6 février 1934. Affrontements entre les manifestants et les forces de l'ordre.
Émeutes du 6 février 1934
Émeute du 6 février 1934. Les manifestants attaquent une automobile
6 février 1934. Affrontements entre les manifestants et les forces de l'ordre.
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : L’Illustration (Paris)
Date de création : 1934
Date représentée : 06-févr-34
Tirage photographique
Domaine : Photographies
© L'illustration - droits réservés
Le 6 février 1934
Date de publication : Septembre 2005
Auteur : Hermine VIDEAU
Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, le régime parlementaire de la IIIe République est l’objet de critiques croissantes, visant à la fois ses dysfonctionnements en matière institutionnelle et son incapacité à traiter les problèmes économiques nouveaux. Cette critique est portée à son comble à partir des années 1930, lorsque la grande crise frappe durement l’ensemble des classes sociales françaises. Au premier rang des mécontents figurent les classes moyennes, principal appui d’un régime parlementaire dont le parti radical constitue la pierre angulaire. En 1932, les radicaux au pouvoir paraissent plus que jamais enfoncés dans leur contradiction native : idéologiquement « de gauche », sensibilité renforcée par leur alliance vitale avec les socialistes, ils n’entendent pratiquer qu’une politique économique d’orthodoxie financière – monnaie forte, maîtrise des déficits – qui leur aliène ces mêmes socialistes en même temps qu’une part croissante de l’opinion. Les gouvernements sont renversés les uns après les autres dans un contexte d’instabilité politique inédit, et le pouvoir semble paralysé. Exaspérée par cette instabilité ministérielle chronique – cinq ministères de 1932 à 1934 ! –, une grande partie de la société française s’accorde à dénoncer l’incapacité de ses dirigeants, la crise du régime parlementaire et la nécessité de restaurer un pouvoir fort. L’expression de ce mécontentement est entretenue par l’opposition active de l’extrême droite au régime – la Ligue d’action française de Charles Maurras jouit d’une grande influence malgré sa condamnation par le Vatican en 1926 –, bientôt relayée par les ligues d’anciens combattants : Jeunesses patriotes, Camelots du roi et surtout Croix-de-Feu du colonel de La Rocque transformés depuis peu en véritable formation politique. A cette situation critique vient s’ajouter un scandale politico-financier qui achève de discréditer le régime.
Le scandale Stavisky, du nom d’un escroc juif ayant bénéficié d’appuis parlementaires, éclate au début du mois de janvier 1934 et porte le coup de grâce à la République radicale. Une campagne de presse extrêmement violente est lancée par l’extrême droite, Ligue d’action française en tête, contre le cabinet radical au pouvoir et les « chéquards » du Parlement : les manifestations et scènes de rues violentes accompagnées d’actes de vandalisme se multiplient pendant tout le mois de janvier. La campagne de presse de droite qui a tout de suite rallié les ligues rassemble également peu à peu l’ensemble des journaux de droite. Le 27 janvier, à la suite d’une manifestation particulièrement violente, le président du Conseil Chautemps présente sa démission. Il est remplacé par le radical Daladier qui décide de limoger le préfet de police de Paris, Chiappe, connu pour son indulgence vis-à-vis des perturbateurs d’extrême droite. Aussitôt, les organisations contestataires les plus puissantes appellent à une grande manifestation de protestation programmée le 6 février, jour de la présentation par Daladier de son gouvernement à la Chambre des députés. La manifestation, conduite par différentes ligues – Action française, Solidarité française, Jeunesses patriotes, Croix-de-Feu, Union nationale des combattants… –, converge depuis divers points de Paris vers la place de la Concorde et la Chambre des députés, et tourne très vite à l’émeute. Certains appellent à prendre d’assaut la Chambre alors que la démission de Daladier et de son gouvernement s’impose bientôt comme l’exigence principale des manifestants. La violence des actions dépend en grande partie des formations dont les objectifs sont différents : ainsi l’attaque du barrage des gardes républicains dressé en face de la Chambre des députés, notamment par Solidarité française, entraîne immédiatement la mort de plusieurs personnes alors que les Croix-de-Feu acceptent de se replier en bon ordre après avoir défilé. Pour autant, les actes de vandalisme perpétrés tout au long du mois sont ici démultipliés comme le montrent les photographies : saccage et incendie d’un bus, attaque des barrages de police, barricades, ruptures de canalisations, attaques de voitures évacuant les blessés du ministère de la Marine. Si les représentants de l’ordre réussissent finalement à contenir l’émeute, le bilan est lourd : on dénombre 15 morts et près de 1 500 blessés. Le lendemain 7 février, Daladier, lâché par ses collègues radicaux, présente sa démission à l’Elysée. Un gouvernement d’union nationale est formé peu après, dans lequel entrent les chefs de la droite : la rue et la presse ont eu raison du gouvernement légitime de la République.
Les interprétations de la crise du 6 février 1934 ont beaucoup divergé selon l’appartenance politique de ses traducteurs. Pour la gauche, il s’est agi de rien moins que d’une tentative de coup d’Etat fasciste, non d’une sanction plus large de son incapacité à se réformer et à gouverner. La prise de conscience de la gauche – des gauches, plutôt –, voire la dramatisation du danger incarné par l’extrême droite, aura certainement joué un rôle dans la formation deux ans plus tard de l’union des gauches au sein du Front populaire, de même que dans la théorisation et le développement de la thématique antifasciste. Pourtant, l’examen des faits, notamment l’impréparation et le caractère chaotique des différentes manifestations, invalide l’existence d’un complot organisé visant à s’emparer du pouvoir : les manifestants les plus déterminés – Action française, Solidarité française, Jeunesses patriotes – auront été minoritaires, les plus nombreux comme les Croix-de-Feu se contentant d’une démonstration de force. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les communistes participèrent aux manifestations et que la démission de Daladier fut davantage la conséquence de son abandon par les radicaux que des émeutes elles-mêmes. Il paraît également excessif de voir dans cette journée l’expression paroxystique d’un véritable fascisme français contenu jusqu’alors : l’extrême droite est au début des années 1930 très marginale en France, et elle demeure un phénomène essentiellement parisien, comme en témoignent les réactions négatives des anciens combattants de province à la suite du 6 février 1934.
Une fois débarrassée de ses lectures politiques, cette journée historique apparaît finalement comme l’expression du rejet définitif du système de gouvernement radical et la sanction violente de l’immobilisme des institutions politiques. Le temps des alliances subtiles et des combinaisons électorales sur fond d’immobilité gouvernementale est révolu : les temps et la rue demandent plus d’efficacité, plus d’exécutif, plus d’autorité. Cette tendance de fond est le soubassement de la « polarisation binaire » qui caractérisera désormais la politique française jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
Michel WINOCK, La Fièvre hexagonalerééd.Paris, Le Seuil, coll. « Points Histoire », 1987.Michel WINOCK (dir.), Histoire de l’extrême droite en France, Paris, Le Seuil, 1993.Serge BERSTEIN, Le 6 février 1934, Paris, Gallimard, coll. « Archives », 1975.Dominique BORNE et Henri DUBIEF, La Crise des années 30 : 1929-1938, Paris, Le Seuil, coll. « Points Histoire », 1989.
Hermine VIDEAU, « Le 6 février 1934 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 14/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/6-fevrier-1934
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