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La maladie d'Antiochus ou Antiochus et Stratonice

La maladie d'Antiochus ou Antiochus et Stratonice

Phryné devant l'aréopage

Phryné devant l'aréopage

Femmes [grecques] à la fontaine

Femmes [grecques] à la fontaine

La maladie d'Antiochus ou Antiochus et Stratonice

La maladie d'Antiochus ou Antiochus et Stratonice

Date de création : 1840

H. : 57 cm

L. : 98 cm

Huile sur toile.

Domaine : Peintures

© RMN - Grand Palais (domaine de Chantilly) / Harry Bréjat

Lien vers l'image

PE 432 - 00-000133

Archéologie et imaginaire néogrec au milieu du XIXe siècle : Ingres, Papéty et Gérôme

Date de publication : Janvier 2019

Auteur : Christophe CORBIER

Tradition néoclassique et mouvement néogrec

Si elle continue de nourrir la peinture d’histoire comme la peinture de genre, la référence à l’Antiquité grecque évolue au cours des années 1840 grâce à de jeunes peintres groupés sous le nom de « néogrecs », qui mêlent peinture d’histoire et peinture de genre en assouplissant les barrières académiques. Ces peintres s’inscrivent dans la continuité de Jean-Dominique Ingres (1785-1867), qui perpétue à l’Académie des beaux-arts une tradition néoclassique héritée de David et de son école. Chez eux, la référence à la Grèce antique oscille entre le scabreux et le sérieux, entre la rigueur de la composition et la fantaisie archéologique, alors que les fouilles se multiplient en Italie et en Grèce. La Maladie d’Antiochus (1840) d’Ingres, hautement admirée dans les années 1840, a précédé de quelques années les premières œuvres de Jean-Léon Gérôme (1824-1904), représentant majeur du courant néogrec, qui recueille et détourne l’héritage de l’ingrisme dans Phrynè devant l’Aréopage (1861). Le peintre marseillais Dominique Papéty (1815-1849), prix de Rome en 1836, est, de même, marqué par Ingres, qu’il rencontre lors de son séjour à la Villa Médicis à Rome (1836-1841), avant de se rendre en Grèce à deux reprises en 1845 et en 1847 : Femmes grecques à la fontaine (1849), dont il existe deux versions, gardent le souvenir de son séjour et de ses recherches archéologiques.

La représentation de la Grèce, entre peinture d’histoire et scène de genre

La Maladie d’Antiochus d’Ingres représente un épisode de l’histoire antique qui s’est déroulé au début du IIIe siècle avant notre ère : la passion incestueuse d’Antiochus, fils du roi Séleucos, pour sa belle-mère Stratonice, est découverte par le médecin Erasistrate alors que le jeune homme est alité. David en avait déjà fait le sujet d’un tableau en 1774, tandis que le compositeur Méhul avait composé un opéra sur ce sujet hautement dramatique, Stratonice (1792), qu’Ingres appréciait particulièrement. Imaginant une Syrie hellénisée, Ingres reconstitue avec fantaisie une Antiquité orientale bariolée, ce qui se traduit picturalement par les couleurs vives des vêtements, par la richesse ornementale du décor et par l’abondance des objets familiers imités de modèles gréco-romains. Conformément aux principes de l’école néoclassique, Ingres choisit le moment le plus pathétique de l’histoire, qu’il met en scène en en renforçant l’intensité par le contraste entre l’ombre et la lumière ainsi que par les gestes des personnages. Antiochus se tord de douleur, en proie aux affres de la passion interdite ; Séleucos est effondré, son corps s’affaisse, le visage est enfoui dans les draps du lit de son fils ; Erasistrate a compris l’origine de la maladie du prince et exprime son effroi dans un geste dramatique. Se détournant de cette scène pathétique, Stratonice, dans une pose rappelant les statues d’Aphrodite pudique de l’époque hellénistique, s’offre comme objet du désir tout en se dérobant à la violence des sentiments, dans une attitude empreinte de duplicité dont la représentation du sphinx sur une mosaïque au sol est le symbole.

Gérôme a retenu la leçon d’Ingres lorsqu’il peint en 1861 Phrynè devant l’Aréopage. Courtisane célèbre pour sa beauté, Phrynè était la maîtresse de l’orateur Hypéride qui, pour convaincre les juges de l’innocence de la jeune femme accusée d’impiété, en dévoila brusquement le corps. Gérôme utilise des effets faciles pour renforcer la théâtralité de cette scène :  en plus des contrastes entre couleurs chaudes et froides, un éclairage violent est jeté sur la jeune femme, debout sur une estrade de pierre. La sensualité de ce corps, alors que le visage reste caché dans un geste pouvant exprimer la honte, évoque la Vénus anadyomène d’Ingres. La blancheur érotique de Phrynè s’oppose aux corps masculins halés, assis dans la pénombre et revêtus d’une tunique rouge, symbole du désir, tandis que les visages lubriques et caricaturaux des juges expriment les sentiments et les passions les plus diverses. Adepte de la reconstitution archéologique, Gérôme place la scène dans un décor reproduisant un tombeau étrusque de Tarquinia découvert au XVIIIe siècle, et il ajoute des objets antiques traités avec réalisme, comme la statue archaïsante de l’Athéna promachos sur le petit autel au centre de l’assemblée et le trépied en bronze, inspiré par un modèle pompéien. Mais cette reconstitution est aussi le produit d’un imaginaire grec qui ne respecte pas l’histoire, puisque l’Aréopage siégeait à Athènes en plein air sur une colline près de l’Acropole.

Femmes grecques à la fontaine de Papéty est l’évocation d’une Grèce familière caractéristique du style néogrec. L’inspiration archéologique de cette scène antique en plein air se traduit sur le plan pictural par la lumière franche qui éclaire la blancheur des vêtements et de l’architecture, par la perspective qui s’ouvre vers une mer d’azur et laisse apparaître des bâtiments massifs rappelant l’Acropole, par l’encadrement architectural de style dorien, par l’inscription en lettres grecques sur l’architrave. La simplicité de la palette (ocres, rouges, blancs) peut rappeler la céramique. Les vases que portent les jeunes femmes sont copiés sur les modèles antiques de l’hydrie, destinée à recueillir l’eau, et de l’oenochoé, pour le vin. Les péplos blancs dont elles sont revêtues, aux plis larges et lourds, donnent un aspect archaïsant à leurs poses : Papéty avait visité l’Acropole en 1845 et il s’inspire des caryatides de l’Erechteion pour représenter la femme au centre du tableau. Un autre trait caractéristique du style néogrec est la réunion de l’observation ethnographique réaliste et du modèle antique idéalisé : les Grecques peintes par Papéty évoquent autant la statuaire classique par leur silhouette, leur profil aquilin, les proportions de leurs membres et la frontalité de la figure féminine centrale, que les femmes de la Grèce contemporaine avec leur peau halée et leurs cheveux noirs.

Une vision néopaïenne porteuse d’avenir

Dans les années 1840, la multiplication des voyages en Grèce, la création de l’École française d’Athènes en 1846, qui accueille archéologues, artistes et historiens, la vogue des mises en scène archéologiques au théâtre, le développement de l’école « néopaïenne » en littérature, que Baudelaire évoque en 1848, attestent un renouveau de l’Antiquité grecque qui touche aussi la peinture. Figure de proue de la peinture académique, Ingres a favorisé ce goût pour l’Antiquité grecque tout en restant attaché à la tradition de David par la rigueur de la composition. Se tenant à distance d’Ingres tout en lui étant redevable, le mouvement néogrec privilégie la scène pittoresque, une Grèce de l’Anthologie palatine et de l’idylle, loin des scènes mythologiques et historiques traitées par les peintres néoclassiques. Papéty, entre autres, contribue à cette nouvelle vision d’une Grèce simple, quotidienne et vivante. Le hiératisme de la scène et le refus de toute théâtralité des Femmes grecques à la fontaine rompent avec les conventions de la peinture de genre et de la peinture d’histoire. Ce n’est pas le cas de Gérôme, dont la peinture « à grand spectacle » privilégie la vérité archéologique et le détail pittoresque mais aussi les interprétations fantaisistes des textes et des images. Le succès de sa Phrynè, reproduite à maintes reprises dans les décennies suivantes, n’interdira par les critiques des tenants de la peinture moderne, qui rejetteront une esthétique néogrecque assimilée finalement à l’académisme.

POMARÈDE Vincent, GUÉGAN Stéphane, PRAT Louis-Antoine, BERTIN Éric (dir.), Ingres (1780-1867), Paris, Gallimard / musée du Louvre, 2006.

PELTRE Christine, Le voyage de Grèce : un atelier en Méditerranée, Paris, Citadelles et Mazenod, 2011.

DES CARS Laurence, FONT-REAULX Dominique de, PAPET Édouard (dir.), Jean-Léon Gérôme (1824-1904) : l’histoire en spectacle, Paris, musée d’Orsay, 2010.

Christophe CORBIER, « Archéologie et imaginaire néogrec au milieu du XIXe siècle : Ingres, Papéty et Gérôme », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 29/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/archeologie-imaginaire-neogrec-milieu-xixe-siecle-ingres-papety-gerome

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