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Porte d'Ivry : baraque de chiffonnier

Porte d'Ivry : baraque de chiffonnier

Porte d'Italie : zoniers

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Poterne des Peupliers : zoniers

Poterne des Peupliers : zoniers

Porte d'Ivry : baraque de chiffonnier

Porte d'Ivry : baraque de chiffonnier

Auteur : ATGET Eugène

Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web

Date de création : 1912

Date représentée : 1912

H. : 22,5 cm

L. : 17,8 cm

Photographie positive sur papier albuminé d'après négatif sur verre au gélatinobromure

Domaine : Photographies

© Photo RMN - Grand Palais - G. Blot

http://www.photo.rmn.fr

90-001191 / Pho1990-2

L'album "Zonier" d'Eugène Atget

Date de publication : Décembre 2007

Auteur : Claire LE THOMAS

La « zone » de Paris

Sous le double effet de la seconde révolution industrielle et des grands travaux du second Empire, la périphérie parisienne voit se développer des espaces d’urbanisme sauvage où se logent tant bien que mal les plus pauvres. Tandis qu’avec la migration vers la ville, lieu de travail, parvient dans la capitale une population miséreuse, la modernisation de Paris repousse les indigents à l’extérieur, dans les faubourgs.
Des bidonvilles apparaissent alors aux portes de Paris, transformant les secteurs limitrophes en « zone ». De cette appellation, naît le nom donné aux habitants de ces quartiers : les « zoniers ». La plupart d’entre eux sont chiffonniers, ils vivent de la récupération et de la revente des déchets de la ville.
Entre 1899 et 1913, Atget réalise de nombreuses photographies des plus démunis et de leurs logements. Au départ limités à quelques sites insalubres intra-muros – la Butte aux Caille, la Cité Doré –, ses clichés s’étendent progressivement à d’autres cités – la Cité Valmy et la Cité Trébert de la porte d’Asnières – et aux terrains vagues habités jouxtant la Capitale : la Poterne des Peupliers, la porte de Montreuil, de Choisy, d’Italie, d’Ivry. Il réunit ces images en 1913 dans l’album Zoniers.

Vivre et faire avec les déchets

Les photographies d’Atget témoignent des conditions précaires et de l’environnement insalubre dans lesquels vivent les zoniers. Elles décrivent notamment leur habitat avec précision : les prises de vue se focalisent sur leurs roulottes ou leurs masures édifiées à l’aide d’un assemblage composite de matériaux récupérés. La luminosité diffuse et les ombres peu marquées des clichés ne masquent pas les détails, permettant de distinguer les planches de bois, les tissus, les tôles servant à construire ces baraques rudimentaires. L’une des images donne même à voir la manière dont certains logements, au-delà de leur caractère sommaire, sont personnalisés au moyen d’objets hétéroclites : une façade comporte en guise d’ornement une petite tête sculptée et des feuilles de papier, sans doute des illustrations.
Malgré les efforts pour recréer un foyer décent, la promiscuité, l’amoncellement des déchets, l’absence de toute infrastructure et commodité (eau, toilette, évacuation…) rendent ces sites insalubres. Les cadrages larges choisis par Atget montrent bien comment les cabanes, où s’entassent des familles entières, s’agglutinent les unes aux autres selon un développement anarchique. Ils révèlent également les monceaux de détritus – planches, textiles, tonneaux, mobilier, vaisselle, ferraille, pots, gravats et toutes choses réutilisables – au milieu desquels vivent les zoniers.
Ceux-ci sont en effet entourés des résidus qu’ils collectent et dont ils se servent pour subvenir à l’essentiel de leurs besoins. Ils ramassent tout ce qu’ils trouvaient dans la ville et le rapportent à leur domicile en vue d’une revente ou d’une utilisation personnelle. Les zoniers cèdent ces matériaux contre paiement aux usines spécialisées dans le recyclage ou les transforment pour les colporter ensuite dans la capitale. Ils conservent également tout ce qui peut leur servir, leur environnement, du domicile aux ustensiles quotidiens (vêtements, meubles…), étant constitué d’objets récupérés ou confectionnés par leurs soins. Atget s’attache également à montrer ces aspects du travail des zoniers : il photographie les chiffonniers avec les charrettes leur servant à transporter le produit de leur collecte ou en train de faire de menus artefacts. L’un des clichés montre ainsi un homme en train de réaliser une sorte d’escabeau. Lorsqu’ils ne peuvent employer des éléments tout faits, ils fabriquent eux-mêmes ce qui leur manque : vanneries, menus meubles, outils ou objets qui peuvent aussi être vendus.

 

Du portrait d’une population au portrait d’une économie

À partir des images d’Atget, le milieu social des zoniers peut donc être reconstitué avec précision : leurs lieux de vie se révèlent dans les moindres détails ; leurs moyens de subsistance sont décrits avec précision ; leur mode d’existence, fondé sur la récupération, est retracé minutieusement. Procédant à une sorte de reportage photographique, il fit un portrait de cette population marginale, exclue de la ville, et enregistra un phénomène contemporain dont peu de photographes se préoccupaient.
Indirectement, cet album révèle aussi le circuit complexe des déchets et l’importance du recyclage à l’époque. Les chiffonniers étaient en effet la partie émergée d’une industrie des restes très développée au tournant du XXe siècle. Des usines s’occupaient du traitement des déjections et des urines humaines tandis que les nourritures de seconde main constituaient un véritable marché réglementé. Des établissements industriels se spécialisaient dans la transformation des rebuts que collectaient les zoniers. Les entreprises d’équarrissage se chargeaient de dépecer les charognes pour en récupérer la peau et convertir les chairs, les graisses, les muscles et les viscères en savon, bougies ou, par un procédé de liquéfaction, en engrais. Une gestion du même ordre touchait les bouchons de liège : non abîmés ils étaient remis tels quels sur le marché ; les autres servaient à fabriquer des tapis, du linoléum, de l’aggloméré ou des flotteurs…
Le ramassage et le tri des ordures représentaient une activité tellement importante que des termes spécifiques désignaient chaque type de récupérateur : les ravageurs recueillaient sur une barque les détritus charriés par les cours d’eau tandis que les tafouilleux opéraient exclusivement sur la Seine. Ainsi, les zoniers, tout en vivant des restes produits par Paris, participaient à l’économie de la capitale.

Alain CORBIN Le miasme et la jonquille. L’odorat et l’imaginaire social, XVIIIe-XXe siècles Paris, Flammarion, 1986.

Guillaume LE GALL Atget, Paris pittoresque Paris, Editions Hazan, 1998.

Gérard NOIRIELLes ouvriers dans la société française, XIXe-XXe siècles Paris, éditions du Seuil, 1986.

Madeleine LEVEAU-FERNANDEZ La Zone et les fortifs Paris, Le Temps des cerises, 2005.

Claire LE THOMAS, « L'album "Zonier" d'Eugène Atget », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/album-zonier-eugene-atget

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