Le Docteur Paul Gachet
Auteur : VAN GOGH Vincent
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
Date de création : 1890
H. : 68,2 cm
L. : 57 cm
Huile sur toile
Domaine : Peintures
© RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Gérard Blot
RF 1949 16 - 97-014079
Le Docteur Paul Gachet
Date de publication : Février 2023
Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD
Les derniers mois de Vincent van Gogh à Auvers-sur-Oise
Après un an passé au sein de l’asile psychiatrique de Saint-Rémy-de-Provence, où il avait été admis suite à une crise de démence survenue à Arles peu avant la Noël 1888, Vincent van Gogh rend visite à son frère Theo à Paris. De là, il se rend dans la commune d’Auvers-sur-Oise, où le docteur Paul Gachet loue pour lui une chambre à l’auberge du village. Une dizaine de jours après son arrivée, Van Gogh se rend au domicile de son bienfaiteur afin d’entreprendre son portrait. Paul Gachet est lui-même peintre et graveur amateur. Dès ses études de médecine à Paris, il fréquente les milieux artistiques. À Montpellier, où il passe sa thèse, il rencontre Alfred Bruyas, le mécène de Gustave Courbet, et se lie avec le père de Paul Cézanne. Ce dernier fréquente Auvers-sur-Oise en 1873 avec Camille Pissarro, qui l’initie alors à la peinture en plein air. Le docteur Gachet s’y est établi un an plus tôt. C’est Pissarro qui recommande Van Gogh auprès de lui en 1890. Il connaît ses affinités dans les milieux artistes, et sa prévenance à leur égard, lui qui avait, entre autres, soigné Honoré Daumier dans les années 1870.
Le séjour de Van Gogh auprès du docteur Gachet semble d’abord bénéfique à son art : il peint presque une toile par jour, et certaines d’entre elles comptent aujourd’hui parmi ses chefs-d’œuvre, telles L’Église d’Auvers-sur-Oise (1890, musée d’Orsay) ou le Champ de blé aux corbeaux (1890, musée Van Gogh d’Amsterdam). Malgré cela, le peintre met fin à ses jours quelques mois seulement après son arrivée, le 29 juillet 1890, en se blessant mortellement d’une balle de revolver dans la poitrine, blessure que le docteur Gachet ne parvient pas à soigner. Malgré cette issue tragique, Van Gogh aura sans doute trouvé en celui-ci plus qu’un médecin, une personnalité que le portrait qu’il en a fait invite à envisager comme un véritable alter ego.
A priori, le Portrait du docteur Gachet appartient au genre qu’il est d’usage de désigner du nom de « portrait d’amitié », à l’instar, par exemple, du Portrait de Stéphane Mallarmé que fit en 1876 Édouard Manet (musée d’Orsay). Bien qu’elle semble quelquefois s’imposer d’évidence, cette qualification reste difficile à cerner. Une certaine proximité de la figure, la sensation que son expression résulte davantage d’une longue fréquentation que d’une pose de circonstance, une attention particulière à la psychologie du modèle, autant de menues intuitions qui suggèrent, plus qu’elles n’affirment, l’amitié qu’entretient le portraitiste avec son modèle.
Le portrait d’un alter ego
Van Gogh paraît toutefois avoir investi son Portrait du docteur Gachet d’une dimension plus personnelle encore, qui prend même une tournure troublante lorsqu’on compare l’image qu’il donne de son protecteur à celles qu’il a pu donner de lui-même, comme dans ses derniers autoportraits d’août et de septembre 1889 (National Gallery de Washington et musée d’Orsay). Outre que Paul Gachet, d’origine flamande, et Vincent van Gogh partagent certaines caractéristiques physionomiques (cheveux et yeux clairs, figure émaciée), le peintre place son modèle contre un fond bleu agité d’une ligne vague qui résonne avec les plis de sa veste d’un bleu plus foncé, éclaircissant par contraste celui de ses yeux. À la rousseur de ses cheveux et de sa moustache répond le rouge profond de la table sur laquelle le modèle s’appuie et où il pose une main sur une branche de digitale cueillie. Cette position, qui produit une diagonale analogue à celle qu’imprime la posture affaissée de Mallarmé au portrait de Manet et avec elle la même impression d’abattement, introduit cependant en outre le geste plus ferme du poing fermé, qui remonte très haut dans l’histoire de l’art, et qui confère au Portrait du docteur Gachet la valeur d’une image de la mélancolie.
Une image de la mélancolie
Étude sur la mélancolie, tel est le titre de la thèse en médecine que soutient Paul Gachet en 1858. Il l’y définit comme une extinction du « principe vital » qui fait que « l’homme ressemble à un végétal, à une pierre », et c’est ce mal qu’il diagnostique chez Vincent van Gogh. Cela explique peut-être que ce dernier peigne son praticien sous les traits d’un alter ego, ou à tout le moins comme son semblable.
Du point de vue du patient et de celui du médecin, l’un et l’autre connaissent les symptômes de ce mal dont la tradition médicale et morale disait qu’elle frappait en priorité les contemplatifs. L’évolution historique de la mélancolie est paradoxale. Considérée comme une maladie dans l’Antiquité, dont le siège était alors la bile noire, le mal se démédicalise au fil du temps pour devenir une simple affliction, quoique permanente, voire une affectation de ceux qui veulent passer, eux aussi, pour des hommes de génie dont la mélancolie est devenue, à partir de la Renaissance, l’une des marques distinctives. Depuis qu’Albrecht Dürer a doté, en 1514, la figure gravée intitulée Melencolia I d’un poing fermé, celui-ci apparaît comme le signe figuratif le plus reconnaissable de la mélancolie. Un signe qu’une certaine tradition du portrait mondain reconduit, en ouvrant cependant progressivement le poing de ses modèles, comme pour indiquer qu’ils n’ont pas sombré dans une profonde « tristesse sans cause », mais bien dans une « douce mélancolie ».
Tel que le représente Van Gogh, le docteur Gachet souffre bien du mal qu’il a étudié, et qu’il a si souvent reconnu chez ses amis artistes, dans sa forme à la fois la plus radicale et la plus visiblement artistique en l’occurrence. L’une des interprétations de la gravure de Dürer est que la figure angélique qui porte ainsi son poing fermé contre sa joue souffre d’une incapacité à créer alors même qu’elle dispose désormais de tous les moyens de le faire. Le docteur Gachet, en dépit des progrès considérables que connaît son art au XIXe siècle, l’art médical, paraît, sous le pinceau de Van Gogh, lui aussi impuissant à soigner ce mal du siècle qui afflige à ses yeux le peintre, comme il fut probablement incapable de répondre scientifiquement aux derniers mots prêtés à Van Gogh sur son lit de mort : « La tristesse durera toujours. »
Antonin ARTAUD, Van Gogh. Le suicidé de la société [1947], Paris, Gallimard, 2004.
Raymond KLIBANSKY, Erwin PANOFSKY, Fritz SAXL, Saturne et la Mélancolie. Études historiques et philosophiques : nature, religion, médecine et art [1924-1964], Paris, Gallimard, 1989.
John REWALD, Le Post-impressionnisme. De Van Gogh à Gauguin 2 [1961], trad Paris, Hachette, 1988.
Jean STAROBINSKI, « Une mélancolie moderne : le portrait du docteur Gachet par Van Gogh », 1991, in La Beauté du monde. La littérature et les arts, Paris, Gallimard, 2016.
Vincent VAN GOGH, Lettres à son frère Théo [1937], Paris, Grasset, 2002.
Paul BERNARD-NOURAUD, « Le Docteur Paul Gachet », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 15/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/docteur-paul-gachet
La maison du docteur Gachet à Auvers-sur-Oise
La maison de Van Gogh à Auvers-sur-Oise
Lien à été copié
Découvrez nos études
Peggy Guggenheim
Les Présidents de la République française
De 1871 à 1940, les présidents de la IIIe République, élus au suffrage restreint, ont été Adolphe Thiers (1797-1877), auquel a succédé…
Hyacinthe Rigaud et le portrait des serviteurs de l’État
Si Hyacinthe Rigaud (1659-1743) réalise le portrait de nombreux acteurs des autorités locales, les grands commis de…
Le Docteur Paul Gachet
Après un an passé au sein de l’asile psychiatrique de Saint-Rémy-de-Provence, où il avait…
Un « Mozambique », esclave à l'Ile de France
Les Français s’installent au XVIIIe siècle, dans l’ancienne colonie hollandaise de Maurice et baptisent Ile…
Victor Hugo de trois quarts
Contrairement à Baudelaire ou à Balzac qu’il n’a pas connus, Rodin désira rencontrer Hugo dont il fit…
Robespierre
Devenu célèbre dès les débuts de la Révolution pour son caractère intransigeant autant que pour la puissance et la méticulosité de ses discours,…
Debussy et le renouveau musical
Nombreux sont ceux pour qui Achille-Claude Debussy (1862-1918) est le plus grand compositeur du XXe siècle. D’origine très modeste, il…
Jean-Jacques Rousseau
Fin mai 1778, à l’invitation du marquis de Girardin, Rousseau et son épouse Thérèse quittent leur modeste…
Le Prince Napoléon (1822-1891)
Le prince Napoléon, surnommé « Plon-Plon » par son entourage, était le fils de Jérôme, roi de Westphalie, et de sa seconde épouse, la princesse…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel