Hermann Göring au Jeu de Paume en compagnie de Bruno Lohse.
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : archives des Musées nationaux (Paris)
site web
photographie
Domaine : Photographies
© Archives des Musées nationaux
AMN, O30-438
Bruno Lohse et Hermann Goering
Date de publication : Mars 2014
Auteur : Emmanuelle POLACK avec Alain PREVET
Le marché de l’art à Paris sous l’Occupation
Le fait est avéré, pour ne pas dire indéniable : le marché de l’art à Paris sous l’occupation allemande est florissant. Cette euphorie est le reflet d’un afflux massif de marchandises prises à des personnes de confession juive et à tout opposant au IIIe Reich.
Les dignitaires nazis pressentent l’occasion offerte, par les confiscations, d’enrichir à moindre coût leurs collections personnelles. Parmi eux, le Reichsmarschall Hermann Göring (1893-1946), véritable chef d’une « pègre artistique », s’entoure de rabatteurs sollicités pour débusquer les collections de grande valeur. Bruno Lohse (1912-2007), historien de l’art, spécialiste des maîtres flamands et hollandais du XVIIe siècle, impressionne Göring par ses connaissances. Celui-ci se l’attache. Lohse devient l’un des missi dominici en charge de l’enrichissement de la collection Göring, en traquant les œuvres des plus belles collections du patrimoine artistique français.
Un photographe du service Rosenberg (E.R.R.) (1), peut-être Hans Simokat, a immortalisé au moins deux visites sur la vingtaine que Hermann Göring a faites au musée du Jeu de paume entre novembre 1940 et novembre 1942, sans qu’il soit possible pour l’instant de préciser davantage la date de la présente image. Elle s’insère dans une petite série d’une demi-douzaine de clichés quasi simultanés, dont la finalité n’était probablement pas d’être publiés mais de garder une trace du passage de ce puissant « protecteur ».
Sur les traces des Rembrandt
Confortablement installé dans un canapé d’un bureau du musée, réquisitionné au profit du service parisien de l’E.R.R., sous le regard satisfait de Bruno Lohse, Hermann Göring examine attentivement une monographie consacrée à Rembrandt, très probablement une des publications de l’historien de l’art allemand Wilhelm R. Valentiner, grand spécialiste du peintre depuis sa thèse soutenue en 1904.
Sous ses yeux, à sa gauche, on croit reconnaître un portrait de Saskia peint en 1633. Ce tableau appartenait à lord Elgin dans les années 1920. Sur une autre photographie prise à quelques instants d’intervalle, Göring s’arrête sur le portrait de Marten Looten (1632) provenant d’une collection londonienne et sur celui du mari de Cornelia Pronck, Albert Cuyper (1632) de la collection du banquier Henri Pereire (1841-1932) à Paris. Ce collectionneur offrit ce tableau au Louvre en 1930.
Une histoire du goût : la collection du Reichsmarschall
La mine réjouie de Bruno Lohse sur cette photographie laisse augurer une belle prise. Le chargé de mission, responsable des acquisitions personnelles du Reichsmarschall sur le marché parisien, semble accomplir avec zèle la mission qui lui a été confiée. Dès sa deuxième visite au Jeu de paume, le 5 novembre 1940, Göring avait sélectionné pour sa collection personnelle le Portrait d’un garçon avec une toque rouge, fraîchement saisi dans les collections Rothschild. Un mois plus tôt, le conservateur de la collection de Göring, Andreas Walter Hofer (1893-1971?), avait acquis pour lui un portrait de Saskia, également de 1633. Ce n’était toutefois qu’une production de l’atelier.
L’image ne permet pas de prendre la mesure de l’ampleur des transactions opérées sur le marché de l’art lors de cette période sombre, de même qu’elle ne permet pas de se faire une idée des attitudes peu scrupuleuses de trop nombreux marchands d’art français qui sacrifieront sans état d’âme leurs considérations éthiques à leur intérêt économique. Cette photographie est néanmoins révélatrice d’un certain pan de l’histoire de l’art ; une histoire du goût. Elle met en exergue la place de l’excellence, selon l’esthétique du IIIe Reich, des écoles du Nord dans la collection privée de Hermann Göring.
· Hector FELICIANO, Le Musée disparu. Enquête sur le pillage des œuvres d’art en France par les nazis, Paris, Austral, 1995.
· Lynn H. NICHOLAS, Le Pillage de l’Europe, Paris, Le Seuil, 1995.
· Rose VALLAND, Le Front de l’art, Paris, R.M.N. – Grand Palais, 2014.
· Laurence BERTRAND DORLÉAC, L’Art de la Défaite, 1940-1944, Paris, Le Seuil, 1993, nouv. éd. 2010.
· Emmanuelle POLACK et Philippe DAGEN, Les Carnets de Rose Valland. Le pillage des collections privées d’œuvres d’art en France durant la Seconde Guerre mondiale, Lyon, Fage Éditions, 2011.
· Nancy H. YEIDE, Beyond the Dreams of Avarice. The Hermann Goering Collection, Dallas, Laurel Publishing, L.L.C., 2009.
1. Service Rosenberg E.R.R. (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg) : service allemand dépendant du parti national socialiste (NSDAP), il est dirigé par Alfred Rosenberg et chargé de la formation idéologique et culturelle. L'E.R.R. confisque les biens des Juifs et des Françs-maçon dans toute l'Europe occupée. En France, le service s'installe au Jeu de Paume à l’automne 1940, il est dirigé par Georg Ebert.
Emmanuelle POLACK avec Alain PREVET, « Bruno Lohse et Hermann Goering », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 22/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/bruno-lohse-hermann-goering
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