Accident à la gare de l'Ouest
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
Date de création : 22 octobre 1895
Date représentée : 22 octobre 1895
H. : 22,6 cm
L. : 17,1 cm
Photographe : Léopold Louis Mercier (1866-1913).
Autre titre : Accident du train Granville-Paris (actuelle gare Montparnasse).
Épreuve au citrate.
Domaine : Photographies
© GrandPalaisRmn (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
PHO 2000 7 - 08-524513
Accident spectaculaire à la gare de l’Ouest
Date de publication : Septembre 2024
Auteur : Lucie NICCOLI
La gare de l’Ouest, ancêtre de la gare Montparnasse, et l’accident de 1895
La gare « du chemin de fer de l’Ouest », édifiée en 1852 par l’architecte Victor Lenoir pour la compagnie du chemin de fer de l’Ouest, était située entre le boulevard du Montparnasse et le mur des Fermiers généraux. Elle fut rapidement appelée gare « du Mont-Parnasse ». Remplaçant un modeste embarcadère en bois construit sur la barrière du Maine par Louis Visconti en 1840 pour assurer la liaison Paris-Versailles rive gauche, elle fait partie des six gares ferroviaires terminus (1) implantées en périphérie de Paris sous le règne de Louis-Philippe, puis reconstruites sous Napoléon III.
Le bâtiment néoclassique initial est modifié et agrandi dans les années 1860, endommagé par la Commune de 1871, puis rénové et encore agrandi pour faire face à l’augmentation du trafic ferroviaire dans la seconde moitié du XIXe siècle : d’un million et demi de voyageurs par an dans les années 1850, il passe en effet à quatre millions en 1885, avec l’ouverture de nouvelles lignes et l’utilisation, à partir des années 1880, de la gare des chemins de fer de l’Ouest par l’administration des chemins de fer de l’État (2) .
Le 22 octobre 1895 s’y produit un accident spectaculaire qui fascine le public et fait les gros titres de tous les quotidiens : un train en provenance de Granville transportant cent vingt-trois passagers pénètre dans le hall « à la vitesse vertigineuse de 40 ou 60 kilomètres » (L’Illustration du 26 octobre 1895) défonce le mur de façade et chute neuf mètres plus bas, sur la place de Rennes – actuelle place du 18 juin 1940. Seule la mort d’une marchande de journaux est à déplorer. La locomotive reste encastrée dans le sol pendant cinq jours sous les yeux des badauds, parmi lesquels plusieurs photographes, amateurs ou professionnels, tels que Léopold Louis Mercier (l’épreuve ne porte cependant aucun cachet professionnel au dos.)
Ce dernier, né à Angers en 1866, avait ouvert à Paris à la fin des années 1880 un atelier spécialisé dans la reproduction d’œuvres d’art, éditées sous forme d’albums. Il s’était illustré, lors de l’Exposition universelle de 1889, par des photos de la tour Eiffel et des différents pavillons. Les clichés de l’accident, à l’origine de gravures plus sensationnelles encore, alimentent le récit par la presse de l’accident et de ses péripéties.
Une image de chaos : l’ordre néoclassique bouleversé
La vue de Mercier représente la gare quelques jours après l’accident, alors qu’un lit de madriers a été placé sous la locomotive pour l’y faire glisser. Il a été pris depuis la droite de la façade, au plus près de l’accident, mais en légère contre-plongée et dans un plan suffisamment large pour que soit visible l’ensemble du bâtiment central avec ses deux nefs et, surgissant de la baie de droite, le fourgon de tête encore attelé au tender (3), contre lequel est arc-boutée la locomotive, le nez fiché dans le sol.
La composition habile de cette photographie dénote le regard averti du professionnel : le train pantelant trace une diagonale accidentée dans l’image, depuis la verrière défoncée, en haut à droite, jusqu’à la cheminée de la locomotive, en bas à gauche, la divisant en deux parties : à gauche, la gare intacte ; à droite, la gare éventrée. La partie intacte offre l’équilibre et la parfaite symétrie du style néoclassique, avec la série régulière des sept arcades du portique et la ligne médiane partant de l’horloge, flanquée des deux allégories de l’Agriculture et de l’Industrie, et passant par le pilastre qui porte l’inscription « Chemin de fer de l’Ouest ». La photo étant prise de biais, la partie droite, plus proche de l’objectif, paraît plus grande, donnant l’impression que le bâtiment, suivant la ligne oblique de la balustrade, s’élargit progressivement pour aboutir à ce spectacle chaotique.
Tout petits devant le monstre échoué et d’un gris se confondant avec les nuances du métal, du charbon et du bois, deux hommes – sans doute des ingénieurs – semblent l’examiner avec perplexité.
Un symbole ambivalent : puissance et danger, progrès et démesure
Cette image très expressive de l’accident, aussitôt célèbre en France et hors de France, a acquis le statut d’un symbole : le désordre de ses lignes entrecroisées et le trou noir béant de la verrière, comme une plaie encore fumante, la petitesse des hommes face à l’énormité de la machine qu’ils ont créée disent le danger que fait courir le progrès technologique à l’humanité et rappellent l’homme tenté par l’hybris à l’humilité.
Ce rappel intervient alors que le transport ferroviaire, perçu à ses débuts comme inconfortable et peu sûr en raison de nombreux accidents mortels dans les années 1840-1850, suscite un engouement croissant. C’est cependant un délicieux frisson qui saisit le spectateur à la vue de la beauté sauvage de la « bête » vaincue et impudiquement exposée, son ventre de charbon comme cloué en haut de la façade, et de l’énergie qu’elle dégage, ainsi qu’à la pensée du défi technique à relever pour l’évacuer. Ceci, d’autant plus que l’accident, contrairement à celui de Saint-Mandé, en 1891, n’a fait miraculeusement qu’une victime et peu de dégâts : la locomotive s’est peu enfoncée dans le sol, pourtant creusé de nombreuses galeries, et a pu être remise en service.
Ce tableau insolite qui brouille les catégories de la ville, policée, et de l’industrie, habituellement dissimulée derrière d’élégantes façades, est aussi une image de la Révolution industrielle qui connaît un regain dans les années 1880 et, bénéficiant des grands travaux haussmanniens, s’apprête à bouleverser l’urbanisme des grandes métropoles.
Cette photographie sur papier aristotype permettant un temps de pose réduit illustre également l’essor de la photographie instantanée, grâce au perfectionnement des procédés d’impression et à l’invention des premiers appareils à main, rapidement adoptée par les amateurs. Enfin, comme les peintures de la gare Saint-Lazare par Monet, elle contribue à faire entrer la machine dans l’histoire de l’art.
Philippe GONTHIER (sous la dir.), Trains de terreur. Anthologie d’épouvante et d’insolite ferroviaire, coédition Les Aventuriers de l'Art Perdu / La Clef d'Argent, Dijon, 2017.
Claudine CARTIER, Henry-Claude COUSSEAU, L'Art et la machine, catalogue de l’exposition présentée à Lyon, au musée des Confluences, d’octobre 2015 à janvier 2016, Lienart, Paris, 2015.
Stéphanie SAUGET, À la recherche des pas perdus. Une histoire des gares parisiennes au XIXe siècle, Taillandier, Paris, 2009.
Karen BOWIE (sous la dir.), Les grandes gares parisiennes du XIXe siècle, Délégation à l'action artistique de la Ville de Paris, 1987.
1 - Les gares terminus parisiennes : Saint-Lazare en 1837, Montparnasse et Austerlitz en 1840, la gare du Nord en 1847, les gares de Lyon et de l’Est en 1849.
2 - Chemins de fer de l’État : créé en 1878, le réseau national finit par racheter en 1909 la compagnie des chemins de fer de l’Ouest.
3- Tender : wagon spécial placé immédiatement après la locomotive à vapeur pour assurer son approvisionnement en combustible et en eau.
Contre-plongée : point de vue de bas en haut.
Lucie NICCOLI, « Accident spectaculaire à la gare de l’Ouest », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/accident-spectaculaire-gare-ouest
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