Projet de chemin de fer souterrain de la Villette aux halles centrales
La Construction du métropolitain, 1900
Projet de chemin de fer souterrain de la Villette aux halles centrales
Auteur : BOURDELIN Émile
Lieu de conservation : musée national de la Voiture (Compiègne)
site web
Date de création : 1861
Lithographie
Domaine : Estampes-Gravures
© RMN - Grand Palais (domaine de Compiègne) / Daniel Arnaudet
96-008717
Le Métropolitain, un enjeu capital
Date de publication : Février 2020
Auteur : Alexandre SUMPF
La civilisation du chemin de fer
Entre 1861 et 1900, la représentation du métropolitain de Paris est passée de la gravure reproduisant les plans d’un futur incertain à la peinture à l’huile saisissant sur le vif les travaux enfin lancés. Ce qui ne semblait qu’un projet fou quand le graveur Émile Bourdelin a réalisé son dessin est devenu réalité lorsque le peintre Luigi Loir pose son chevalet rue de Rivoli.
Du premier, comme des visionnaires qui appelaient de leur vœux la réalisation d’un tel exploit technique, on ne sait pas grand-chose. Il aurait été un ami de Gustave Doré, est connu pour Paris à vol d’oiseau ; cette vue aérienne de la ville en train de changer de visage indique son intérêt pour les travaux lancés par le baron Haussmann. On retrouve aussi sa signature dans plusieurs publications techniques de l’époque : il semble fasciné par les innovations de la première révolution industrielle (machine à vapeur et chemin de fer) comme de la seconde (moteur électrique et à essence). Il n’est pas certain que Bourdelin ait ici dessiné un projet concret ; on peut penser qu’il a cherché à rendre visible une idée qui flottait dans l’air du temps.
En effet, depuis le premier train de voyageurs reliant Paris à Versailles en 1837, et avec les améliorations techniques en termes de fiabilité et de rapidité, certains édiles municipaux envisagent de faire circuler les marchandises sous la surface d’une capitale en rapide expansion. Les audaces londoniennes (ligne de ceinture en 1863) et, surtout, le modèle du métro aérien de New York (1867) donnent le ton : une cité moderne ne peut se passer d’un mode de transport aussi pratique.
Alors que les compagnies de chemin de fer cherchent à relier entre elles les gares de grandes lignes par une voie circulaire en surface, la municipalité entend utiliser ce réseau pour le développement d’une nouvelle mobilité souterraine, sans interconnexion avec les intérêts privés. La double perspective de l’Exposition universelle et des Jeux olympiques de 1900 précipite la décision. L’actuelle ligne 1, qui circule à partir du 19 juillet 1900 entre la porte Maillot et la porte de Vincennes, est construite en un temps record. Luigi Loir, paysagiste né en Autriche dans le cercle restreint de la famille royale française en exil, a tout de même le temps de fixer sur la toile le panorama de l’axe majeur parisien éventré.
Le ventre de Paris
Le dessin classique Projet de chemin de fer souterrain de la Villette aux halles centrales est mis au service d’une démonstration visuelle rigoureuse. La composition, découpée en deux dans le sens de la hauteur, montre deux visages de Paris. En haut, on se trouve placé dans la perspective de l’actuel boulevard de Strasbourg aboutissant à la gare de l’Est inaugurée en 1849, reconnaissable à la grande halle dessinée par l’architecte François-Alexandre Duquesney (1790-1849). Si l’église Saint-Laurent, sur la droite, témoigne du riche patrimoine de la cité, le large boulevard Magenta qui part sur la gauche, percé en 1852, affiche déjà le profil haussmannien de la « rue-mur ». Bourdelin peuple la surface de piétons et de véhicules hippomobiles, signe d’un passé appelé à s’effacer. Sous terre, il représente l’avenir : une véritable ligne de chemin de fer qui rappelle encore beaucoup le train et ne préfigure guère le métro. La locomotive à vapeur, le chef de gare et les quais sont des traits caractéristiques des gares parisiennes. En revanche, une réflexion technique s’ébauche avec les deux tunnels auxiliaires dont l’affectation n’est pas claire. Ce pas vers le regard expert n’est pas abouti puisque le sous-sol n’est pas traité graphiquement, comme si sa structure n’avait aucune incidence sur ce type d’aménagement.
Il faut dire que plusieurs sections des lignes de métropolitain construites au début du XXe siècle l’ont été à faible profondeur. C’est ce que montre parfaitement la toile de Loir, qui fait partie d’une série d’œuvres échelonnées entre 1899 et 1900. La Construction du métropolitain, 1900 adopte elle aussi une perspective nette, celle de l’ancienne voie royale reliant d’est en ouest les châteaux de Vincennes, de la place Royale (aujourd’hui place des Vosges), du Louvre et de Saint-Cloud. Le regard porté vers l’est de la capitale embrasse à la fois ce passé, signalé par la silhouette de la tour Saint-Jacques, et le cœur commerçant de la cité avec ses cafés éclairés, ses nombreux passants dont certains, curieux, contemplent eux aussi la tranchée couverte à l’angle de la rue Jeanne-d’Arc. L’artiste utilise une palette assez uniforme et multiplie les lignes verticales et horizontales : la géométrie répétée doit refléter la nouvelle unité stylistique de la capitale, dominée par la teinte blonde de la pierre de Saint-Maximin (Oise). Comme Bourdelin, Loir propose un discours entre la surface et le souterrain ; cependant, il montre ici des ouvriers au travail, et non des passagers. Utilisant en plein Paris les techniques les plus simples de l’exploitation minière (l’étayage par bois), les terrassiers projettent la ville dans le nouveau siècle. Leurs costumes identiques participent de l’atmosphère de tranquille évolution du centre de la capitale.
Avènement de la mobilité
Les transformations de Paris entre les années 1850 et le tournant du siècle, inspirées par l’exemple londonien, visent à aérer et assainir la capitale ; on veut aussi lui donner de la fluidité et transformer le paysage social. Au nom de ces objectifs, on ne recule devant rien. L’église Saint-Laurent perd sa façade du XVIIe siècle entre 1863 et 1867 et prend l’apparence néogothique actuelle ; elle a été réaménagée pour respecter l’alignement des façades, qui est la nouvelle marque de fabrique de la capitale.
En 1900, les Parisiens sont habitués à ces chantiers gigantesques : l’élargissement de la rue de Rivoli au détriment des quartiers populaires qui la bordent – admirablement décrits par Balzac dans La Cousine Bette – a même été conduit de nuit, transformant l’opération en un véritable spectacle. La photographie qui a émergé au même moment a permis de fixer sur pellicule le Paris qui disparaissait et celui qui naissait à la place. Il en a été de même en 1900 : les clichés de la scène à l’angle nord-est des Tuileries abondent. Les images décrivant les mutations de la capitale sont un genre à part entière, qui a les faveurs des amateurs autant que la représentation des principaux monuments.
Si la circulation automobile est encore embryonnaire – ce sera le grand défi des XXe et XXIe siècles –, la mobilité ferroviaire métropolitaine est devenue un enjeu de prestige international. Bourdelin projette une ligne entre les halles centrales et la Villette, c’est-à-dire entre les deux centres régulant l’approvisionnement des Parisiens : la construction des Halles a débuté en 1852, celle des abattoirs associés au marché aux bestiaux en 1859.
Quoique son dessin montre des passagers, on distingue aussi des wagons de marchandises, signe que le service à l’économie parisienne est encore d’actualité. En 1900, on ne vise que le trafic de voyageurs : il s’agit de permettre aux visiteurs de l’Exposition universelle et aux spectateurs des Jeux olympiques de se déplacer entre le bois de Vincennes, qui accueille ces derniers, et le Trocadéro, où se dressent les pavillons des nations et des provinces françaises. Le succès immédiat impose aux exploitants de la ligne d’offrir non plus trois mais huit wagons, et d’augmenter la cadence des départs. Compacité, régularité, rapidité, desserte locale font entrer ce nouveau mode de transport dans la culture quotidienne des Parisiens.
GUERRAND Roger-Henri, L’aventure du métropolitain, Paris, La Découverte, coll. « Poche : essais », 1999 (1re éd. 1986).
LARROQUE Dominique, MARGAIRAZ Michel, ZEMBRI Pierre, avec la coll. de CHAUVEAU Geneviève, NEIERTZ Nicolas, POLINO Marie-Noëlle, Paris et ses transports (XIXe-XXe siècles) : deux siècles de décisions pour la ville et sa région, Paris, Éditions Recherches, coll. « Focales », 2002.
WILLER Noë, Luigi Loir (1845-1916), peintre de la Belle Époque à la publicité : catalogue raisonné, Carmel, Classic Art Gallery / Paris, Noë Willer, 2004.
Édile : Maire et conseiller municipal, souvent d’une grande ville.
Néogothique : Mouvement artistique apparu à la fin du XVIIe siècle et qui court tout au long du XIXe siècle, inspiré par l’art du Moyen Âge, particulièrement par l’art gothique.
Alexandre SUMPF, « Le Métropolitain, un enjeu capital », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 14/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/metropolitain-enjeu-capital
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