Réjouissances à l'annonce de l'abolition de l'esclavage. 30 pluviôse an II / 18 février 1794.
Pierre-Gaspard Chaumette dit Anaxagoras.
Discours sur l'abolition de l'Esclavage d'Anaxagoras Chaumette. Page de Titre.
Réjouissances à l'annonce de l'abolition de l'esclavage. 30 pluviôse an II / 18 février 1794.
Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France (BnF, Paris)
site web
Date de création : 1794
Date représentée : 18 février 1794. Date révolutionnaire : 30 pluviôse an II
H. : 63,5 cm
L. : 47 cm
Eau-forte et burin, en couleur.
© Cliché Bibliothèque Nationale de France
Estampes, Qb1 4 février 1794
La fête de l'abolition de l'esclavage à Paris
Date de publication : Octobre 2006
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
La fête de l'abolition de l'esclavage à Paris
La fête de l'abolition de l'esclavage à Paris
Fêter l’abolition
La fête organisée par la Commune de Paris pour célébrer l’abolition de l’esclavage par la réunit en masse les sans-culottes dans le temple de la Raison installé à Notre-Dame de Paris. Galvaniser le peuple contre les ennemis de la Révolution est de première importance en cet hiver de l’An II, car la Révolution doit lutter à la fois contre la guerre extérieure, la révolte de la Vendée et la question cruciale des subsistances qui menace constamment d’enflammer le peuple de Paris.
Chaumette (1763-1794), procureur de la Commune de Paris depuis décembre 1792, en est le second personnage après le maire ; il a adopté le prénom d’Anaxagoras – un grec pendu à l’époque de Périclès pour avoir professé l’athéisme- et s’est imposé comme porte-parole des sans-culottes depuis le Dix-août. Mais la Convention qui veut imposer aux municipalités la volonté du gouvernement central, vient de transformer les procureurs de communes en agents nationaux. La menace d’une révocation pèse sur lui ; de plus, les excès de la déchristianisation ont déplu à Robespierre qui l’a déjà fait exclure du club des Jacobins.
Adversaire convaincu de l’esclavage, Chaumette a tout lieu de célébrer l’abolition, mais il semble jouer son va-tout avec cette fête pour complaire à Robespierre : apparaître indispensable par son ascendant sur les sans-culottes, et, simultanément, faire publiquement l’aveu de sa docilité à la Convention montagnarde.
Une fête révolutionnaire
L’exubérance de cette gravure l’a fait passer pour une évocation imaginaire de l’abolition de l’esclavage de 1794. Il s’agit en réalité de la fête qui célèbre l’abolition, quinze jours après sa proclamation, le 30 pluviôse An II ou 18 février 1794. On découvre l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame de Paris, transformée en temple de la Raison, depuis novembre 1793. Ce temple de la Philosophie avait été échafaudé dans la cathédrale, sur une « montagne » symbolique. Toutefois, le Génie, la Liberté et l’Egalité qui est munie d’un niveau de charpentier, ont peut-être été ajoutés au sommet pour la fête de l’abolition. L’extraordinaire décor dérobe aux regards les voûtes et les piliers gothiques sous des branchages ; un arbre entier porte les couronnes décernées par le peuple à la Convention. Suivant un rituel analogue dans les quelques 37 villes où se tient la fête, on brandit des piques et des bonnets rouges, on applaudit, au milieu des ovations.
Devant le temple, Chaumette, prononce un discours fleuve sur l’esclavage, mémorable par son inspiration comme sa longueur ! Deux secrétaires en prennent note ; le texte sera publié simultanément par la Convention et par la Commune, chaque député en reçoit six copies à diffuser.
La Convention s’est contentée de dépêcher à la fête une douzaine de représentants. Mais cette gravure rend cependant un hommage appuyé au gouvernement de l’assemblée. Les chapeaux de conventionnels sont bien visibles, parfois brandis au bout de piques.
Le député Jean-Baptiste Belley, arrivé de Saint-Domingue, est reconnaissable en uniforme, à droite, brandissant son bicorne au bout de son épée. La présence de ce premier représentant noir à la Convention a frappé toute l’assistance mais d’autres personnages de couleur sont visibles aussi. La femme noire devant lui pourrait être Lucidor Corbin, créole républicaine qui prononcera un discours de remerciement, après Chaumette. Au premier plan, des femmes blanches et de couleur allaitent leurs enfants et, d’après certains récits, les échangent pour marquer, avec la fin de l’esclavage, celle du préjugé de couleur.
En arrière, se presse le cortège d’« une foule immense de spectateurs que le plus vaste temple de Paris ne pouvait contenir », d’après le récit du conventionnel Guffroy dans son journal, Le Rougyff, anagramme de son nom. Cette fête de masse où la présence est requise par le pouvoir pour souder et régénérer l’esprit public vise à créer un imaginaire nouveau chez le sans-culotte. Célébrer la fin de l’esclavage, c’est à la fois fêter le triomphe des frères noirs qui combattent l’esclavage les armes à la main, depuis l’été 1791, et mobiliser sans-culottes et anciens esclaves, tous victimes du despotisme, pour lutter ensemble contre les oppresseurs.
Le discours de Chaumette
L’éloquence ardente, sensible et mobilisatrice de Chaumette soulève un immense succès et suscite des échos enthousiastes dans la presse. Avec lyrisme, il évoque les crimes de l’esclavage et assimile celui-ci à la servitude féodale. Tour à tour prophétique, éthique et surtout politique, ce discours s’achève cependant de façon plutôt plate en invitant les anciens esclaves aussi bien que les patriotes à s’armer de patience et à faire confiance à la Convention !
La brochure imprimée par la Commune reprend un dessin déjà inscrit dans les mémoires. Ce noir enchaîné agenouillé était l’emblème de la Société des Amis des Noirs, à Paris, comme celui de la société abolitionniste de Londres. L’image avait été adoptée par des Girondins, qui ont tous été éliminés, mais Chaumette ose la reprendre bien parce qu’elle est devenue un symbole, connu de tous, celui du drame de l’esclavage.
En dépit de sa soumission à la Convention, et de ses efforts lors de cette fête, Chaumette n’échappera pas à la guillotine, le 13 avril 1794, lorsque Robespierre décidera de décapiter la Commune.
Le sans-culotte et le Noir unis contre l’oppresseur
La lutte contre l’esclavage n’est pas l’objet d’une politique de la part de la Convention, elle espère tout au plus opposer les Noirs aux Anglais qui envahissent les colonies. En France, le décret d’abolition donne l’opportunité de célébrer la gloire de la Convention. Il s’agit de réunir le sans culotte et le noir et de les montrer égaux et solidaires dans la lutte contre l’oppresseur. Le lyrisme sensible de Chaumette qui évoque les malheurs des esclaves sait aussi mettre en valeur le principe révolutionnaire d’Egalité, celui auquel le sans-culotte est le plus attaché.
La gravure laisse imaginer Notre-Dame de Paris transformée en temple de la Raison. Lorsque les Parisiens y défilaient, bon gré mal gré, pour les fêtes révolutionnaires, ils entraient dans un monument dont toute la statuaire extérieure avait été détruite quelques mois auparavant, puis s’avançaient, entre les branchages, vers la montagne du temple de la philosophie. Faisant allusion au décor dévasté du bâtiment, Guffroy prétend donner un sens révolutionnaire à sa destruction: « les ministres et les disciples du culte républicain dédaignent ce matériel appareil ; ils savent que plus on dépouille la vérité, plus elle est belle » !
Nicole BOSSUTChaumette, porte-parole des sans-culottesParis, Editions du C.T.H.S., 1998.Marcel DORIGNY et Bernard GAINOT La Société des Amis des NoirsParis, UNESCO, 1998.Guide des sources de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitionsDirection des Archives de France, La documentation française, Paris, 2007.
Luce-Marie ALBIGÈS, « La fête de l'abolition de l'esclavage à Paris », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 24/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/fete-abolition-esclavage-paris
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L'ironie de l'auteure de la notice à propos des justifications rationnelles de la destruction et/ou de la déposition des statues de Notre Dame n'est pas justifiée: il existe bien un iconoclasme révolutionnaire qui fait disparaître les "icônes" de la royauté qui étaient associées aux images sacrées des rois de la Bible et au Nouveau Testament. De nombreux travaux récents d'historiens en attestent. Le décor de Notre-Dame associait d'ailleurs avant la déchristianisation Louis XIV et la religion catholique. Le règne du même Louis XIV correspond à la rédaction du Code Noir, qui régissait le statut des esclaves Cet iconoclasme a bien un sens, et n'est pas assimilable à une quelconque "pulsion destructrice". Avoir une lecture distanciée nécessite de comprendre les motivations de ces gestes et de ce culte de la raison sur fond d'iconoclasme, même s'il nous paraît lointain, dans une époque de préservation du patrimoine. Enfin, ces gestes ne sont pas de nature différente des destructions chrétiennes des temples polythéistes, y compris à Paris même, sur le lieu de Notre-Dame.
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