Maria Malibran, dans le rôle de Desdémone.
Auteur : DECAISNE Henri
Lieu de conservation : musée Carnavalet – Histoire de Paris (Paris)
site web
Date de création : 1830
Date représentée : 1830
H. : 138 cm
L. : 105 cm
Huile sur toile. Maria Malibran, dans le rôle de Desdémone. à l'acte III d'Otello de Rossini.
Domaine : Peintures
© Photo RMN - Grand Palais - Bulloz
02-005944 / P.2010
Une des premières divas de l'opéra : Maria Malibran
Date de publication : Décembre 2005
Auteur : Catherine AUTHIER
La cantatrice Maria Malibran est sans doute l’une des plus célèbres chanteuses de l’histoire de l’opéra. D’origine espagnole, elle naît à Paris le 24 mars 1808 et mourra à Manchester le 23 septembre 1836. Issue d’une famille d’artistes éminents, fille du célèbre ténor Manuel García et sœur aînée de Pauline Viardot, elle tient son nom de son mariage avec le négociant français François-Eugène Malibran qu’elle épouse en 1827 à New York. Elle s’en sépare très vite pour devenir ensuite la femme du violoniste belge Charles de Bériot. À Paris, elle débute dans l’un des salons les plus prisés de la capitale, celui de la comtesse Merlin, lors d’un récital organisé en sa faveur, car elle est déjà perçue comme une merveille du chant potentielle. Sa rencontre avec le public français se fait à l’Opéra le 14 janvier 1828, mais c’est au Théâtre-Italien qu’elle décide de faire carrière, en multipliant les rôles, dont celui de Desdemona, dans l’Otello de Rossini. Elle devient rapidement l’idole du Théâtre-Italien, dans une période d’âge d’or du chant lyrique à Paris. Son physique agréable, sa taille gracieuse et ses forts beaux yeux ont contribué à marquer les esprits de l’époque. Elle avait une voix émouvante et puissante, mais dure et rebelle, et c’est à force de volonté et d’exercices exténuants qu’elle put conquérir les rôles les plus difficiles. Sa tessiture était exceptionnellement étendue : par nature un mezzo-soprano, élargi au soprano et au contralto, selon la caractérisation actuelle. Dans les pas du rossinisme, elle connut un succès immense dans toute l’Europe au cours d’une carrière fulgurante et suscita de nombreux témoignages d’idolâtrie, littéraires ou iconographiques. Elle fait partie de ces artistes qui eurent une résonance immense à Paris, dépassant de loin le simple statut d’interprète.
Le peintre Decaisne représente ici la cantatrice, au moment du coucher fatal de Desdemona dans l’acte III. Elle a l’air pensif, les yeux brillants de larmes, les cheveux défaits, comme perdue. Assise dans un grand fauteuil moiré, elle pose de trois quarts, une main appuyée sur une harpe, l’autre le long de son cou. Il émane de cette figure de femme, vêtue d’une robe plissée de mousseline blanche, une certaine sensualité. Seul le ciel menaçant, au fond du tableau, annonce le drame à venir. Ce portrait bourgeois, au style très sage, contraste avec les témoignages de l’époque.
En effet, Maria Malibran possédait d’extraordinaires dons dramatiques, une gestuelle d’une hardiesse inouïe et un chant presque « expressionniste » pour l’époque. C’est dans le rôle de Desdemona qu’elle obtint ses plus grands succès grâce à une interprétation spontanée et extravertie du personnage. La critique décrit une version inédite de l’héroïne, extrêmement émouvante dans ce rôle passionné de jeune femme désespérée. Sa fougue, sa passion, ses élans de génie remuèrent les cœurs et mirent les auditeurs du Théâtre-Italien en pleurs. Elle avait ainsi profondément marqué les esprits dans ce rôle où, selon Alfred de Musset, « elle s’abandonnait à tous les mouvements, à tous les gestes, à tous les moyens possibles de rendre sa pensée : elle riait, elle pleurait, se frappait le front, se décoiffait ; tout cela sans songer au parterre ; mais, du moins, elle était vraie. Ces pleurs, ces rires, ces cheveux déroulés, étaient à elle, et ce n’était pas pour imiter telle ou telle actrice qu’elle se jetait par terre dans Otello ».
Maria Malibran incarne l’essence de la diva romantique. C’est sous la Restauration puis la monarchie de Juillet, dans une atmosphère de spectacles fiévreuse et enthousiaste, que se situe la source de ce mythe qui, en l’espace de dix ans, se développera et connaîtra même un véritable apogée. Les Parisiens d’alors eurent en effet la chance d’en vivre les prémices, la naissance et déjà l’apothéose. Ce qui n’était que perfection auparavant allait devenir sublimation avec la nouvelle génération d’artistes que le Théâtre-Italien devait offrir aux Parisiens autour de 1830. C’est avec ces nouvelles cantatrices, et en particulier Maria Malibran, que s’affirmera le terme italien diva, composante du nouveau lexique importé de la mère patrie du bel canto, l’Italie. Le culte de la diva impose des critères de charisme et de beauté auxquels les artistes précédentes n’avaient pas eu à répondre. Le public parisien découvre à cette époque un nouveau genre de cantatrice, dotée d’un physique agréable, de ressources vocales exceptionnelles et d’un talent de tragédienne affirmé. On retrouve dans le personnage de Consuelo, du roman de George Sand (1854), une large part de l’imaginaire romantique de la diva.
Les circonstances dans lesquelles Maria Malibran mourut ont également nourri le mythe de cette cantatrice fascinante, premier modèle de l’artiste romantique qui s’est sacrifiée sur les planches. En 1836 – elle avait alors vingt-huit ans –, elle tomba de cheval, mais, occultant sa douleur, elle réussit à chanter le soir de sa terrible chute. Engagée au festival de Manchester, elle s’y rendit malgré ses souffrances et agonisa pendant neuf jours tout en continuant à se produire en concert avant d’expirer. Cette mort plongea le monde des mélomanes dans la consternation et inspira à Musset ses célèbres Stances à la Malibran.
Le modèle interprétatif de la Malibran, sur le plan théâtral comme vocal, a pleinement contribué à une vraie réforme de l’opéra. Elle substitua au néoclassicisme impérial des premiers chanteurs du XIXe siècle une esthétique neuve, adhérant au sentiment enflammé du temps. De par l’ampleur de son répertoire et l’impact qu’elle eut sur sa génération, on peut dire qu’elle fut l’une des premières divas de l’histoire de la musique.
Remo GIAZOTTO, Maria Malibran (1808-1836).Una vita nei nomi di Rossini et Bellini, Turin, 1986.Carmen de REPARAZ, Maria Malibran.La Diva romantique, Paris, Perrin, 1976.
Catherine AUTHIER, « Une des premières divas de l'opéra : Maria Malibran », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 11/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/premieres-divas-opera-maria-malibran
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