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Arrestation et exécution du maréchal d'ancre, 24 avril 1617

Arrestation et exécution du maréchal d'ancre, 24 avril 1617

Date représentée : 24 avril 1617

H. : 26,9 cm

L. : 33,2 cm

eau-forte coloriée, d'après une œuvre allemande conservée à la Bibliothèque nationale de France

Domaine : Estampes-Gravures

© RMN - Grand Palais (château de Pau) / René-Gabriel Ojéda

lien vers l'image

05-522070 / P.69.25.17

L’assassinat de Concini

Date de publication : Septembre 2018

Auteur : Jean HUBAC

Dire l’événement en vignettes

Le 24 avril 1617, Concini, maréchal d’Ancre, est assassiné à l’entrée du Louvre par des fidèles serviteurs du jeune roi Louis XIII. L’événement donne lieu à une intense campagne de propagande, essentiellement opposée à Concini et dans la suite de celle qui décriait le favori de la reine Marie de Médicis depuis 1614.

L’ascension politique de ce familier de la reine mère, qui cumule les charges et accède au maréchalat en 1613, attise les divisions au sein de la noblesse de France, d’autant plus que la période de la Régence (1610-1614) se poursuit avec la mise à l’écart de facto de Louis XIII par sa mère (1614-1617).

Dans ce contexte troublé, Concini sert de bouc émissaire pour une population qui acceptait de plus en plus difficilement l’évolution menée par Marie de Médicis (rapprochement avec l’Espagne, augmentation des dépenses en raison de l’achat de la paix civile en pensionnat les grands nobles, plus grande fermeté à l’égard des princes à partir de 1616), en particulier sous l’effet de la propagande des princes opposés à la reine mère.

L’œuvre iconographique est une eau-forte qui participe à la multitude de publications contemporaines des événements représentés. Identique à la gravure qui surmonte un placard allemand anonyme de 1617 conservé au cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale, elle est construite de manière à séduire son « lectorat » et à permettre une lecture aisée des journées des 24 et 25 avril 1617. L’auteur a en effet choisi de diviser l’espace en six vignettes, organisées chronologiquement en deux registres.

Mettre en scène un assassinat politique

La scène est à Paris. La première vignette représente l’assassinat lui-même en recomposant la scénographie. Au centre, le baron de Vitry, capitaine des gardes, somme le maréchal d’Ancre de se laisser arrêter au nom du roi, mais l’interprétation de son geste de défense (à gauche, Concini porte la main à l’épée) provoque les coups de feu. En situant l’événement dans la cour du Louvre, et non sur le pont dormant qui permettait d’y accéder, l’auteur transgresse la réalité des faits et le caractère sacré de l’enceinte du palais royal. Au premier étage de la façade visible du palais, Louis XIII tend un bras approbateur en direction du maréchal. Les récits de la scène précisent que le roi se serait écrié « À cette heure, je suis roi ! » et qu’il aurait ensuite été montré à la foule des gentilshommes accourus dans la cour du Louvre. L’eau-forte condense donc en une scène deux temps et deux lieux distincts, celui de l’assassinat sur le pont dormant et celui de la monstration du roi à une fenêtre donnant sur la cour – la tension dramatique n’en est ainsi que plus forte, et la présence du roi apporte une caution légitimante à l’action menée par Vitry.

La deuxième vignette montre les effets libératoires de l’assassinat de Concini : un homme en livrée royale laisse s’échapper d’une volière des oiseaux, que l’on peut aisément identifier aux princes révoltés et délivrés par la disparition du favori de la reine mère. Au second plan, quatre hommes portent la dépouille du maréchal d’Ancre dans l’église Saint-Germain-l’Auxerrois.

À partir de la troisième vignette, c’est la saisie du corps par la foule parisienne qui est mise en scène, en suivant fidèlement les divers épisodes relatés dans les sources contemporaines de l’événement. Il s’agit donc d’une manière de dire l’événement par l’image. Le corps de Concini est déterré par deux bourgeois (à gauche de la vignette 3), traîné dans les rues (arrière-plan de la vignette 4), suspendu à une potence par une foule criant « Vive le roi ! » (vignettes 3 et 4), mutilé et frappé (émasculation, essorillement, amputation du nez et des mains [vignette 4]), porté pour faire amende honorable devant la Bastille où a été enfermé le prince de Condé (vignette 5), finalement brûlé sur le pont Neuf (vignette 6), après que son cœur a été plongé dans un ardent brasier (vignette 5). La violence exutoire et propitiatoire à laquelle se livrent les Parisiens reprend les peines infligées de manière symbolique aux voleurs, aux fornicateurs, aux traîtres. La violence se fait justice divine, selon l’assimilation réalisée par les pamphlétaires au nom de laquelle la voix du peuple porte celle de Dieu – Vox populi vox Dei.

La complémentarité des actions, depuis la mise à mort du maréchal d’Ancre jusqu’aux plus viles dégradations imposées à son cadavre déterré, construit une puissante légitimation d’un acte considéré comme une purification bénéfique à l’ensemble du royaume de France, et comme l’élimination radicale (jusqu’à la privation de sépulture) d’un usurpateur.

L’avènement de Louis XIII

L’eau-forte participe et contribue au retentissement de l’assassinat du maréchal d’Ancre, qui s’inscrit dans une production pamphlétaire et iconographique intense, dans une véritable campagne d’opinion entamée quelques années auparavant, au cœur de la régence de Marie de Médicis.

Pourtant, l’œuvre ne dit rien de la nature symbolique et politique de la mise à mort du conseiller honni de la reine mère. Elle évoque sur un mode mineur le surgissement de Louis XIII sur le devant de la scène politique, alors que sa mère Marie de Médicis avait cherché à le cantonner à un rôle très secondaire, y compris après sa majorité et la fin nominale de la Régence.

Le dessinateur a préféré mettre en valeur les effets de la vindicte populaire, sans éviter une certaine complaisance. Les écrits consécutifs à l’assassinat ont insisté sur la signification de ce déchaînement de violence spontané, qui est censé rendre visible l’accord profond entre l’assassinat voulu par le souverain, ou du moins accepté par lui, et le désir du peuple représenté par les Parisiens. L’union parfaite du roi et de ses sujets trouve là l’expression de son entière réalisation.

La justification royale immédiatement diffusée après l’assassinat tient en quelques motifs repris à l’envi par la propagande favorable au roi : Concini est accusé de s’être enrichi aux dépens de la couronne, d’avoir exercé un pouvoir usurpé et tyrannique, d’être un fauteur de guerre civile, d’avoir abusé la reine mère et la jeunesse du roi, d’être d’origine étrangère. Ce sont ces griefs qui seront retenus lors du procès posthume intenté le 9 mai 1617 par le parlement de Paris contre lui-même et contre son épouse Leonora Galigaï (exécutée pour sorcellerie et crime de lèse-majesté le 8 juillet 1617 en place de Grève). Dans une perspective eschatologique, le roi a accompli la volonté divine en mettant un terme à la dégradation de la course du temps, le procès renouant les fils de la justice ordinaire avec ceux de la justice extraordinaire.

Ayant tacitement approuvé l’exécution de Concini, le roi propulse au premier plan politique son propre favori, le duc de Luynes, et écarte sa mère des affaires en l’exilant à Blois. Acte d’émancipation et d’affranchissement, la mort de Concini scelle ainsi une révolution de palais et la mise à l’écart de Marie de Médicis, qui ne retrouvera plus l’influence dont elle bénéficiait depuis 1610. Le retour des hommes politiques qui avaient gouverné la France à la fin du règne d’Henri IV ne modifie cependant pas durablement l’évolution impulsée par Concini et sa propre équipe – dont le jeune Richelieu – qui avaient voulu, sans doute trop tôt et trop maladroitement, engager la France dans un projet absolutiste. Ils avaient négligé l’appui du roi…

COLLECTIF, 1617, le coup d’État de Louis XIII, XVIIe siècle, no 276, 2017.

DUBOST Jean-François, « La prise de pouvoir par Louis XIII », dans CORNETTE Joël (dir.), La France de la monarchie absolue (1610-1715), Paris, Le Seuil, coll. « Points : histoire » (no 235), 1997, p. 83-99.

DUBOST Jean-François, Marie de Médicis : la reine dévoilée, Paris, Payot, coll. « Biographie Payot », 2009.

DUCCINI Hélène, Concini : grandeur et misère du favori de Marie de Médicis, Paris, Albin Michel, 1991.

DUCCINI Hélène, Faire voir, faire croire : l’opinion publique sous Louis XIII, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Époques » (no 118), 2003.

Jean HUBAC, « L’assassinat de Concini », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 19/03/2024. URL : histoire-image.org/etudes/assassinat-concini

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