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Tanagra tenant dans sa main La Danseuse au cerceau

Tanagra tenant dans sa main La Danseuse au cerceau

Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web

Date de création : 1890

H. : 154,7 cm

L. : 10,5 cm

Marbre polychrome.

Profondeur : 6,0 cm.

Danseuse au cerceau : H. 23,3 cm

Domaine : Sculptures

RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / René-Gabriel Ojeda

Lien vers l'image

RF 2514 ; LUX 52 - 94-058958

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"Tanagra" par Jean-Léon Gérôme

Date de publication : Février 2022

Auteur : Lucie NICCOLI

Une œuvre inspirée par la mode des « Tanagra »

A la fin des années 1860, les habitants de plusieurs villages de Béotie proches de l’antique cité grecque de Tanagra mirent au jour des tombes antiques dans leurs champs et y découvrirent des centaines de statuettes funéraires en terre cuite peinte. Ces figurines appelées « Tanagras » représentent souvent de gracieuses femmes étroitement drapées dans un himation (1) Datées entre 625 et 200 avant J.-C., elles avaient été produites à Athènes puis exportées et imitées en Béotie et dans l’ensemble du monde grec ; seule la production hellénistique (330-200 av. J.-C.) fut exhumée au XIXe siècle. Rapidement présentes sur le marché de l’art athénien, elles suscitèrent un véritable engouement en Europe à partir de l’Exposition universelle de 1878 à Paris. En 1872, le Louvre fut le premier musée européen à en acquérir une collection.

Au Salon de 1890, Jean-Léon Gérôme, peintre d’histoire au talent reconnu et chef de file des néo-grecs, devenu également sculpteur sur le tard, exposa Tanagra, tenant dans la main La Danseuse au cerceau, une ronde-bosse en marbre partiellement peint, alors que les fameuses statuettes de Tanagra étaient plus appréciées que jamais. L’État acheta la statue 10 000 F, une coquette somme que Gérôme accepta à la condition qu’elle ne lui soit pas versée au détriment d’autres sculpteurs moins réputés, car il vivait déjà largement de son art. L’œuvre rencontra un grand succès populaire, mais la critique fut partagée, une partie considérant Gérôme comme un « précurseur » pour son animation colorée du marbre, l’autre trouvant de mauvais goût cette imitation trop illusionniste de la chair.

Un hommage à la civilisation grecque antique

La sculpture représente l’esprit – ou Tyché – de la cité antique de Tanagra sous la forme allégorique d’une femme nue, grandeur nature, assise au sommet d’un édifice funéraire pas encore totalement dégagé par les fouilles. Contre l’édifice repose une grande pioche et, aux pieds de la statue, sur le socle, des statuettes affleurent (détail 2). Le buste très droit, les genoux serrés et les pieds joints, Tanagra semble veiller jalousement sur ce patrimoine qu’elle enserre de son corps.

Sa nudité et sa coiffure – les cheveux ondoyants partagés par une raie médiane et réunis en chignon – évoquent la fin de la période grecque classique, mais le modelé réaliste de ses formes, dénué d’idéalisation, le traitement de sa coiffure et les traits de son visage, qui pourraient être ceux du modèle favori de Gérôme, Emma Dupont, sont très contemporains. On peut même percevoir dans le hiératisme (2) de sa posture et son expression figée, empreinte de mystère, l’influence du symbolisme, mouvement qui était à son apogée dans les années 1890.

La jeune femme tient dans la paume de sa main gauche ouverte La Danseuse au cerceau (aujourd’hui incomplète) (détail 1), une statuette en marbre à la manière des figurines en terre cuite de l’antique cité, sans doute inspirée d’un faux célèbre au XIXe siècle, appartenant à la collection Camille Lecuyer.

La sculpture avait la particularité d’être en marbre polychrome : les chairs, cheveux, yeux, sourcils et lèvres de « Tanagra » avaient été subtilement peints à l’encaustique, une technique antique consistant à mélanger des pigments à de la cire d’abeilles fondue. Cette coloration a été presque entièrement effacée par un nettoyage trop abrasif dans les années 1950, tandis que celle de la Danseuse au cerceau est assez bien conservée.

Gérôme, fervent défenseur de la polychromie « artificielle »

Gérôme tenait absolument à ce que sa sculpture soit polychrome : il mit un soin particulier à choisir un marbre qui prenne bien le pigment. A ce titre, Tanagra constitue une première expérimentation dans sa carrière de sculpteur, qu’il renouvela dans plusieurs autres œuvres, en particulier un buste de Sarah Bernhardt en marbre teinté (vers 1895) et une représentation féminine de la Tyché de Corinthe, dont seul fut achevé le plâtre polychrome avec éléments de cire colorée (1904).

La polychromie de ces œuvres est dite « artificielle » : il s’agit de la mise en peinture de matériaux – marbre, plâtre, ivoire, cire ou bois – auxquels peuvent s'adjoindre des ornements précieux, par opposition à la polychromie « naturelle », assemblage de marbres de couleurs différentes et parfois de bronzes patinés.

Depuis la fin du XVIIIe siècle, sous l’influence, notamment, des écrits de Winckelmann (3), et jusqu’aux années 1880, ces deux types de polychromies étaient considérées par la critique et l’Académie comme réservées à l’art populaire, la sculpture en marbre devant demeurer blanche. Les fouilles archéologiques qui se succédèrent au XIXe siècle – à Tanagra, mais aussi Troie, Olympie ou Delphes –, en confirmant la polychromie originale de la sculpture et de l’architecture antique, contribuèrent cependant peu à peu à sa reconnaissance. Avec sa Tanagra et ses créations ultérieures, Gérôme fut en France l’un des plus fervents défenseurs de la polychromie artificielle. Il fit éditer de multiples réductions en bronze de ses œuvres par la maison Siot-Decauville (4) et participa ainsi à l’essor de la sculpture de petit format polychrome, très prisée par la bourgeoisie, qui rendit plus floue la démarcation entre sculpture et arts décoratifs et acheva de légitimer la sculpture « en couleurs ».

Tanagra, tenant dans sa main La Danseuse au cerceau Modèle 3D

 

 

Gérôme et la sculpture par Edouard Papet, conservateur au musée d'Orsay

Gerald ACKERMAN, Jean-Léon Gérôme, sa vie, son œuvre, Paris, ACR Editions, 1997.

Hélène LAFONT-COUTURIER, Gérôme, Herscher, Paris, 2000.

Violaine JEAMMET, Alain PASQUIER, Vassilis L. ARAVANTINOS et al., Tanagra. Mythe et archéologie, catalogue d'exposition, musée du Louvre, RMN-GP, Paris, 2003.

Laurence DES CARS, Dominique de FONT-REAULX, Édouard PAPET et al.Jean-Léon Gérôme (1824-1904). L’histoire en spectacle, catalogue d'exposition, musée d’Orsay, Skira / Flammarion, Paris, 2010.

Edouard PAPET, En couleurs. La sculpture polychrome en France 1850-1910, catalogue d'exposition, musée d’Orsay, Hazan / Musée d’Orsay, Paris, 2018.

1- Himation : vêtement drapé de la Grèce antique

2 - Hiératisme : aspect d'une personne raide, figée exprimant une certaine majesté.

3 - Johann Joachim Winckelmann (1717-1768) : théoricien de l'histoire de l'art, il a une importance capitale au XVIIIe siècle sur l'évolution des arts vers le néoclassicisme. Il diffuse sa connaissance l'art grec à travers un ouvrage L’Histoire de l’art de l’antiquité dans lequel il fait l'éloge de la beauté des œuvres antiques et convainc les artistes de son époque de revenir à la source de l'art grec.

4 - Maison Siot-Decauville : fonderie d'art qui sera active de 1855 à eviron 1935. Comme la maison Barbédienne, elle réalise ett vend des bronzes d'art des sculpteurs contemporains.

Symbolisme : Mouvement littéraire et artistique de la fin du XIXe siècle dont les adeptes préféraient l’évocation du monde de l’esprit à la description de la réalité.

Académie : L’Institut de France est créé par la loi du 25 octobre 1795 sur l’organisation de l’instruction publique. Au sein du palais de l’Institut de France, travaillent cinq académies : l’Académie française (fondée en 1635), l’Académie des inscriptions et belles-lettres (fondée en 1663), l’Académie des sciences (fondée en 1666), l’Académie des beaux-arts (créée en 1816 par la réunion de l’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648, de l’Académie de musique, fondée en 1669, et de l’Académie d’architecture, fondée en 1671) et l’Académie des sciences morales et politiques (fondée en 1795, supprimée en 1803 et rétablie en 1832). (Source : https://www.institutdefrance.fr/les-cinq-academies/.)

Ronde-bosse : Sculpture en trois dimensions, travaillée sur toutes ses faces. Toute statue est une ronde-bosse.

Lucie NICCOLI, « "Tanagra" par Jean-Léon Gérôme », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 11/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/tanagra-jean-leon-gerome

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