En travaillant en Allemagne, tu seras l'Ambassadeur de la qualité française.
Auteur : ERIC
Lieu de conservation : musée de l’Armée (Paris)
site web
Date de création : 1943
Date représentée : 1943
H. : 56 cm
L. : 38 cm
Imprimerie : Bedos & Cie, Paris.
Lithographie coloriée
Domaine : Affiches
© Eric Castel © Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN - Grand Palais / Laurent Sully-Jaulmes
Vdb 110 - 06-515098
La collaboration par le travail
Date de publication : Février 2012
Auteur : Alexandre SUMPF
Promouvoir le travail en Allemagne
Depuis 1940, et durant toute la guerre, de nombreux volontaires étrangers choisissent de partir travailler en Allemagne, que ce soit par idéologie ou, plus souvent, pour les salaires voire la libération de proches prisonniers. Mais à partir de mars 1942, le gouvernement nazi lance une vaste politique destinée à susciter un afflux de main-d’œuvre sur son sol. En effet, suite aux besoins en hommes sans cesse croissants de l’armée, les mines, l’industrie et l’agriculture manquent de bras pour soutenir l’effort de guerre.
Cible privilégiée de cette recherche, la France de Vichy organise tout d’abord la « relève » (envoi de travailleurs en Allemagne pour « relever » des prisonniers), puis promulgue diverses lois de réquisition avant d’instaurer le S.T.O. (service du travail obligatoire) le 16 février 1943. Avec 600 000 travailleurs dans le cadre du S.T.O. et 200 000 volontaires, la France devient alors l’un des principaux pays contributeurs à l’effort de guerre nazi.
Diverses campagnes d’information tentent alors de promouvoir le travail en Allemagne, entretenant délibérément la confusion entre le S.T.O. (impératif) et le volontariat. Réalisée par Éric Castel en 1943, l’affiche « En travaillant en Allemagne, tu seras l’Ambassadeur de la qualité française » semble s’inscrire dans une telle politique.
Traits modernes
Avec une iconographie plutôt originale, l’affiche « En travaillant en Allemagne, tu seras l’Ambassadeur de la qualité française » propose une composition et un trait assez remarquables. À la différence de l’imagerie le plus souvent privilégiée par Vichy, le thème ouvrier (et non ruraliste) semble avoir permis un certain modernisme et une certaine audace.
Vigoureux voire athlétique, un ouvrier dans la force de l’âge se dresse face au spectateur. Vêtu de son bleu de travail caractéristique, il se tient debout et bien droit, l’air déterminé, une masse dans la main droite. Les formes sont plutôt schématiques (voir les jambes et les muscles des bras), le jeu des ombres (voir le visage) et le trait net accentuant l’impression de force, de sérieux et de performance symboliques. Derrière lui, des pièces (enclume, roue dentée) évoquent encore la machine et le travail ouvrier.
Au second plan, un paysage industriel (cheminées et bâtiments d’usine) émerge de l’aube et dessine d’élégants profils sombres dans l’ocre du soleil qui point. À l’horizon apparaît la tour Eiffel, symbole de la ville active et moderne qu’est Paris.
Composé sur trois lignes, le message qui donne son titre à l’affiche reprend les couleurs du drapeau national.
Fierté ouvrière et patriotique
Thème assez étranger à l’idéologie de la Révolution Nationale, le monde et le travail ouvriers sont exaltés ici à des fins de propagande. Avec une spécificité bien affirmée, l’affiche « En travaillant en Allemagne, tu seras l’Ambassadeur de la qualité française » reprend certains des codes et des innovations de la représentation du monde urbain et industriel en cours dans les années 1930, pour les réinterpréter.
Le travail et le travailleur sont ici classiquement mis en valeur. La dignité, la santé et la propreté de l’ouvrier suggèrent sa qualité morale, tandis que ses attributs (vêtement, outils et machines) évoquent à la fois la diversité des métiers (ce sont tous les types de travailleurs industriels qui sont requis) et la pluralité de la « qualité française ». Courageux, vigoureux et matinal, l’ouvrier national peut aisément soutenir la comparaison avec les autres travailleurs d’Europe (notamment ceux d’Allemagne, pays autrement plus industrialisé, dont la victoire manifeste aussi l’excellence). La collaboration imposée ou du moins justifiée par la défaite donne aux travailleurs français l’occasion de servir leur pays s’ils exportent leurs compétences, et la France pourrait retrouver une certaine fierté à travers eux.
Symbolique et général, cet ouvrier est en effet bien français. Le paysage industriel (qui pourrait être le même ailleurs) est comme entièrement investi du signe, unique mais efficace, de la « francité » : la tour Eiffel. De même, les couleurs du drapeau insistent sur la teneur paradoxalement patriotique du message et de l’appel adressés par l’affiche.
AZEMA, Jean-Pierre, De Munich à la Libération, 1938-1944, Paris, Éditions du Seuil, 1979.
AZEMA, Jean-Pierre et WIEVIORKA, Olivier, Vichy, 1940-1944, Paris, Perrin, 1997.
BORDEAUX, Henri, Henry de Bournazel, Le Cavalier Rouge ou L’Epopée marocaine, Paris, Plon, 1935.
SIRINELLI (dir.), Jean-François, Les Droites françaises.De la Révolution à nos jours, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1992.
PAXTON, Robert, La France de Vichy, 1940-44, Paris, Éditions du Seuil, 1973.
ROSSIGNOL Dominique, Histoire de la propagande en France de 1940 à 1944, Paris, PUF, 1991.
Alexandre SUMPF, « La collaboration par le travail », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 12/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/collaboration-travail
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