Le Fou ou la Folie
Portrait de folle
Le Fou ou la Folie
Auteur : REDON Odilon
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
Date de création : 1883
H. : 36,2 cm
L. : 31,4 cm
Titre complet : Le fou ou la Folie : tête coiffée d'un bonnet.
Titre de l'inventaire : La Barrique d'amontillado, bonnet de clochettes.
Fusain, estompe et fixatif sur papier vergé chamois.
Domaine : Dessins
© Musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Martine Beck-Coppola
RF 35822 - 12-509170
La Folie : de l'allégorie à l'évidence photographique
Date de publication : Septembre 2008
Auteur : Alain GALOIN
L’invention de la photographie en 1839 par Jacques Daguerre (1787-1851) eut, entre autres, des conséquences non négligeables sur la recherche médicale. En psychiatrie notamment, des aliénistes comme Jean Martin Charcot (1825-1893), Guillaume Benjamin Duchenne de Boulogne (1806-1875), Jules Bernard Luys (1828-1897), Désiré Magloire Bourneville (1840-1909) ou Paul Régnard (1850-1927) y voient le moyen privilégié de fixer sur la pellicule des patients en état de crise passagère. En 1878, Charcot crée le service photo de l’hôpital de la Salpêtrière et observe chez les femmes internées les différentes phases de l’hystérie. Il catégorise chez elles des attitudes passionnelles telles que la mélancolie, l’extase ou l’érotisme. Il convient en effet de remarquer que la photographie psychiatrique du XIXe siècle se concentre presque exclusivement sur les manifestations de la « folie » féminine. Les aliénistes de cette époque pensent le corps comme « symptôme » de l’âme, comme un écran sur lequel se projettent les conflits intérieurs de l’être humain. La photographie constitue ainsi un précieux auxiliaire pour décrire, nommer et classer les différentes maladies « mentales », dans la mesure où le corps livre ses profondeurs et ses replis intimes à l’œil inquisiteur de l’objectif.
Sur le plan esthétique, l’approche de la folie dépasse largement la simple évidence du cliché photographique pour interpréter tout ce qui se cache derrière les apparences et suggérer l’invisible. À la fin du XIXe siècle, le courant symboliste – auquel on peut rattacher Odilon Redon – explore les tréfonds de l’âme. Ces artistes voient dans la folie une distanciation de la conscience face au matérialisme désenchanté du monde dans lequel ils évoluent et dont le réalisme n’a rien à voir avec l’univers idéal qu’ils se sont forgé. Il s’agit pour eux de peindre le secret des choses, l’expérience intime des êtres, le mysticisme transcendant. Les symbolistes ne représentent que des émotions. Leur onirisme nie la réalité sordide et simplifie les figures à l’extrême pour atteindre une merveilleuse abstraction. Ils annoncent à leur manière l’art du XXe siècle.
Odilon Redon (1840-1916) est l’un des maîtres de l’art moderne – les surréalistes s’en réclamaient – et occupa dans l’art de son temps une place particulièrement originale. Alors que ses contemporains s’intéressent à la conquête de la lumière et à l’alchimie des couleurs, il utilise les seules ressources du noir et du blanc. À partir de 1875, et pendant plus de dix ans, l’artiste va s’adonner à ses « Noirs », série de dessins réalisés à la mine de plomb ou au fusain dont les tonalités sombres tentent d’approcher le clair-obscur de Rembrandt ou le sfumato de Léonard de Vinci. Ce travail sur le clair-obscur renvoie à une période très sombre de la vie du peintre, à un moment d’intense souffrance morale dont la fin coïncidera très précisément avec la redécouverte de la couleur et l’introduction des pastels dans son œuvre à partir de 1890. Ses « Noirs » – dessins, fusains et lithographies – expriment non seulement la réalité vue, mais la réalité sentie, révélant un monde invisible issu de ses rêves.
L’allégorie de La Folie appartient à cette série. Il s’agit du portrait d’un personnage asexué au visage émacié et coiffé d’un bonnet parsemé de clochettes. Les yeux immenses, inexpressifs, dissimulent un monde intérieur clos, douloureux, où l’étrange le dispute au fantastique. Comme dans ses diverses représentations carcérales, Odilon Redon reprend ici le vieux thème de l’âme prisonnière.
À cette folie tapie au plus profond d’un personnage fictif répond l’évidence de la prise de vue instantanée effectuée par Hugh Welch Diamond (1809-1886). Pionnier de la photographie en Angleterre, surintendant du Département des femmes au County Lunatic Asylum du Surrey, Diamond a fixé sur la pellicule, de 1848 à 1858, bon nombre des malades mentales qu’il était amené à côtoyer quotidiennement. C’est l’une de ces « folles » qu’il a photographiée ici. Elle est assise sur une chaise, les mains sagement croisées sur son giron. Le visage seul révèle son altérité : sous les cheveux en désordre, le regard torve qui fixe l’objectif est singulièrement absent, inexpressif, indifférent.
La folie n’existe que dans une société constituée et par rapport à elle : c’est un fait de civilisation. Elle a longtemps été associée aux forces surnaturelles – bénéfiques ou maléfiques – qui président aux destinées de l’homme : en ce sens, c’est une figure d’eschatologie, une manifestation du tragique de la condition humaine. Par voie de conséquence, la folie fascine, trouble, fait peur : le fou semble détenir les clés d’un monde situé aux confins de la vie et de la mort, un monde étranger au commun des mortels et qui dépasse son entendement.
Jusqu’à la Renaissance, le fou est craint et respecté en tant que tel. Au XVIIe siècle, l’émergence du rationalisme cartésien réduit au silence la grande folie baroque naguère si présente dans les œuvres de Jérôme Bosch (vers 1453-vers 1516) ou de Pieter Bruegel l’Ancien (vers 1525-1569) : raison et folie s’excluent radicalement.
À l’âge classique, la folie est synonyme de passion, d’excès, de fantaisie, de rêve, de déraison, d’atteinte aux règles et aux normes sociales, d’exaltation de l’individu au détriment du groupe, d’intrusion de la force vitale et de la dimension du sacré dans l’organisation de la vie collective. Le fou vit en marge de son groupe d’appartenance, le dérange, le conteste ou prétend le transformer de façon radicale.
Dans la société rationnelle du siècle classique, la folie n’a plus sa place, et son exclusion se réalise dans le domaine des institutions par l’enfermement : le fou doit être interné ; même comme fou du roi, il n’a plus sa place dans la société des hommes libres. Il revient au XVIIIe siècle d’avoir opéré cette grande coupure de la raison et de la déraison, dont l’internement n’est que la manifestation institutionnelle et qui subsiste, dans notre philanthropie positiviste et médicale, sous la forme de nos actuels hôpitaux psychiatriques.
Marie-Noëlle DANJOU, Raison et folie, Paris, L’Harmattan, coll. « Psychanalyse et Civilisation », 2001.
Michel FOUCAULT, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Plon, 1961.
Jean GILLIBERT, Folie et création, Seyssel, Éditions du Champ Vallon, 1990.
Jean THUILLIER, La Folie. Histoire et dictionnaire, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1996.
Symbolisme : Mouvement littéraire et artistique de la fin du XIXe siècle dont les adeptes préféraient l’évocation du monde de l’esprit à la description de la réalité.
Alain GALOIN, « La Folie : de l'allégorie à l'évidence photographique », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 26/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/folie-allegorie-evidence-photographique
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Anonyme || Très bon article, il me
Très bon article, il me semble toutefois que l'inventeur de la photographie est Nicéphore Niepce en 1827.
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