"La question de la Sarre - Le jugement de Salomon"
Auteur : GARVENS Oskar
Lieu de conservation : Kunstbibliothek (Berlin)
site web
Date de création : 1934
Date représentée : 4 mars 1934
Impression en couleurs.
Édition du journal satirique de Berlin "Kladderadatsch"
Domaine : Presse
© BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BPK
05-518845
La Sarre entre la France et l’Allemagne
Date de publication : Avril 2022
Auteur : Guillaume BOUREL
La question de la Sarre après la Première Guerre mondiale
A l’issue de la Première Guerre mondiale, Clémenceau revendique le rattachement de la Sarre qui avait été française de 1680 à 1815. L’opposition de Wilson aboutit dans le traité de Versailles de 1919 à une solution alternative. Il place la Sarre sous contrôle de la Société des Nations (S.D.N.) tout en confiant l’exploitation de ses mines à la France au titre des réparations de guerre. L’administration de la Sarre est confiée à une commission mandataire de la Société des Nations, pour quinze ans ; au terme de ce délai, un referendum doit appeler les Sarrois à choisir entre rattachement à l’Allemagne, rattachement à la France ou maintien du statu quo. Avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler en janvier 1933, la question de la Sarre devient un enjeu de premier ordre pour le Fürher, dont l’objectif est la révision du traité de Versailles. Quand commence en 1934 la campagne pour le referendum, le parti nazi déploie une intense propagande, d’autant que le front politique en Sarre en faveur d’un rattachement à l’Allemagne a quelque peu été fissuré par la victoire des nazis en Allemagne.
Le journal satirique allemand Kladderadatsch, fondé en 1848 a été racheté en 1923 par l’industriel Hugo Stinnes. Il adopte dès lors une ligne politique ultra nationaliste et antisémite. Le sculpteur et dessinateur Oskar Garvens (1874-1951) y collabore régulièrement par des caricatures où il reprend souvent les positions du parti nazi. Dans cette caricature de 1934, il relaie finalement la propagande du régime.
Une racialisation de l’enjeu
La caricature de Garvens utilise le thème du jugement de Salomon à la fois pour stigmatiser la S.D.N. et les prétentions de la France mais aussi pour racialiser la question sarroise. Comme le roi biblique d’Israël, la S.D.N.et le soldat au centre de l’image impose un choix terrible aux deux patries française et allemande en menaçant de couper en deux l’enfant, allégorie de la Sarre sacrifiée. A gauche, la S.D.N. (« Völkerbund ») est représentée par un vieillard que les lunettes noires désignent comme aveugle, aux traits disgracieux et qui semble avoir du mal à trancher la question. Au centre, un tirailleur sénégalais reconnaissable à l’uniforme français brandit un sabre disproportionné ; le caricaturiste reprend les stéréotype racistes de l’Africain « sauvage », grimaçant, au nez épaté et aux lèvres épaisses. Le dessin est centré sur la scène dramatique qui se joue entre la mère patrie allemande et le soldat aux traits simiesques (1) sur le point de sacrifier la Sarre. La femme à genoux incarne par la simplicité de ses vêtements traditionnels les vertus germaniques, par opposition à une Marianne à droite arrogante, mondaine, à la coupe garçonne et au teint blafard. Le caricaturiste oppose une Allemagne « saine » et une France décadente associée aux vices de la vie moderne et urbaine.
Le thème de la « honte noire »
Le thème du jugement de Salomon prend un double sens. Dans le récit biblique l’une des deux mères supplie le roi de laisser la vie sauve à l’enfant, prête à y renoncer pour cela ; Salomon reconnaît ainsi la vraie mère et lui rend l’enfant. Ici l’Allemagne est la vraie mère et non la France indifférente au sort de la Sarre. Le parallèle entre la S.D.N. et le roi d’Israël Salomon alimente en outre la propagande antisémite hitlérienne. Garvens reprend enfin le thème de la « honte noire » (Schwarze Schmach) que la propagande allemande utilisait en 1914-18 pour dénoncer le recours par la France aux tirailleurs sénégalais, présentés comme des barbares. C’est surtout lors de l’occupation de la Ruhr par la France en 1923 que la presse allemande développe le thème du noir sauvage que la rumeur accuse du viol de jeunes Allemandes ou de mutilations. Même si les tirailleurs ne représentent en fait que 3% des troupes françaises en Rhénanie, le discours a fait mouche car il jouait sur l’humiliation de l’Allemagne par la France. Cette image est familière pour le lecteur allemand ou sarrois mais elle s’inscrit en 1934 dans le discours nazi sur la pureté de la race aryenne.
Le résultat du référendum du 13 janvier 1935 est sans appel : 90,7% en faveur du rattachement à l’Allemagne. Ce succès pour Hitler tient à plusieurs raisons : l’attachement à l’Allemagne d’une majorité de la population, le chômage important dans cette région minière touchée de plein fouet par la crise des années 1930 et l’attitude des Français qui ne cherchèrent guère à s’intégrer. Mais les intimidations, le déferlement de propagande et la virulence de la presse jouèrent également un rôle déterminant.
Jean-Paul Cahn « Nix wie hemm ! La préparation du référendum du 13 janvier 1933 en Sarre dans Gilbert Krebs et Gérard Schneilin (dir.)
État et société en Allemagne sous le IIIe Reich, Presses Sorbonne Nouvelle, 2018
Jean-Yves Le Naour, La honte noire : l’Allemagne et les troupes coloniales françaises, Fayard, 2004
1 - Simiesque : de singe
Guillaume BOUREL, « La Sarre entre la France et l’Allemagne », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 03/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/sarre-entre-france-allemagne
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