Portrait de Francis Ravachol devant la guillotine
Ravachol
Portrait de Francis Ravachol devant la guillotine
Auteur : MAURIN Charles
Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France (BnF, Paris)
site web
Date de création : 1894
Defet de presse pour le Père Peinard
Domaine : Presse
© BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF
QB-1 (1894) - 12-566977
Ravachol
Date de publication : Juin 2023
Auteur : Guillaume BOUREL
La « propagande par le fait » dans les années 1890
Dans les années 1880, l’anarchisme incarne l’opposition la plus radicale à la IIIe République. Combattant l’État et promouvant la libération de l’ouvrier, il trouve un écho grandissant alors que le régime se désintéresse de la question sociale. Si l’anarchisme prônait à l’origine l’émancipation par l’éducation des masses, il se tourne alors vers la « propagande par le fait » : par des attentats visant les institutions et la grande bourgeoisie, il s’agit de réveiller dans l’opinion populaire l’esprit de révolte.
François Ravachol, de son vrai nom Francis Claudius Kœnigstein, ouvrier né en 1859 à Saint-Chamond, est à l’origine d’une vague d’attentats qui secoue le début des années 1890. Il entend agir en justicier après le massacre de Fourmies du 1er mai 1891 où l’armée a tiré sur les ouvriers, mais aussi venger la condamnation de trois anarchistes qui avaient tiré sur des policiers à Clichy le même jour. En mars 1892, il pose deux bombes à Paris visant les magistrats qui avaient condamné les trois de Clichy, mais rate ses cibles. Arrêté le 30 mars 1892, Ravachol est condamné aux travaux forcés au terme d’un premier procès à Paris, puis à la peine de mort le 11 juillet 1892 lors d’un second procès à Montbrison.
Toute la presse couvre alors le terrorisme anarchiste. La gravure de Charles Maurin est militante. Elle paraît une première fois en 1893 dans Le Père peinard, journal anarchiste fondé par le syndicaliste Émile Pouget. Si la source exacte de cette reproduction légendée en anglais nous est inconnue, car il s’agit d’un défet (1), on observe que la gravure de Maurin a été largement reproduite dans la presse anarchiste britannique. La statue de Ravachol a été réalisée par le sculpteur animalier Emmanuel Frémiet, artiste reconnu dont les œuvres sont commandées par l’État ou la grande bourgeoisie parisienne. Ce plâtre a servi à la réalisation d’un bronze commandé par l’industriel Stéphane Dervillé et fait partie d’un décor animalier destiné à son hôtel particulier du parc Monceau à Paris en 1904.
Une figure emblématique de l’anarchisme
Charles Maurin inscrit le visage de Ravachol dans le cadre de la guillotine qui a servi à son exécution. L’artiste joue en fait des détournements. Dans un style symboliste, il compose l’arrière-plan à la façon d’un vitrail d’église, Ravachol devenant un saint martyr laïque. L’horizon saturé par les rayons du soleil évoque une rédemption. Le cadrage sur la poitrine et le visage correspond à celui des photographies anthropométriques de Ravachol prises lors de son arrestation. Ces photographies que la presse a largement diffusées sont ici détournées pour lui redonner toute sa dignité : les plis et les lignes des clavicules sont soulignés pour rappeler que Ravachol est d’abord un ouvrier, mais aussi pour lui conférer une dimension sacrificielle. Le port altier, les plis du front comme le regard franc soulignent la détermination de celui qui se serait écrié « Vive la révolution » sur l’échafaud.
La statue réalisée par Frémiet pousse à l’outrance les descriptions que la presse populaire de la Belle époque fait des anarchistes : des monstres hirsutes et débraillés. Le sculpteur emprunte aux figures fantastiques que sont le loup-garou et la gargouille pour faire de Ravachol un monstre sanguinaire mi-homme mi-bête. Le corps en torsion, la gueule ouverte, tous crocs dehors, les bras écartés tirant sur une corde, tout souligne une violence enragée. La statue appartient à un ensemble dont Stéphane Dervillé est le commanditaire et constitue le pendant d’un autre bronze représentant un singe dont le socle porte l’inscription ironique « Liberté/A bas Dervillé ». On comprend qu’Emmanuel Frémiet a voulu donner un sens satirique à ses statues.
Ravachol, bête démoniaque ou saint martyr
Les deux représentations sont postérieures à la période des principaux attentats anarchistes de 1892 jusqu’à l’assassinat du président Sadi Carnot en juin 1894 par Santo Caserio. La statue de Frémiet traduit l’effroi des élites face à l’anarchisme qui menace l’ordre établi. Elle traduit l’image véhiculée par la grande presse de l’époque qui décrit Ravachol tour à tour comme un criminel de droit commun, un monstre ou un fou. Jules Guesde, pourtant chef de file socialiste, disait de ces anarchistes qu’ils sont « en dehors de l’humanité », thème que reprend la figure monstrueuse sculptée par Frémiet. Jouant de cette inquiétude, la Chambre vote en 1893 et 1894 les lois que la gauche qualifiera de « scélérates », qui criminalisent toute apologie, même indirecte, des attentats et qui portent un coup très dur à la presse anarchiste.
Une minorité de personnalités intellectuelles minimisent pourtant la violence de Ravachol et sont choquées par la férocité de la répression. Les artistes néo-impressionnistes ou symbolistes, comme Paul Signac, Camille Pissarro ou Maximilien Luce, éprouvent une indulgence, voire une fascination vis-à-vis de Ravachol, car les thèses anarchistes sur la liberté de la création artistique et la lutte contre le carcan bourgeois font écho à leur non-conformisme artistique. Certains, comme Charles Maurin, adhèrent au mouvement et font de Ravachol un martyr de la pauvreté, dont le sacrifice ouvre une nouvelle ère pour la cause anarchiste, comme dans le poème que lui consacre l’écrivain Paul Adam. Cette gravure l’élève au niveau des figures héroïques des morts de la Commune de Paris, ces socialistes et révolutionnaires républicains tués lors des combats ou exécutés lors de la terrible répression de mai 1871. Elle participe au culte de Ravachol à l’échelle européenne via un réseau de presse transnational. La revue anarchiste anglaise The Torch, Le Père Peinard dont Pouget poursuit la publication à Londres après 1894 ou Les Temps Nouveaux à Paris échangent leurs images comme cette représentation de Ravachol.
Dès 1894 pourtant, les anarchistes français abandonnent la stratégie terroriste sous le coup de la répression, mais aussi parce qu’elle heurte l’opinion et que le mouvement se tourne davantage vers l’action syndicale. Dès lors, le culte de Ravachol sert surtout à fédérer un mouvement anarchiste éclaté, qui se divise et évolue.
Maitron Jean, Ravachol et les anarchistes, Gallimard, coll. « Folio-Histoire », 1992
Bouhey Vivian, Les anarchistes contre la République : contribution à l'histoire des réseaux (1880-1914), Rennes, PUR, 2008
John Merriman, The Dynamite Club: How a Bombing in the Fin-De-Siecle Paris Ignited The Age of Modern Terror, Boston, 2009 Garrigues Jean, Les anars contre la république, dans L’Histoire, n° 191, septembre 1995
Oudin Bernard, L’anar et le canard, dans Les cahiers de médiologie, n°13, 2002
1- Défet de presse : feuille d’un ouvrage ou d’un journal qui imprimée en surnombre et qui ne peut servir à former un exemplaire complet. Elle est parfois conservée pour compléter ultérieurement un exemplaire.
Symbolisme : Mouvement littéraire et artistique de la fin du XIXe siècle dont les adeptes préféraient l’évocation du monde de l’esprit à la description de la réalité.
Guillaume BOUREL, « Ravachol », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 03/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/ravachol
Notice et étude de l'oeuvre sur le site web du musée d'Orsay
Lien à été copié
Albums liés
Découvrez nos études
Kupka et l’Assiette au beurre : L’Argent
Après la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, les interdictions qui frappent les journalistes, dessinateurs…
Kupka et L’Assiette au beurre : La Paix
Peintre et illustrateur tchèque émigré à Paris en 1896, Frantisek Kupka (1871-1957) collabore avec L’Assiette au beurre…
Les Attentats politiques au XIXe siècle
Sous l’Ancien Régime, les attentats dirigés contre les personnalités politiques existaient déjà, ainsi…
La « bataille » de Nogent, 14 mai 1912
A la fin du mois d’avril 1912, Jules Bonnot est définitivement mis hors d’état de nuire à Choisy-le-Roi. A ce stade, la…
Kupka et L’Assiette au beurre : Religions
Lancée en 1901, L’Assiette au beurre acquiert rapidement une certaine renommée qui dépasse largement les seuls…
Visions du bonheur
Période sombre pour la France, le dernier tiers du XIXe siècle se caractérise par une double fracture, économique…
Les « bandits en automobile »
La France de la Belle Epoque est un pays qui voit s’amplifier l’urbanisation, drainant avec elle les signes de…
La « propagande par le fait » s'attaque au sommet de l'Etat
Le régime républicain s’est pleinement installé en France entre les années 1875 et 1880. Pourtant, une…
Les Meurtrissures de la Grande Guerre
Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923) est âgé de cinquante-cinq ans quand la Première Guerre…
Ravachol
Dans les années 1880, l’anarchisme incarne l’opposition la plus radicale à la IIIe…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel