Lampisterie de mine
Moulinage
Lampisterie de mine
Auteur : QUENTIN Joseph Philibert
Lieu de conservation : musée des Beaux-Arts (Arras)
site web
H. : 13 cm
L. : 18 cm
Cliché positif au gélatino bromure d'argent sur plaque de verre.
Domaine : Photographies
© Musée des Beaux-Arts d'Arras
inv. 946.1.11
Les Travailleurs de la mine : ceux du jour
Date de publication : Août 2006
Auteur : Michel PIGENET
Les grandes heures du charbon dans le Pas-de-Calais au début du XXe siècle
Si l’électricité et le pétrole marquent l’entrée dans l’ère de la seconde industrialisation, le charbon demeure partout, au début du XXe siècle, la première source d’énergie. Son extraction progresse à grand rythme et fournit près de 90 % de la consommation énergétique mondiale dans les années 1910. Loin derrière celle des États-Unis, de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne, la production française passe de 19 à 41 millions de tonnes entre 1880 et 1913. Pour l’essentiel, cette croissance repose sur l’exploitation des gisements du Pas-de-Calais, entre les concessions de Dourges et de Fléchinelle. Avec 20 millions de tonnes extraites en 1913, la production du département approche la moitié du total métropolitain. Quant à la population, le peuplement du bassin a suivi l’accélération de sa mise en valeur. En 1912, on dénombre quelque 94 000 mineurs, contre 36 000 en 1890 et 60 000 en 1901. Quinze compagnies se partagent l’essentiel de la main-d’œuvre, dont 57 % travaillent pour les cinq premières, dites de Lens (15 300), Courrières (12 000), Bruay (9 600), Liévin (8 200) et Béthune (8 200). À l’exception d’une poignée de centres urbains antérieurs à la ruée minière, les fosses ouvertes au milieu des champs s’entourent de corons que leur agglomération ne suffit pas à ériger en villes authentiques. Les plus grandes entreprises logent ainsi la moitié de leur personnel. Propice à l’émergence de solidarités communautaires, l’isolement géographique redouble les effets d’une monoactivité inscrite dans le paysage. Outre les canaux et les voies ferrées nécessaires à l’évacuation de la houille, les terrils et les chevalements signalent, de loin, la présence d’un puits.
Travaux de jour
Les deux documents photographiques représentent des activités de surface, « au jour ». La photographie de la lampisterie privilégie le point de vue des employés qui y travaillent, ici trois jeunes femmes, mais la fonction est parfois réservée aux ouvriers âgés. Elle relègue à l’arrière-plan les quatre mineurs qui stationnent devant le guichet et la porte. Objets indispensables à l’éclairage des travailleurs du fond, les lampes Davy contribuent à leur sécurité. Mais elles peuvent tout autant la menacer si leur flamme, normalement isolée par un cylindre de verre, entre en contact direct avec le grisou. Avant la généralisation de l’usage de lampes électriques portatives, pour l’heure au stade expérimental, le danger est maximal chaque fois qu’un défaut de fonctionnement amène un mineur à tenter une réparation sur place. De là découle l’importance, après la remontée, des vérifications, de la recharge en combustible – huile de colza ou benzine – et du nettoyage qu’effectue l’ouvrière de droite. Au premier plan, l’une de ses collègues s’affaire devant l’armoire de rangement.
Sur chaque casier vide, un jeton identifie le mineur auquel la lampe manquante a été confiée – « un jeton au clou, c’est un mineur au fond » –, information essentielle en cas d’accident. L’échange a lieu au guichet. Relativement spacieux et bien éclairé, le local donne sur un couloir. La séparation, matérialisée par un grillage, semble surtout symbolique. Tandis que la remise des lampes s’effectue par une large ouverture, aucun des mineurs présents ne franchit le seuil de la porte non fermée.
Le moulinage, ou clichage, se déroule quant à lui sur une aire ouverte à tous les vents, comme le montre la seconde photographie. La dénomination rend compte du mouvement permanent qui anime la recette, établie au pied du chevalement métallique, dont le système de molettes et de câbles, masqués par des panneaux, se dresse au-dessus du puits. Là passent, au rythme du va-et-vient des cages, les berlines d’une contenance de 400 à 500 litres. Étape décisive dans la logistique minière, le moulinage assure le passage de la mine stricto sensu au carreau. Le document montre une équipe mixte et jeune de cinq ouvriers. Les deux hommes se tiennent à proximité de la cage où ils dégagent les berlines. Celles-ci sont récupérées par les ouvrières qui les poussent le long de rails fixés sur un dallage métallique. Si les hommes travaillent tête nue, les femmes, revêtues d’une longue blouse salie par le charbon, protègent leurs cheveux à l’aide de longs fichus. Les uns et les autres portent des sabots.
Au-delà des clichés
Partie visible de la mine, le « jour » a moins retenu l’attention des observateurs. À tort, si l’on veut bien considérer qu’en 1899 il occupe plus de 20 % des salariés des compagnies du Pas-de-Calais. Les deux documents rappellent qu’il demeure l’ultime refuge de l’emploi minier féminin retiré du fond depuis les années 1880. Il est aussi le cadre normal d’accueil des galibots, embauchés à treize ans, et des vieux ouvriers estropiés ou épuisés. Les normes sociales, mais aussi les compétences et les forces requises, expliquent d’importantes disparités tarifaires : une femme gagne ainsi de six à dix fois moins qu’un abatteur. Il ne faut pourtant pas en conclure une parfaite homogénéité du personnel de jour. Si le sort des trieuses – « culs noirs » ou « cafuts » en patois picard –, recrutées pour séparer les roches stériles du combustible, est plus médiocre que celui des moulineuses, le carreau a aussi ses élites ouvrières. Ainsi en va-t-il du chef moulineur qui, hors champ, guide le mouvement des cages, des machinistes ou des forgerons des ateliers d’entretien. Le constat vaut plus encore pour les employés des bureaux et le personnel d’encadrement qui, des porions aux ingénieurs, travaille en surface la majeure partie du temps. Pédagogiques, quasi promotionnelles, les prises de vue restituent une image plutôt statique de travailleurs qui paraissent davantage poser pour une démonstration que saisis en pleine action. On retrouve là le style de Joseph Philibert Quentin (1857-1946), pictorialiste attaché à exprimer la sérénité au détriment de la pénibilité. L’approche ne peut que satisfaire les compagnies de Lens, Béthune et Marles, dont il devient le photographe officiel à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900.
Diana COOPER-RICHET, Le Peuple de la nuit.Mines et mineurs en France, XIXe-XXe siècle, Paris, Perrin, 2002.
Marcel GILLET, Les Charbonnages du nord de la France au XIXe siècle, Paris-La Haye, Mouton, 1973.
Joël MICHEL, Le Mouvement ouvrier chez les mineurs d’Europe occidentale (Grande-Bretagne, Belgique, France, Allemagne). Étude comparative des années 1880 à 1914, thèse pour le doctorat d’État, université de Lyon II, 1987.
« Joseph Quentin, photographe artésien (1857-1946) », in Les dossiers de Gauheria, n° 3, 1991.
Michel PIGENET, « Les Travailleurs de la mine : ceux du jour », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 14/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/travailleurs-mine-ceux-jour
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