partie IV des America, au moment où il sort du détroit pour atteindre l’océan Pacifique. Au centre de l’image, le navire passe entre deux rives : la Patagonie, à gauche, symbolisée par l’homme géant qui avale une de ses flèches – pour se purger l’estomac, d’après Pigafetta –, et la « Terre de Feu », à droite, reconnaissable aux feux allumés par ses habitants. Comme Colomb dans une autre planche, honoré comme le « premier découvreur des Indes occidentales », Magellan est étrangement seul dans son tout petit voilier et porte des attributs militaires – pour sa part seulement un casque, des cuissardes et une épée au côté. Assis devant une sphère armillaire (4) , il semble mesurer des distances à l’aide d’un compas. L’un des mâts de son navire, brisé, repose au sol, peut-être une allusion aux avaries qu’il dût subir. Sur l’autre mât flotte le drapeau de l’Espagne sous Charles Quint : un blason occupé par une aigle bicéphale, entre deux colonnes d’Hercule liées par un ruban et surmontées d’une couronne. Le ciel et la mer sont peuplés de créatures merveilleuses, certaines inspirées de la mythologie antique, comme Poséidon assis sur un nuage et les sirènes, à gauche, ou Apollon à la lyre, auréolé tel un Soleil, qui pose une main protectrice sur le voilier, à droite. Au-dessus de lui, un très grand oiseau emporte un tout petit éléphant, signe, peut-être, que les rives de l’Asie sont proches. Dans la partie IX des America, Magellan est à nouveau évoqué par une carte sommaire du détroit qu’il a découvert, « Fretum Magellanicum ».
Levinus Hulsius, éditeur rival, propose à son tour une carte en copiant les personnages qui animaient celle des de Bry. Le détroit sépare, au Nord, le Chili et la Patagonie, au Sud, la « terre australe inconnue » ou « terre de feu espagnole », et relie les deux « mers » : à l’Est, la « mer du Nord » (l’océan Atlantique), à l’Ouest, la « mer pacifique ou mer du Sud » (l’océan Pacifique). Sur les côtes sont indiqués les principaux caps, baies et îles, dont la baie de San Julian, où les navires firent halte six mois avant de découvrir le détroit. Apparaît aussi l’enceinte d’une première colonie fondée en 1584 par l’Espagnol Pedro Sarmiento de Gamboa, baptisée Philipopolis (en l’honneur de Philippe II, fils de Charles Quint) ou « Port Famine » car tous ses habitants y périrent de faim et de froid. Les « Patagons » sont à nouveau figurés comme des géants par rapport aux Européens, notamment celui qui « se purge » avec une flèche face à un soldat armé d’une hallebarde ; hommes et femmes sont nus, parés de plumes ou vêtus de peaux de bêtes.
Les Européens et le nouveau monde
À la fin du XVIe siècle, Magellan est entré au panthéon des hommes illustres et son nom a été donné au détroit qu’il a découvert. Le recueil de biographies d’André Thevet s’inscrit en effet dans un renouveau de ce genre littéraire sur le modèle des Vies parallèles de Plutarque (100 et 120 ap. J.-C.), traduites et illustrées en Europe dans les années 1550. Magellan y est figuré en savant moderne aux côtés d’autres explorateurs – Colomb ou Vespucci (5), également idéalisés –, observant les astres pour calculer sa position. C’est aussi en homme de sciences autant que d’armes qu’il est dessiné dans son voilier pour illustrer la découverte de « son » détroit et de l’océan Pacifique. Les créatures merveilleuses et indigènes étonnants qui animent cette gravure de style maniériste, toute en courbes et volutes, appartiennent à une tradition antique héritée notamment de l’Histoire naturelle (77 ap. J.-C.) de Pline l’Ancien.
Isolés des images qui les mettent en scène dans leur environnement, les motifs d’autochtones fantasmés sont reproduits sur les cartes marines de ces nouveaux territoires, tracées par les cartographes portugais puis espagnols, français et enfin hollandais. Ces gravures montrent bien l’élaboration des nouvelles connaissances pendant la Renaissance, la découverte de nouveaux mondes étant associée à la redécouverte des sources antiques. Elles présentent la face heureuse de ces explorations, la curiosité et la science semblant l’emporter sur les armes, tandis que d’autres évoquent plus crûment les confrontations violentes avec les populations.
Romain BERTRAND, Qui a fait le tour de quoi ? L'affaire Magellan, Verdier, 2020.
Michiel van GROESEN et Larry E. TISE, America. Théodore de Bry, Taschen, Cologne, 2019.
Xavier de CASTRO, Le Voyage de Magellan : la relation d’Antonio Pigafetta du premier voyage autour du monde, Paris, Chandeigne, coll. « Magellane poche », 2017.
Catherine HOFMANN, Hélène RICHARD et Emmanuelle WAGNON (sous la dir. de), L’Âge d’or des cartes marines. Quand l’Europe découvrait le monde, catalogue de l’exposition présentée par la Bibliothèque nationale de France, BnF/Seuil, Paris, 2014.
1- Traité de Tordesillas : ce traité conclu à Tordesillas (Castille) en 1493, à la suite du premier voyage de Christophe Colomb, sous l’égide du pape Alexandre VI, établit un méridien divisant le monde entre deux zones d’exclusivité – espagnole et portugaise. Ce méridien est situé à 1770 km à l’ouest des îles du Cap-Vert : les territoires situés à l’ouest (l’Amérique, sans le Brésil) sont réservés à la couronne espagnole, les territoires à l’est (l’Afrique, mais aussi l’Asie, jusqu’à l’Indonésie), à la couronne portugaise.
2 - Ou 237 hommes.
3 - Selon les sources Francfort ou Strasbourg accueillaient alors des protestants, tel le Liégeois Théodore de Bry, qui fuyaient les persécutions religieuses
4- Sphère armillaire : modélisation de la sphère céleste, servant à montrer le mouvement des étoiles et du Soleil autour de la Terre.
7 - Amerigo Vespucci (1454-1512) : navigateur italien, Vespucci entreprend plusieurs voyages après Christophe Colomb. Il découvre l'embouchure de l'Amazone en 1500. Lors de sa dernière expédition en 1501, il acquiert la certitude que les terres abordées ne sont pas l'Asie mais un Nouveau Monde.
Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c’est l’homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.
Lucie NICCOLI, « L’Expédition de Magellan (1519-1522) », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 11/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/expedition-magellan-1519-1522
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