Saint-Exupéry en observation devant une fourmillière
Le dernier vol de Saint-Exupéry
Saint-Exupéry en observation devant une fourmillière
Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France (BnF, Paris)
site web
Date de création : Juillet 1944
Date représentée : Juillet 1944
Une du journal Regards du 2 août 1946.
Reportage photographique en Sardaigne en juillet 1944.
Domaine : Presse
Bibliothèque Nationale de France - Domaine public © Gallica
Saint-Exupéry, Icare moderne
Date de publication : Juillet 2023
Auteur : Alexandre SUMPF
Porté disparu
Deux ans presque jour pour jour après la disparition en vol d’Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944), la revue communiste Regards publie un reportage de Michel Roche-Varger sur le dernier engagement de l’écrivain-pilote. Aviateur militaire en 1921-1923, puis en 1939-1940, il a absolument tenu à reprendre du service pour la France Libre en 1944, malgré la limite d’âge et surtout les blessures reçues lors de plusieurs graves accidents d’avion.
L’hebdomadaire créé en 1932 à Berlin et repris en septembre 1933 à Paris par Léon Moussinac a cessé de paraître entre septembre 1939 et la Libération. En plein milieu de l’été 1946, Regards consacre sa Une et trois pages internes à une figure appréciée des Français – un fait assez rare pour cette revue de photojournalisme qui fait plutôt la part belle aux jeunes filles et aux sans-grades. Il s’agit de célébrer l’un de ces hommes illustres qui a sacrifié sa vie pour la liberté, mais aussi de jouer de l’intérêt du public pour la mort mystérieuse de l’auteur du Petit Prince, sorti en France de manière posthume en avril 1945.
Ressuscité
Le fait d’avoir retrouvé et de pouvoir utiliser une série de photographies prises au sein du célèbre groupe de reconnaissance aérienne 2/33 sur leur base en Sardaigne libérée, dans les jours et les heures précédant le dernier vol de Saint-Exupéry, a sans doute joué dans la décision de la rédaction de Regards. Comme toutes les semaines, la couverture se compose d’une photo centrée sur un personnage et commentée d’un sous-titre en bandeau inférieur : « Les derniers jours d’un pilote de guerre ». Plus rare, le maquettiste a inséré en lettres noires une précision qui ne manquera pas d’appâter les lecteurs : « une grande exclusivité de Regards ». La légende, elle, déçoit un peu : en lettres blanches, dans un petit encadré sur fond noir, elle précise que l’aviateur observe une fourmilière ! Les amateurs de romantisme en ont été pour leurs frais, induits en erreur par la position couchée sur l’herbe, les graminées pincées par la main droite, le clair-obscur obtenu grâce au soleil d’été d’Alghero.
À l’intérieur, en page 5, l’article s’ouvre par une demi-page de texte surmontée par un cliché occupant toute la moitié supérieure, où l’on devine l’aviateur aux commandes de son avion. La légende assure, invérifiable, qu’il s’apprête alors à prendre son dernier envol. Les pages 6-7 tirent pleinement profit des six clichés pris en Sardaigne et d’un autre le saisissant au moment de quitter l’Algérie pour l’île où le groupe 2/33 a installé sa base. Deux photos de groupe, où l'on distingue à peine Saint-Exupéry, s’évertuent à transmettre l’ambiance de camaraderie qui règne. Sur les quatre autres, l’aviateur est seul ou presque : il étudie avec sérieux une carte, il s’équipe avec l’aide du commandant du groupe, comme au bon vieux temps de la campagne de France, il contrôle le cockpit de son appareil et il écrit sur son lit de camp. Si le récit principal se focalise sur l’obstination fatale du vétéran de 44 ans, les légendes des photographies établissent un récit parallèle. Celui d’un homme qui respecte toutes les précautions, d’un professionnel des airs qui ne veut à aucun prix se distinguer, juste servir.
Une légende vivante
Saint-Exupéry fait partie d’une longue série d’aviateurs célèbres disparus en vol, à commencer par les pionniers de la traversée de l’Atlantique, Nungesser et Coli (1927), ses anciens camarades de l’Aéropostale Jean Mermoz (1936) et Émile Barrière (1936), l’Américaine Amelia Earheart (Lady Lindy, 1937) et le Soviétique Sigismund Levanevski (1937), explorateurs, ou encore la pilote militaire soviétique Marina Raskova (1943). Les accidents font partie de l’aventure aérienne – ils tournent parfois au tragique, mais fondent aussi le mythe, comme le 29 décembre 1935 en plein Sahara où Saint-Exupéry et son mécanicien manquent mourir de soif après cinq jours de marche à l’aveugle. Déclaré mort pour la France en 1948, il est aussi l’un de ces intellectuels (Romain Gary) ou artistes (Jean Gabin) qui ont refusé la défaite et qui, loin de collaborer, lassés de faire de la propagande dans un bureau, ont cherché à s’engager sur le terrain. Reste que la revue Regards trompe son lectorat. Les clichés ont été pris en Sardaigne, alors que le groupe 2/33 a quitté Alghero pour Borgo, près de Bastia, le 17 juillet. Exclusivité ou pas, le reportage n’a rien de spontané, Saint-Exupéry pose de toute évidence, conscient du poids de son image.
François Gerber, Saint-Exupéry, écrivain en guerre, Paris, Jacob Duvernet, 2012.
Jean-Christophe Piffaut, Antoine de Saint-Exupéry combattant. Un engagement singulier pour la liberté : 1939-1944, Université Jean Moulin, Lyon, 2014.
Karine Taveaux-Grandpierre, Joëlle Beurier (dir.), Le Photojournalisme des années 1930 à nos jours. Structures, cultures et public, Presses universitaires de Rennes, 2014.
Alexandre SUMPF, « Saint-Exupéry, Icare moderne », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 14/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/saint-exupery-icare-moderne
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