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Paysans, travailleurs, étudiants solidaires

Paysans, travailleurs, étudiants solidaires

La chienlit c'est lui !

La chienlit c'est lui !

Paysans, travailleurs, étudiants solidaires

Paysans, travailleurs, étudiants solidaires

Date de création : 1968

Date représentée : 1968

H. : 64,5 cm

L. : 44,7 cm

sérigraphie par pochoir ; affiche de l'atelier populaire de l'école nationale des beaux-arts

Domaine : Affiches

© Beaux-Arts de Paris, dist. RMN - Grand Palais / image Beaux-Arts de Paris

Lien vers l'image

16-513384 / Est 10667

Mai 1968 : l’antigaullisme

Date de publication : mai 2018

Auteur : Alexandre SUMPF

Les affiches de Mai 68 et l’École nationale des beaux-arts de Paris

Avec les graffitis « sauvages » inscrits sur les murs et les banderoles que l’on retrouve dans les cortèges des manifestations ou sur les façades des bâtiments occupés, les affiches constituent l’un des moyens d’expression privilégiés de ceux qui participent aux événements de mai-juin 1968. Leur iconographie caractéristique et les slogans choc qu’elles mettent en avant ont un grand impact et elles apparaissent immédiatement comme l’une des signatures du vaste mouvement de contestation qui traverse alors la société française. Elles comptent ainsi parmi les symboles emblématiques de Mai 68 et figurent en bonne place dans son panthéon « mythologique », à l’instar des pavés, des sites en grève ou du visage de Daniel Cohn-Bendit.

À Paris, nombre de ces affiches sont réalisées à l’École nationale des beaux-arts, occupée depuis le 14 mai. Artistes, graphistes, étudiants et ex-étudiants travaillent ainsi jour et nuit pour les concevoir et les imprimer, les tirages variant selon les cas. À l’image de Paysans, travailleurs, étudiants solidaires et La chienlit c’est lui ! que nous étudions ici, elles sont ensuite collées clandestinement sur les murs de Paris et de certaines grandes villes.

Dans un contexte où les médias dits traditionnels sont sous le contrôle permanent du gouvernement, notamment via l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française), il s’agit de contourner la censure et de s’exprimer librement pour faire entendre la voix des insurgés. Ces représentations apportent donc un témoignage éclairant sur les pratiques, les messages et les idées de ceux qui ont fait Mai 68.

Contre de Gaulle

Comme la plupart des affiches de Mai, Paysans, travailleurs, étudiants solidaires et La chienlit c’est lui ! sont produites selon la méthode de la sérigraphie par pochoir. À l’inverse de la lithographie alors très majoritairement utilisée, cette technique permet de les diffuser en assez grande quantité, dans des délais très courts et à moindre coût. De manière assez habituelle là aussi, Paysans, travailleurs, étudiants solidaires et La chienlit c’est lui ! ont un format à peu près comparable (64,5 × 44,7 cm et 77,8 × 58,4 cm) et ne sont pas signées, émanant d’un collectif parfois appelé l’Atelier populaire des Beaux-Arts.

Utilisant un carré de fond rouge sur lequel se détachent des formes dessinées en blanc, Paysans, travailleurs, étudiants solidaires représente le général de Gaulle, reconnaissable à son nez, son képi, son menton et sa longue silhouette. Le président de la République est ici étranglé par trois bras puissants aux poings serrés sur son cou. Par une inscription, chaque bras renvoie à l’une des trois catégories de la population (« paysans », « travailleurs », « étudiants ») censées s’attaquer à lui. En bas de l’image, le mot « solidaires » se détache nettement avec ses caractères plus grands, irréguliers, presque enfantins.

La chienlit c’est lui ! met aussi en scène de Gaulle, là encore résumé à son képi et à son grand nez. La caricature se fait ici plus grotesque, puisque le général lève les bras en signe de victoire (peut-être en référence aux images de sa gloire passée, ou au fait qu’il levait souvent les bras lors de ses discours) comme une marionnette ridicule ou un pantin désarticulé. Ici encore, le trait (les doigts) est volontairement biscornu. Tirée à 3 000 exemplaires en réponse à la phrase que ce dernier a prononcée lors du Conseil des ministres du 19 mai (« La réforme oui, la chienlit, non »), l’affiche, qui rencontre un grand succès, reprend ironiquement le terme vieillot de chienlit (qui signifie pagaille) pour le retourner contre son auteur. Cette veine comique est contrebalancée par l’utilisation du noir sur fond blanc, qui pare d’une aura plus lugubre, inquiétante cet adversaire pourtant risible.

Droit de réponse

Paysans, travailleurs, étudiants solidaires et La chienlit c’est lui ! s’attaquent donc directement à de Gaulle. Dépositaire de l’autorité suprême ; accusé d’être un « dictateur » du fait des conditions de sa prise de pouvoir en 1958 et de sa manière de gouverner ; renvoyé à son militarisme ; dénoncé pour son positionnement politique à la fois conservateur et capitaliste, il est l’une des cibles favorites des étudiants en mai 1968. Presque toujours représenté de la même façon sur les affiches, il n’est le plus souvent qu’une simple ombre plus ou moins menaçante, un profil, un contour avec un nez et un képi.

Cette simplification du trait correspond au style Mai 68, direct, efficace et aisément compréhensible par tous. La touche infantile, irrévérencieuse, espiègle et potache est assumée, renvoie à un esprit de désacralisation mutine un peu anarchisante comme au côté joyeux, populaire et ludique de l’insurrection printanière. C’est aussi une manière de désincarner le président, de le réduire, notamment sur La chienlit c’est lui ! où de Gaulle n’est plus qu’une sorte de guignol qui gesticule. Cette affiche à la réplique volontairement puérile (« C’est pas moi, c’est toi ! ») illustre aussi la vivacité des acteurs de Mai, en l’occurrence la créativité bouillante de l’Atelier populaire des Beaux-Arts. C’est en effet à chaud que s’élaborent les messages avec des réactions spontanées et parfois insolentes avec le pouvoir.

Si elle joue sur les mêmes ressorts en rappelant, cette fois, la bande dessinée, Paysans, travailleurs, étudiants solidaires est plus politique. L’usage du rouge, les poings serrés ainsi qu’une forme de violence (l’étranglement) font référence à la révolution marxiste. L’appel à la convergence des luttes et l’exhortation à l’unité de ceux qui les portent passent ici par la désignation d’un ennemi commun contre lequel il faudrait faire front. Paysans, travailleurs, étudiants solidaires correspond à un moment capital de Mai 68, celui où un mouvement d’abord estudiantin (du 3 au 13 mai) devient social (syndical et ouvrier), impliquant les travailleurs dans d’immenses grèves (13-27 mai) qui touchent tout le pays.

ARTIÈRES Philippe, ZANCARINI-FOURNEL Michelle (dir.), 68 : une histoire collective (1962-1981), Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2008.

ATELIER POPULAIRE DE L’ÉCOLE NATIONALE DES BEAUX-ARTS, Atelier populaire présenté par lui-même : 87 affiches de mai-juin 1968, Paris, Usines, Universités, Union, coll. « Bibliothèque de Mai », 1968.

CAPDEVIELLE Jacques, REY Henry (dir.), Dictionnaire de Mai 68, Paris, Larousse, coll. « À présent », 2008.

GOBILLE Boris, Mai 68, Paris, La Découverte, coll. « Repères : histoire » (no 512), 2008.

SIRINELLI Jean-François, Mai 68 : l’événement Janus, Paris, Fayard, 2008.

ZANCARINI-FOURNEL Michelle, Le moment 68 : une histoire contestée, Paris, Le Seuil, coll. « L’univers historique », 2008.

Alexandre SUMPF, « Mai 1968 : l’antigaullisme », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/mai-1968-antigaullisme

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